Pour Claude Lelièvre, l’autorité prônée par Gabriel Attal relève de « l’imposture facile », voire « flagrante ». L’historien, qui revient sur l’évolution de la place de l’autorité à l’école, explique que si mai 68 est vu comme un moment charnière en matière de questionnement de l’autorité, les postures autoritaires, et violentes, étaient toujours d’actualité il y a moins de quarante ans…
C’est la possibilité à laquelle tente de faire croire le Premier ministre actuel (dans un contexte très ‘’sécuritaire’’) après bien d’autres, en particulier durant le moment ‘’sarkoziste’’. Pourtant ce qui l’emporte en la matière, ce sont des évolutions lentes (dans un sens ou dans l’autre) ; et même le moment qui a marqué les mémoires (Mai 68) n’a pas échappé à la règle .
Mai 68 n’a en effet été fondateur en rien en la matière, tout au plus un mouvement un peu précipité dans une longue évolution.
Cette évolution commence bien avant Mai 68. On peut prendre pour exemple significatif le » Code Soleil » (un ‘’code ‘’ professionnel rédigé dans le cadre syndical, celui du Syndicat national des instituteurs, quasi hégémonique alors dans l’enseignement primaire public ). Depuis sa première rédaction en 1923 jusqu’au début des années 1950, il est indiqué que la discipline doit « être douce et ferme à la fois : elle soumet l’enfant à une règle qu’il accepte parce qu’on lui en a expliqué le sens et démontré l’utilité »; et il est explicitement indiqué qu’il ne faut pas renoncer aux punitions quand elles sont nécessaires.
Mais, dès l’édition de 1957, ces dernières précisions disparaissent. Les auteurs syndicalistes citent alors Rousseau et mettent en cause le système d’une discipline imposée par le maître : « Le maître s’efforcera de suggérer et non d’ordonner. Il s’agit de convaincre chaque enfant qu’en obéissant à ‘’la règle du jeu scolaire’’ il joue son rôle dans l’organisation, la bonne tenue, la discipline de la classe […]. C’est par la pratique de l’auto-discipline, et non par la discipline imposée que l’on accoutumera l’enfant à l’usage de la liberté ».
Dans un dossier syndical consacré à la surveillance des élèves paru en 1967 dans « L’Ecole Libératrice « , le secrétaire général du SNI – André Ouliac – précise que « l’enfant doit s’épanouir, et l’intérêt qu’il porte à l’enseignement reçu est sans doute le meilleur juge de l’harmonie de la classe […]. La discipline doit être libérale ».
Dans les années qui suivent Mai 68, les remises en cause théoriques de la discipline traditionnelle s’accentuent et se radicalisent. Et » Libres enfants de Summerhill » devient un best-seller scolaire, en particulier dans les Ecoles normales.
Mais, comme l’a souligné Bernard Douet une dizaine d’années plus tard, à l’issue de sa vaste enquête dans les écoles communales datant du début des années 1980 sur » la discipline et les punitions à l’école « , «il existe toujours à l’école une méthode essentiellement autoritaire et directive, pratiquée par un grand nombre […]. Le fait que les écrits pédagogiques de type autoritaire se raréfient pendant que ceux de tendances libérales ou non directives semblent de plus en plus nombreux, pourrait laisser croire que l’école actuelle a totalement délaissé châtiments et peines pour s’engager sur les voies nouvelles qu’annoncent les théoriciens. Or la réalité est tout autre. L’école actuelle, qui pratique toujours les punitions les plus classiques, se pose certes en fait beaucoup de questions. Mais les défenseurs d’une éducation plus libérale ont inquiété plus qu’ils n’ont modifié. Les expériences tentées ici et là, le plus souvent par des enseignants isolés, ont ouvert le débat plus qu’elles n’ont su convaincre « .
En 1985, 15% des instituteurs interrogés par Bernard Douet en 1985 déclarent avoir eux-mêmes pratiqué la fessée, formellement interdite depuis 1887, comme tous les châtiments corporels – une interdiction pourtant dûment rappelée quelques années auparavant par l’arrêté du 26 janvier 1978 : « Tout châtiment corporel, pour quelque cause que ce soit, est strictement interdit. »
Dans la même enquête de Bernard Douet, 45 % des maîtres affirmaient avoir constaté à l’école la pratique des fessées et 15 % celle des gifles. Surtout, 95 % des élèves du cours préparatoire et 33 % de ceux du cours moyen deuxième année signalaient l’usage des gifles ou des fessées 40. Et il en était de même pour le fait de « tirer les oreilles ou les cheveux » (à hauteur respectivement de 75 et 52 %).
L’histoire des conduites réelles dans le cadre de l’École ne se confond pas avec celle des décisions et prescriptions ministérielles (dans un sens comme dans l’autre). Tant s’en faut. Dans le passé, comme dans le présent . D’où paradoxalement la possibilité de postures ‘’avantageuses’’ et, en même temps, de l’imposture facile (flagrante lorsque c’est fait en tout connaissance de cause). Gabriel Attal y excelle.
Claude Lelièvre