De N. Vallaud-Belkacem à JM Blanquer, des Républicains à Terra Nova, la réforme du bac semble faire l’unanimité. Le projet présidentiel a été clairement annoncé durant la campagne. Et le Snpden, le 22 juin, a peut-être avec raison fait allusion à un consensus « entre syndicats antagonistes » sur ce terrain. Pourtant les projets avancés semblent pressés d’apporter des réponses à de mauvaises questions. Et on ne voit pas en quoi ils apportent des solutions pour permettre une véritable démocratisation des études supérieures. Alors que le gouvernement vante la modernisation économique et l’innovation technologique, c’est un grand retour en arrière dans l’accès aux formations supérieures qui semble se dessiner dans un grand élan réactionnaire.
Une idée qui semble faire consensus
Jean-Michel Blanquer n’a pas initié le débat sur la réforme du bac. En juin 2016, Annie Genevard, alors déléguée nationale à l’éducation des Républicains, promettait une réforme du bac en cas de victoire de son parti. » Il faut recentrer les épreuves sur les matières fondamentales de chaque section par des coefficients significatifs… Le nombre d’options offertes au bac pourrait être réduit sans pour autant nuire à la motivation des lycéens pour des matières qui ne seraient plus au programme du baccalauréat, en les intégrant par exemple au dossier scolaire avec des appréciations susceptibles d’être valorisées dans les choix d’orientation futurs », disait-elle. Elle reprenait là une idée exprimée par Benoist Apparu dans un rapport de 2009.
A gauche, le Think Tank Terra Nova publie aussi en 2016 une étude de Martin Andler et d’Armelle Nouis qui défend la même idée. Les auteurs proposent de limiter l’examen à 4 épreuves passées en deux journées. Les autres disciplines seraient évaluées au contrôle continu.
Finalement, en juillet 2016, N. Vallaud Belkacem annonce elle -aussi une réforme du bac. « Il faudra faire un jour le toilettage du bac, avec sans doute moins d’options, moins d’épreuves et un calendrier plus équilibré », dit-elle dans Les Echos. Plus tard sur RTL elle ajoute qu’il y a « trop d’épreuves, trop d’options ».
Tout cela se retrouve en 2017 dans le programme Macron. Il prévoit d’alléger le bac en réduisant à 4 épreuves l’examen final, les autres disciplines étant au contrôle continu. Pour le candidat il s’agit » de rendre possible de nouvelles formes d’organisation du temps scolaire et de nouveaux parcours, qui prépareront mieux à la poursuite d’études et à l’insertion professionnelle ».
Son équipe ne fait pas mystère que cette refonte sera surtout une réforme de l’entrée dans le supérieur. Le bac ne donnera plus accès à n’importe quelle université. Chaque établissement supérieur pourra exiger un certain niveau dans des disciplines précises présentées à l’examen final du bac.
Une question mal posée
La question qui fonde toutes ces analyses est celle du taux de réussite dans le supérieur. Il y a une raison à cela : ce taux est effectivement très bas. Selon la Depp, le taux de réussite en licence sur 4 ans est de 40% en moyenne. Il est de 32% pour les jeunes de milieu défavorisé et de 47% pour les favorisés. Pour les bacheliers professionnels il est de seulement 6%. Pour les bacheliers technologiques de 16%. Mais même pour les bacheliers généraux il n’est que de 45% en L et 51% en S, la crème de la crème.
Les résultats sont meilleurs en BTS et DUT. En BTS 86% des bacheliers généraux sont diplômés, 78% des bacheliers technologiques et 59% des professionnels. En DUT les taux sont similaires (82, 67 et 50%).
Pour beaucoup , cette situation est présentée comme un gaspillage . Les bacheliers « certains » d’échouer , entendez les professionnels et les bacs technologiques, « occupent » les places des meilleurs étudiants. C’est aussi un effet d ‘APB, de sa gestion qui crée de l’angoisse avec la peur de « l’injustice » du tirage au sort. Certains évoquent même de faux étudiants, « assistés » , qui prennent le statut d’étudiant pour accaparer des aides sociales sans aucun projet réaliste d’étude.
Prenons par exemple, le cas mis en avant par le Snpden le 22 juin, celui des bacheliers professionnels inscrits en Pases (études de santé), une filière ultra sélective à tirage au sort. Dans cette formation à numerus clausus, les bacs pros abusent du droit d’accès au supérieur que donne le bac et « prennent les places » de bacheliers bien meilleurs qui auraient une chance de réussite.
En fait quand on regarde les presque 300 000 nouveaux entrants en université en 2015 , on trouve seulement 15 000 bacheliers professionnels. En Pases on n’en trouve que 326 soit moins de 1% des 40 000 inscrits. Cet exemple, souvent répété, est donc particulièrement mal choisi.
Les questions que l’on doit poser
On pourrait plutôt interroger autrement le taux de réussite dans le supérieur. Que veut dire un taux moyen de 40% de réussite en licence ? Que penser d’un système éducatif qui n’arrive en 4 ans à faire réussir que la moitié des meilleurs lycéens (les S) ? Que penser d ‘un service public qui est rendu à moins de la moitié de ses usagers ? Si la préparation au lycée a certainement sa part dans ce constat d’échec, doit on considérer que l’université n’en a aucune ?
Ce qu’on nous propose dans le projet Macron et ailleurs c’est un examen d’entrée dans le supérieur qui n’autoriserait l’accès qu’aux élèves ayant de bonnes chances de réussite. Autrement dit qui ouvrirait la porte du supérieur seulement aux 40%. Mais une telle sélection est-elle moralement acceptable pour des enseignants et des agents publics ? N’est ce pas leur mission que de rendre un service d’enseignement au public ?
Comment assurer la démocratisation du supérieur ?
On ne peut que relever la contradiction flagrante entre cet objectif de sélection et les engagements européens de la France d’élargir l’accès au supérieur. Car les 50% de jeunes diplômés du supérieur que la France s’est engagée à produire il va bien falloir aller les chercher chez les bacheliers technologiques et professionnels. L’effectif total des bacheliers généraux n’y suffira pas.
Cette démocratisation du supérieur est en train de se faire. Elle se fait avec l’accès des bacheliers professionnels dans le supérieur. Or plus la proportion de ces bacheliers augmente , plus le système semble se raidir. Au point que l’on nous propose maintenant carrément d’arrêter le processus en créant, c’est dans le programme Macron, une filière spéciale pour les bacs pros.
On ne règlera pas la question de l’accès au supérieur de ces bacheliers simplement par un examen d’entrée dont les critères seront , en plus, décidés par chaque institution du supérieur. Il va bien falloir faire évoluer les référentiels. La conférence du Cnesco sur l’enseignement professionnel a mis en avant cet impératif. Il faut s’en donner les moyens matériels (en terme d’encadrement et d’accompagnement). Mais il va aussi falloir des moyens moraux, c’est à dire affirmer hautement le droit d’accès et la volonté de les faire accéder au supérieur si on veut que ça marche.
Elitisme social
Enfin on ne peut écarter les représentations sociales qui sont derrière les exemples avancés à l’appui de cette réforme du bac. La moitié des bacheliers généraux vient d’une catégorie sociale favorisée. C’est le contraire pour les bacheliers professionnels. La frontière est aussi ethnique. Nombre de lycées professionnels ont un pourcentage très important de jeunes issus des « minorités visibles ».
Le discours tenu au nom de l’efficacité pour restreindre le droit d’accès au supérieur est simplement le discours du conservatisme social. C’est pour le bien des pauvres que l’on veut les orienter vers des filières spécifiques, comme Macron l’envisage pour les bacheliers professionnels. Quand on utilise en plus le thème des faux étudiants assistés qui prennent la place des enfants bien nés, le débat devient vraiment inaudible.
François Jarraud