Etait-il nécessaire de modifier les programmes Darcos 2008 ? Les nouveaux programmes apportent-ils des éléments intéressantq ? Sont-ils perfectibles ? Le Café pédagogique pose ces questions à des professeurs de français de collège : Patricia Bonnard (à Genas près de Lyon), Pierrick Guillot (à Feyzin dans le Rhône), Bruno Vergnes (à Lembeye dans les Pyrénées-Atlantiques), Lionel Vighier (à Montesson dans les Yvelines). Loin des préjugés, des humeurs et des fausses expertises, leurs réponses confrontent les programmes à l’expérience et aux aspirations de ceux qui travaillent au quotidien la langue et la littérature en classe avec les élèves. Pour eux, aucun doute : les nouveaux programmes sont une vraie chance pour le français au collège.
Patricia Bonnard : « Faire sens avec ce que l’élève vit dans le monde réel »
A la lumière de votre expérience, vous semblait-il nécessaire de modifier les programmes précédents ? pourquoi ?
Oui, bien sûr. Parce qu’il y a désormais une inadéquation entre ce que propose l’école et le monde réel. La que
stion du « à quoi ça sert ? » a toujours existé, sauf qu’autrefois, on se contentait d’un « tu verras plus tard, pour l’instant fais ce qu’on te dit. » Or aujourd’hui, les « nouveaux » élèves ne sont plus dans cette attitude respectueuse face au savoir et celui qui est censé le détenir ; ils questionnent sans cesse et le rôle de l’enseignant est d’accompagner ce questionnement en lui faisant voir que ce qu’il peut apprendre au collège fait sens avec ce qu’il vit dans le monde réel.
D’autre part, c’est une vieille rengaine, mais les programmes sont trop lourds : le programme de langue en 3ème, tel qu’il est annoncé, n’est jamais vu en totalité puisqu’un temps précieux a été consacré à revoir les notions de 6ème, oubliées en trois ans (bien que revues chaque année…) !
Du coup, le fossé s’est creusé entre certains élèves (je ne généralise pas, bien sûr) et cette école qui ne leur parle pas, pas plus qu’elle ne parle à leurs parents, et qu’ils voient comme un facteur supplémentaire d’exclusion. Comme il est dit dans les programmes, « il est indispensable de créer un climat de confiance, dans lequel on peut questionner sans crainte et où disparaît la peur excessive de mal faire. » Il faut sortir du cadre du vrai et du faux, de la fameuse moyenne à dix, et donner le droit de chercher, se tromper, et recommencer. Trop souvent aujourd’hui le collège est vécu comme une succession d’échéances à court terme qui amènent bon an mal an en troisième et trop souvent c’est là que la réalité arrive de plein fouet, avec les soucis d’orientation, alors que jusque là, « ça passait »…
Je trouve enfin dommage que la créativité des élèves ne soit pas plus exploitée actuellement et je me réjouis en lisant ici que « La créativité des élèves (…) se déploie au cycle 4 à travers une grande diversité de supports (notamment technologiques et numériques) et de dispositifs ou activités tels que le travail de groupes, la démarche de projet, la résolution de problèmes, la conception d’œuvres personnelles… ».
Qu’est-ce que ces nouveaux programmes apportent selon vous d’intéressant ?
Tout d’abord, je trouve tout à fait intéressant le nouvel ordre proposé : « l’oral, l’écriture, la lecture, l’étude de la langue. » N’a-t-on pas souvent déploré (en souriant ou non) que tel élève, s’il n’était évalué à qu’à l’oral, aurait d’excellentes notes… » ? N’est-il pas anormal que celui qui a une vivacité d’esprit, une certaine audace, de l’originalité, bref, qui « ne rentre pas dans les cadres », soit pénalisé au détriment du bon exécutant qui ne fait pas de vague ?
Je trouve également intéressant de se fixer moins sur une étude de la langue systématique et exhaustive et d’aller plutôt vers ses « principes de fonctionnement ». Dans ce sens, il me semble qu’effectivement lier ces apprentissages avec ceux des langues étrangères étudiées en parallèle est extrêmement judicieux : entendre des élèves vous dire « c’est drôle, on voit le subjonctif en espagnol, eh bien ce n’est pas ce que vous nous avez dit » ouvre des perspectives autrement plus intéressantes que faire réciter des listes de verbes à conjuguer !
Enfin, j’y retrouve une indéniable similitude avec ma manière de travailler : les classes à projet dans lesquelles je m’engage chaque année, les « missions » que je propose aux élèves et l’utilisation des outils numériques sont dans la droite ligne des préconisations : « Mener à bien, de manière méthodique et planifiée, des projets où s’articulent écriture, lectures, recherches, oral. (…) Usage des technologies numériques pour enregistrer la voix, associer sons, texte et images, publication ». Ca rassure…
Notre rôle est d’aider nos élèves à devenir non pas seulement de « bons » élèves, mais bien plutôt des individus et des citoyens conscients d’eux et du monde dans lequel ils vivent. En cela, « développer (l’) autonomie et (‘) capacité à oser penser par lui-même, s’approprier une culture littéraire vivante et organisée » et favoriser la coopération entre élèves me paraît très important.
S’il fallait exprimer un regret, une critique, une suggestion… ?
C’est très ambitieux, tout cela, et il n’est pas du tout sûr que les moyens donnés soient à la hauteur de l’enjeu. Ce qui freinera indéniablement la mise en place des choses. Il me semble également que la profession enseignante est très individualiste dans l’ensemble, et que la démarche du travailler ensemble n’est pas toujours évidente. Combien de collègues rechignent à laisser d’autres entrer dans leur salle ? Il y a souvent un manque de confiance qui amène à s’abriter derrière les sacro-saints programmes que l’on brandit pour justifier qu’on « travaille bien » : « je ne peux pas, j’ai mon programme à finir » est sans doute la phrase la plus entendue en salle des professeurs… La remarque inverse s’entend également : « Mais quand font-ils du français, avec tout ça ??? »…
Or ces nouveaux programmes restent assez flous en ce qui concerne la mise en œuvre, se reposant d’une part sur l’Administration (chef d’établissement, etc.), et d’autre part sur les équipes enseignantes qui, on le sait, ne sont pas toujours stables et peuvent varier d’une année à l’autre et se découvrir à la rentrée de septembre… Si je prends l’exemple (encore elle) de l’étude de la langue, je lis : « La progression au cours du cycle 4 veille à approfondir chaque notion, en choisissant les attributs les plus pertinents pour chacune. » Il apparaît donc que la concertation s’avère indispensable. C’est une évidence, sauf que dans les faits, elle est loin d’être là tout le temps… Enfin la temporalité me semble également plus floue : ainsi dans le programme de troisième, pour le « Vivre en société, participer à la société », je lis « Fables, fabliaux, maximes, caricature, contes philosophiques, littérature d’idées ». Les deux premiers relevaient de la sixième et de la cinquième et n’y apparaissent plus d’ailleurs. Cela signifie donc que l’on renonce à la progression chronologique ? Quid de la relation avec le programme d’Histoire ?
En conclusion, il me semble que ces propositions sont intéressantes et pertinentes car en adéquation avec ce que sont les élèves aujourd’hui. En revanche, tout reste à faire…
Pierrick Guillot : « Le plaisir d’apprendre dans un esprit humaniste »
A la lumière de votre expérience, vous semblait-il nécessaire de modifier les programmes précédents ? Pourquoi ?
Les programmes actuels ne formalisaient pas suffisamment le travail par compétences et ses enjeux. Cela pouvait constituer un frein à sa mise en place de manière claire dans les cours de français, même si on peut imaginer que les professeurs n’avaient pas attendu l’apparition du Socle pour faire mobiliser à leurs élèves des compétences, quelles qu’elles fussent. L’articulation entre compétences, connaissances et activités apparaît dans le volet 3, simplifiée ou non selon les composantes par rapport aux documents qui avaient accompagné la mise en place du Socle précédent.
A vrai dire, on pourrait se réjouir de voir à quel point ces nouveaux programmes insistent sur le plaisir d’apprendre dans un esprit humaniste, cependant les programmes de 1995 et de 2008 ne m’ont jamais semblé s’éloigner de cet objectif.
Ce qui rend nécessaire la modification des programmes tient en ce qu’ils ont en trop ou en ce qu’ils n’ont pas ou pas assez. C’est forcément l’occasion d’une bataille de chapelles ! Au quotidien, dans nos classes, cela se mesure davantage aux points du programme qui marchent, font avancer les élèves, et à ceux qui les font reculer, les immobilisent. Et comme cela est variable d’une classe à une autre, d’une année sur l’autre, d’un professeur à un autre, …
L’enjeu des programmes est ailleurs : les nouveaux fournissent-ils un cadre dans lequel chaque professeur de français en collège se sentira plus légitimé, capable de s’épanouir professionnellement et prêt à guider ses élèves ? De mon point de vue ce sera le cas car nous avons, par exemple, déjà développé avec bonheur en expérimentation des pratiques interdisciplinaires « hors programmes officiels » dans notre collège.
Une fois mise de côté la question de l’évaluation et de la validation des compétences, l’esprit de ces nouveaux programmes donne confiance et offre une liberté pédagogique bienvenue à laquelle les élèves répondent positivement dans mon collège.
Le volet 1 semble inscrire les activités d’enseignement dans une relation au monde plus explicite, qui favorise la compréhension des univers dans lesquels les élèves évoluent ou évolueront (« Cette appropriation croissante de la complexité du monde ») .
Cela ne peut se faire sans l’acquisition de solides connaissances linguistiques et littéraires : même si ces nouveaux programmes ont pour finalité le développement des compétences, la confiance accordée aux professeurs permettra à chacun de déterminer les besoins réels de ses élèves et de se sentir moins tiraillé entre deux positions extrêmes, l’une qui consiste, par exemple, à traiter impérativement en une année de 5e tous les points au programme de façon superficielle, et l’autre qui pousse inconsciemment à passer au détriment du reste des heures et des heures en 3e sur des textes dits « sombres » – par leur humeur, leur contexte d’écriture ou leur contenu.
Par ailleurs, on peut apprécier la mise en avant de l’oral : nos collègues de lycée auront alors, je l’espère, des élèves mieux préparés à certaines de leurs pratiques quotidiennes ou à l’E.A.F. ! Il faut multiplier ces prises de parole, ces mises en voix, ces échanges pour rendre encore plus audible la beauté de la langue, sa puissance évocatrice et sa force de conviction. On sent enfin une incitation à la communication horizontale.
Le plus intéressant est certainement ce qui fait et fera le plus polémique tant l’interdisciplinarité interroge les représentations de l’école en France. J’ai passé une heure cette semaine devant des 3e en coanimation avec mon collègue de mathématiques : c’était la troisième fois où nous partions de l’exploitation de diagrammes et de statistiques pour aboutir à la rédaction d’un article de presse, sur des sujets évoqués en technologie (l’automobile), en vie scolaire (les violences) ou par le C.E.S.C. (les jeux vidéo), et en suivant toujours le même processus, c’est-à-dire lire, interpréter et écrire. Ces activités nous ont satisfaits et nous ont surtout permis de réfléchir en équipe et de prendre du recul sur nos pratiques. Toutefois, est-ce que la réussite de projets interdisciplinaires dépend des programmes, des élèves ou du fait que des collègues travaillent ensemble depuis plusieurs années avec les mêmes outils numériques et finissent par se lancer dans la coanimation pour en mesurer les effets ?
S’il fallait exprimer un regret, une critique, une suggestion … ?
Les repères de programmation et de progressivité présents dans le volet 3, les premiers pour la lecture et les seconds pour l’étude de la langue, rappellent que l’organisation de notre enseignement demeure liée à un nombre d’heures à disposition sur l’ensemble du cycle, paramètre ô combien décisif pour nous et très concret aux yeux des élèves et des familles. Or, il est étonnant de voir la variété des productions orales et écrites ainsi mise en avant sans que pour autant on nous oblige à les proposer à un rythme défini comme le sont les exercices d’écriture toutes les trois semaines pour l’instant. Les équipes de professeurs de lettres parviendront-elles sans cela à promouvoir le geste d’écriture et les activités d’expression orale ? Les futurs documents d’accompagnement nous guideront-ils davantage dans nos choix ? J’ai souvenir d’avoir été rassuré, jeune professeur, par des programmes qui me donnaient des directives d’organisation plus tranchées.
Bruno Vergnes : « Je me suis toujours senti enfermé par la logique des anciens programmes »
Cela fait maintenant à peine plus de dix ans que je suis professeur de français et je me suis toujours senti enfermé par la logique des anciens programmes du collège qui suivaient les siècles de l’Antiquité au XXème siècle. Même si chaque enseignant avait sa liberté dans la construction de sa progression, le Moyen Âge restait la plupart du temps étudié en 5ème alors que certains textes médiévaux, du fait de leur complexité ou des thèmes abordés, auraient été plus intéressants à traiter en 3ème. C’est désormais possible et encouragé.
De plus en tant qu’élève et surtout en tant que prof, j’ai toujours été récalcitrant à utiliser trop de jargon. Parfois on se prend à utiliser des mots trop complexes qui font barrage à l’étude de la langue. L’exemple de l’adjectif possessif que certains collègues utilisent encore au lieu du déterminant possessif est révélateur. La différence que l’on fait entre conjonction et locution conjonctive me semble inutile au collège. Il y a tant d’autres exemples. Je suis content que les nouveaux programmes mettent l’accent sur ce point, n’en déplaise à quelques puristes.
Le plus grand apport de ces nouveaux programmes est sans doute la place qui est faite à la collaboration entre les disciplines. C’est un vrai défi, car il s’agit de réussir là où nous avons échoué avec les IDD. Il ne faudra pas que l’organisation des EPI découle des besoins de la DGH mais bien de projets portés par des profs. Construire un projet seul prend du temps, le construire à plusieurs prend encore plus de temps, il faudra que les enseignants aient le temps d’élaborer ensemble des projets transdisciplinaires solides. Cet enseignement, s’il est bien préparé, est une bonne source de motivation pour les élèves, il permet aussi de mettre de côté pendant un temps la posture magistrale du professeur-sachant et de la classe autobus d’élèves trop souvent passifs. Je crois profondément au bénéfice que peuvent apporter des moments d’atelier, de tâtonnements, de découverte.
Mes craintes concernent davantage la place de l’EMI. En étant annoncée partout, j’ai peur qu’elle soit nulle part . De nombreux collègues vont se voir confiée la tâche d’enseigner une discipline pour laquelle ils ont peut être peu d’attrait ou bien pour laquelle ils n’ont reçu aucune formation. Je ne pense pas pour autant qu’il faille faire de l’EMI une discipline à part entière. Je crois qu’il est bon de l’injecter dans chaque champ disciplinaire. Il faudra que les collègues qui souhaitent accéder à une formation sur l’identité numérique ou bien sur le droit d’auteur puissent y avoir accès. Enfin il faudra donner davantage de place à cet enseignement dans les ESPE.
Lionel Vighier : « De l’autonomie accordée aux enseignants »
Je ne trouvais pas forcément nécessaire de modifier les programmes précédents (et encore actuels) car les contenus, en particulier les objets d’étude, sont pertinents et riches, ce qui ne les empêche en rien de laisser à l’enseignant une certaine autonomie. Cependant ces programmes sont lourds et difficiles à réaliser dans leur intégralité si on souhaite approfondir chaque point, en particulier en ce qui concerne la langue : beaucoup de professeurs sont confrontés à un choix à faire, entre tout faire et survoler, ou sacrifier certains points pour travailler qualitativement. Par ailleurs, l’articulation avec le Socle ne semblait pas avoir été complètement pensée, et il était nécessaire de permettre davantage de dialogue entre le Socle et les programmes.
L’avantage, pour moi, et ce qu’on peut aussi considérer comme un inconvénient, réside dans l’autonomie accordée aux enseignants dans ces nouveaux programmes. Le remodelage des cycles et le fait d’attendre des compétences en fin de cycle 4 laissent beaucoup d’autonomie aux enseignants sur le choix des méthodes, des parcours, des rythmes. Cela va aussi nous amener à davantage de concertation à l’intérieur même de chaque équipe de lettres pour une démarche cohérente et adaptée aux besoins de l’établissement. Ce ne sera pas forcément toujours facile, mais on en vient à la nécessité d’un véritable travail d’équipe disciplinaire, et même interdisciplinaire. Les enseignants ne sont pas formés à cela dans leur parcours, et il faudra veiller, selon moi, à des formations de communication et de management, ainsi qu’à des temps de concertation intégrés à l’emploi du temps des professeurs, si on ne veut pas perdre du temps. Avec des équipes mal formées et mal informées, on risque l’immobilisme (la conservation pure et simple du fonctionnement actuel) et/ou une très grande perte de temps, souvent du temps personnel…
L’autonomie sera aussi plus grande dans le choix des œuvres, ce qui me satisfait. De plus je trouve que le principe des entrées par problématiques, et non plus par genres, est intéressant, car cela invite à problématiser les séquences autour d’enjeux moins centrés autour de problématiques purement littéraires. C’est une autre vision de l’enseignement des lettres qui semble se profiler, préférant aux problématiques liées aux genres et registres littéraires, des questionnements humains voire philosophiques, qui sont au cœur de la littérature comme d’autres arts. Le risque, selon certains, est l’instrumentalisation de la littérature mais je le pense pas : rien n’interdit d’étudier une œuvre littéraire en tant que telle tout en l’ouvrant sur des problématiques plus larges. Après tout, il me semble que ce soit déjà ce que nous fassions… et il est fort possible que ces thématiques ne changent pas l’approche des œuvres en classe !
Par ailleurs les nouveaux programmes invitent à des « croisements interdisciplinaires », en tout cas sur le papier : je m’en réjouis ! C’est une des clés, selon moi, d’un enseignement cohérent et prenant tout son sens aux yeux des élèves. Cependant tout dépendra de la mise en œuvre, de la volonté de chacun, et d’aspects plus triviaux mais bien influents comme la gestion des emplois du temps, la rémunération et les temps de concertation.
Je pense qu’il faudra accompagner les enseignants dans cette transition, par de la communication et de la formation, non pas dans le but d’imposer une parole « sacrée » mais davantage de dénouer les incompréhensions et les appréhensions, qui sont nombreuses et parfois tout à fais justifiées.
Par ailleurs, il serait intéressant de joindre à ces programmes une annexe donnant des exemples concrets d’œuvres, de séquences, et de liens précis à faire avec d’autres disciplines.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Les programmes du cycle 4