Du théâtre contre le décrochage ? Le théâtre d’improvisation se situe à mi-chemin du sport et du théâtre. Un arbitre lance un thème, les équipes en lice doivent en quelques secondes créer et jouer une histoire sur le sujet. Il revient au public de désigner la troupe la plus inventive et la plus drôle. L’activité semble capable de renforcer chez les jeunes qui la pratiquent capacités orales, estime de soi et compétences sociales, autrement dit de combattre des inégalités que l’Ecole à sa façon entretient. Au point, comme le souhaite Jamel Debbouze (et certains politiques à sa suite) de devenir une activité répandue dans les établissements ? Delphine Roux-Bellicaud, professeure de lettres-histoire en lycée professionnel dans l’académie de Poitiers, a pratiqué avec ses élèves le théâtre d’improvisation. Elle témoigne ici de ses expériences, éclaire les différents intérêts de cette discipline (lutter contre les inhibitions et le décrochage, bousculer les hiérarchies et les représentations, recréer du lien…). Elle émet aussi quelques suggestions pour que l’improvisation trouve enfin sa place dans le système, scolaire ou périscolaire.
Le théâtre d’improvisation est une discipline relativement peu connue : pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ?
Le théâtre d’improvisation est né au Québec en 1977 grâce à Robert Gravel et son Théâtre Expérimental de Montréal. Il s’agit dès lors, de définir les premières règles du match d’improvisation. Cette pratique aura beaucoup de succès auprès du public. Aujourd’hui, le format compétition entre deux équipes existe encore, mais certaines compagnies développent des formes de spectacles nouvelles. Par exemple, le Deus ex Machina est une technique québécoise qui consiste à jouer à partir de deux mots tirés au hasard par le public. Le théâtre d’improvisation favorise le développement personnel et l’expression, il accroît le sens de la répartie. Il permet le dépassement de soi, la révélation de nos capacités. L’humour est l’élément clé de cette pratique, il permet de dédramatiser et de dire des « vérités », il permet une ambiance détendue.
Vous avez intégré à plusieurs reprises le théâtre d’improvisation à vos activités d’enseignement : dans quel cadre et selon quels dispositifs ?
Un jour, le centre socioculturel de la ville dans laquelle je travaillais, a proposé aux enseignants de Français de la SEG et aux PLP lettres-histoire de la SEP, d’accueillir un atelier de théâtre d’improvisation proposé par Robert Brideau, dans le but entre autre, de promouvoir le spectacle de sa troupe le Beding Bedingue. Je suis la seule enseignante à avoir accepté l’offre. Le projet a été rédigé collectivement : le professeur documentaliste, le centre socioculturel et moi. Nous avons demandé un devis à Robert Brideau, avons obtenu une subvention de la Région Centre dans le cadre du dispositif « lycéens citoyens » puis avons soumis notre projet au CA.
Les deux jours d’atelier avec ma classe ont eu beaucoup de succès, ainsi que son spectacle du soir dans la ville. L’année suivante, nous étions deux enseignantes à travailler ensemble, ma collègue de la SEG et moi. J’ai quitté l’établissement depuis, mais je sais que depuis deux ans, ils sont quatre enseignants (EPS, espagnol, lettres et lettres, histoire) à travailler sur le projet avec Robert. Quant à moi, j’essaye d’exporter le projet dans mon nouvel établissement, dans ma nouvelle académie, celle de Poitiers.
A titre d’illustration, pouvez décrire quelques exemples précis de séances de travail avec les élèves ?
Au départ, Robert fait des exercices pour aider chacun à se connaître, se détendre, s’accepter. Nous formons un cercle et nous tenons chacun un bout d’une sorte de grand parachute troué au centre. Nous le levons collectivement et un individu s’engouffre sous la toile pour passer dans le trou. D’autres exercices de ce type nous font travailler sur le collaboratif, la confiance en l’autre, l’écoute de l’autre… Il s’agit aussi de désengourdir le corps. Sur une musique actuelle, il nous fait danser, d’abord collectivement, puis chacun son tour, devant les autres, nous fait faire un défilé de mode…
Enfin nous travaillons l’improvisation, il demande à un élève de donner un mot, n’importe lequel, sans réfléchir et les élèves qui le souhaitent commencent une saynète improvisée sur ce mot. Même chose avec un objet : nous avons par exemple improvisé de fausses publicités avec un grand tissu noir, des rencontres sur un banc… Il y a tellement de possibilités. Ce qui en sort est souvent très étonnant. La créativité des élèves est très surprenante.
D’après votre expérience, quels vous semblent les bénéfices que les élèves tirent de telles pratiques ?
Les bénéfices pour les élèves sont nombreux à mon sens et concernent plusieurs problématiques. Le décrochage scolaire d’abord. La pratique régulière du théâtre d’improvisation à l’école peut avoir pour objectifs de remotiver et revaloriser des élèves car elle travaille sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et permet d’éviter le décrochage scolaire. Ensuite, cette revalorisation de l’individu va générer une amélioration du climat de classe et du climat d’établissement. Ces élèves, investis dans une activité artistique, valorisés dans leur individualité, vont devenir moteurs dans l’établissement. Enfin, et ne l’oublions pas, cette activité peut également interagir sur les relations élèves-enseignants. L’équipe éducative, en les voyant autrement, aura une image plus positive de ces élèves, ne les considérant plus comme « perdus », on notera davantage de bienveillance à leur égard, donc des appréciations plus nuancées ou plus valorisées, donc une re-motivation, moins de décrochage, etc.
La mixité aussi. Dans les exercices demandés, l’effort à fournir est le même pour les garçons et les filles. Cette activité les place sur un pied d’égalité. Les garçons comprennent que l’on peut être viril sans être misogyne et les filles que l’on peut être drôle sans être vulgaire et en ne perdant rien de sa féminité. Enfin les projets inter-degrés et les Activités Pédagogiques Complémentaires.La pratique régulière du théâtre d’improvisation s’inscrit parfaitement bien dans le processus de la réforme qui concerne l’école primaire. En effet, les Activités Pédagogiques Complémentaires, dites APC, peuvent être le lieu d’une telle activité. L’objectif de chaque établissement peut être différent, il peut s’agir de mettre en avant la créativité, l’épanouissement personnel, la maîtrise de la langue, les relations garçons-filles… Il peut s’agir également d’un projet inter-degrés dont l’objectif est d’envisager la prise de contact entre les élèves de CM2 et de 6è ou 5è du collège de secteur. Ce dernier point est d’ailleurs préconisé par la loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’Ecole « qui vise à permettre une transition plus sereine et mieux organisée entre l’école primaire et le collège. L’arrivée au collège est en effet pour beaucoup d’élèves, et notamment pour ceux dont les acquis sont les plus fragiles, un cap difficile ».
Pensez-vous, comme certains, que l’Ecole aurait tout à gagner à intégrer le théâtre d’improvisation en tant qu’activité régulière et officielle ? Si oui, quelle mise en place imaginez-vous ?
Le 19 mai dernier, au théâtre Comedia à Paris, François Hollande, Aurélie Filipetti et Benoît Hamon répondaient présents à l’invitation de Jamel Debbouzze et de Marc Ladreit de Lacharrière pour remettre le Trophée d’improvisation théâtrale à des collégiens. Le succès de cette après-midi d’improvisation auprès du Président de la République aurait fait émerger l’idée d’un développement de cette pratique artistique dans les établissements scolaires et pourquoi pas, l’ouverture d’une option en collège et en lycée ?
En ce qui me concerne et forte de mon expérience du théâtre d’improvisation, j’aimerais beaucoup que cette activité devienne une option, notamment au collège. Je souhaiterais par exemple que quelques établissements pilotes testent le dispositif sur une ou deux années, en 6ème et 5ème, à raison d’1h30 hebdomadaire. Je pense également, que cette option aurait intérêt à être développée dans les collèges REP+ pour les raisons citées précédemment, dans les zones rurales également.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La fondation Culture et diversité
Interview de Robert Brideau
Le documentaire « Liberté, égalité, improvisez »