Entretien avec Bernard Hugonnier
Que ce soit au travers des enquêtes Pisa ou de différentes études internationales, Bernard Hugonnier, directeur adjoint de l’éducation à l’OCDE, a eu maintes occasions de comparer les systèmes éducatifs dans le monde et ne juge pas le système français particulièrement performant. Il a bien voulu nous livrer quelques-unes de ses réflexions sur les améliorations qui pourraient lui être apportées.
De 2002 à 2005, fut réalisée une étude de l’OCDE « Le rôle crucial des enseignants : attirer, former et retenir des enseignants de qualité », portant sur 23 pays dont la grande majorité étaient très préoccupés par un manque prévisible d’enseignants dans les prochaines années. Tel n’était pas le cas de la France, puisque Françoise Cros et Jean-Pierre Obin notaient, pour la partie française de cette publication, « Toutes les enquêtes auprès des enseignants convergent pour indiquer que le métier ne rencontre aucune crise de vocation : dans la plus récente encore deux tiers des enseignants déclarent que leur métier est celui qu’ils rêvaient d’exercer, 82% déclarent s’épanouir et plus des trois quarts espèrent garder leur profession jusqu’à la retraite ». Les conclusions de cette enquête (Sofres 2002) furent d’ailleurs reprises dans le rapport Pochard, ainsi que de nombreux éléments sur les modalités de recrutement, d’affectation et de formation des enseignants.
Cette étude mettait en évidence le rôle du « leadership » et une suite fut engagée, portant spécifiquement sur l’effet établissement et l’importance de la direction, « Améliorer la direction des établissements scolaires ». Pour la partie française, rédigée par Jean-Pierre Obin, les conclusions visaient à « Confier davantage d’autorité sur l’enseignement aux dirigeants locaux » en recentrant leur formation sur leurs responsabilités pédagogiques et éducatives et « Rapprocher l’organisation pédagogique des deux niveaux d’enseignement » afin de minimiser la rupture école-collège.
Pour Bernard Hugonnier aussi, l’effet établissement est déterminant pour la réussite des élèves. Il constate que, d’après les enquêtes Pisa, les établissements qui fonctionnent bien sont ceux où des objectifs ont été définis, que toute l’équipe éducative s’attache à atteindre solidairement et sur lesquels elle est évaluée régulièrement. « Tout le contraire d’une école française » s’exclame-t-il en ajoutant qu’en France « les contraintes, voire « l’obsession », des programmes obligent les enseignants à laisser rapidement de côté les élèves qui ne suivent pas ». Le socle commun devrait changer les choses, estime-t-il, « mais cela va prendre du temps et, en attendant, il y a beaucoup d’élèves dont le sort est déjà joué au mois de février et qui jugent inutiles de faire davantage d’efforts ».
La définition d’un ensemble de compétences à faire acquérir impérativement aux élèves, la responsabilisation des enseignants et des établissements dans ce but paraissent à Bernard Hugonnier être des éléments propres à favoriser la réussite scolaire. Il rappelle que les pays qui réussissent le mieux appliquent ces principes et sont aussi les plus équitables. Il souhaite fortement qu’on allège les programmes français et qu’on soutienne le plus tôt possible les élèves en difficulté.
Il pense que, dans le système français, « l’évaluation des élèves doit cesser d’être seulement sommative, pour devenir beaucoup plus largement formative et les aider dans leurs apprentissages. La note est vécue comme un jugement personnel et une sanction, alors qu’en Finlande, par exemple, les élèves n’ont quasiment pas de notes jusqu’à 13 ou 14 ans ». Cela suppose, selon lui, qu’un outillage approprié soit mis en place et qu’un soutien institutionnel soit apporté aux enseignants et aux établissements. Aujourd’hui, pense-t-il, « ce sont seulement les parents qui en ont les moyens qui réagissent aux notes et font prendre des cours supplémentaires à leurs enfants ».
Il lui semble aussi nécessaire d’agir sur la formation initiale des enseignants, en insistant sur la nécessité de diversifier les points de vue et de renforcer l’adaptation aux nouveaux outils et la pratique de méthodes pédagogiques actives. L’IUFM, dit-il, dispense un enseignement qui fait trop de place aux contenus et pas assez à la pédagogie. S’il lui parait judicieux de profiter des opportunités de renouvellement du corps enseignant pour faire évoluer la fonction, il craint que « le temps nécessaire à ces évolutions ne le permette pas, d’autant que les parents, notamment ceux des classes moyennes, et une grande partie des enseignants sont très conservateurs ».
Bernard Hugonnier ne se prive pas de dire que « l’évaluation des enseignants, telle qu’elle est actuellement pratiquée par les inspecteurs, est totalement inutile ». Concernant la mise en place de procédures permettant une véritable évaluation du système et de ses acteurs, il remarque que les modalités appliquées à l’évaluation des ministres pourraient constituer une base pour celle des enseignants et des chefs d’établissement. Il pense néanmoins qu’on demande trop de choses diverses aux enseignants et que la surveillance, l’accompagnement, l’orientation des élèves seraient plus utilement confiés à des personnels spécialisés.
Il estime enfin qu’ »aujourd’hui le système éducatif français produit trop de chômeurs et pas assez de diplômés de haut niveau et qu’il est impératif que l’ensemble des acteurs en prenne conscience ». Selon lui, il sera alors possible de mener les réformes nécessaires, en associant tous les acteurs à la réflexion.
Entretien : Françoise Solliec