Quelques heures après le passage de témoin entre Gabriel Attal et Amélie Oudéa-Castéra, la nouvelle locataire de la rue de Grenelle créait déjà la polémique. En déplacement dans un collège d’Andrésy dans les Yvelines, la ministre de l’Éducation nationale a justifié la scolarisation de ses trois fils dans l’établissement privé Stanislas par « le paquet d’heures pas sérieusement remplacées » dans son école publique de secteur du très cossu VIe arrondissement. « (À Stanislas) De manière continue, nous nous assurons que nos enfants sont bien formés avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux, qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis, qu’ils ont des amis, qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance. Et c’est le cas pour mes trois petits garçons, mes trois enfants qui sont là-bas », a-t-elle ajouté. Des déclarations qui sonnent comme une insulte pour la très grande majorité des organisations syndicales d’enseignants et enseignantes.
Stanislas, un choix loin d’être anodin
Le 12 janvier, Mediapart publiait un article nous apprenant que les enfants de la ministre étaient scolarisés dans un établissement privé. Et pas n’importe lequel : le « très catholique collège-lycée Stanislas ». Classé meilleur lycée de France à plusieurs reprises, l’établissement, dont la devise est « Français sans peur, Chrétien sans reproche », s’est fait épingler par le même média le 28 juin 2022. L’enquête des journalistes, qui s’appuyait sur des documents internes et de nombreux témoignages, dévoilait un « univers sexiste, homophobe et autoritaire », un établissement où l’on est opposé au port du préservatif et à la contraception, où l’avortement est assimilé à un meurtre. Y sont distribués des livrets enseignant la « chasteté ». Y est entendue « la condamnation de l’homosexualité dans les discours des professeurs ». On y trouve aussi une grande majorité de classes non mixtes. L’enquête nous apprenait également « le recrutement d’intervenants proches de la Manif pour tous ou encore l’invitation de membres de l’Église pour vanter les thérapies de conversion ». En février 2023, Pap Ndiaye, alors ministre de l’Éducation nationale, diligentait une enquête dont les résultats étaient attendus pour septembre dernier. Des résultats qui se sont semble-t-il perdus sur le bureau de l’ancien ministre de l’Éducation nationale, aujourd’hui Premier ministre.
Mais le choix de Stanislas, même si la ministre le justifie par une proximité géographique – un argument peu audible – c’est aussi le choix du « séparatisme social ». Selon un article publié dans le Monde le 18 janvier 2023, « en 2021, le lycée Stanislas a (…) le même IPS très élevé qu’Henri IV, mais un public deux fois moins hétérogène socialement, et un taux de boursiers 13,5 fois inférieur ». Le lycée qui est un établissement privé sous contrat, et qu’à ce titre il bénéficie d’un financement à 73% par le contribuable, profite aussi d’une meilleure dotation que le public nous apprenaient les journalistes.
Réactions politiques et syndicales
En déplacement avec le Premier ministre dans un collège, Amélie Oudéa-Castéra a donc été interrogée sur le choix spécifique de cet établissement pour ses enfants. « Si on commence dès le premier jour sur des attaques personnelles, c’est aussi parce que ce matin (ndlr : cérémonie de passation de pouvoir) ce que j’ai exprimé était inattaquable sur le fond » a-t-elle répondu avant de justifier son choix par le fait d’en avoir « marre du paquet d’heures pas sérieusement remplacées ». La ministre a fait part de sa satisfaction assurant qu’à Stan (Stanislas), ses enfants « sont bien formés avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux, qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis, qu’ils ont des amis, qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance ».
Les réactions, qu’elles soient politiques ou syndicales, ne se sont pas fait attendre. Rodrigo Arenas, ancien président de la FCPE, a déclaré avoir saisi le recteur de l’académie de Paris afin de « vérifier le propos dénigrant de la ministre de l’Éducation nationale à propos de l’école Littré à Paris ». « On ne manquera pas de rappeler très vite à la ministre que son sujet premier doit être l’École publique, la seule école de tous et pour tous » a réagi Élisabeth Allain-Moreno du SE-Unsa sur X. « Des propos lunaires et provocateurs, contre le service public d’éducation et ses personnels. Dès le premier jour. Finalement, même à mi-temps c’est peut-être mieux » a quant à elle écrit Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU. « La faute à qui s’il n’y a des heures non remplacées dans le public ? » interrogeait la CGT Éducation, « C’est votre politique de suppression de postes, de cadeaux au privé ! Lamentable et indigne prose de parole de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale ». « En 7 ans de Macron : plus de 7000 postes supprimés dans l’Éducation nationale ! » rappelait pour sa part Maud Valegeas, co-secrétaire fédérale de SUD éducation qui évoque un discours inacceptable de la part d’une ministre de l’Éducation nationale.
Quant à Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-SNUipp, syndicat des enseignants du premier degré, elle a rappelé à la porte-parole du gouvernement, Prisca Thevenot – qui assurait sur France 2 au lendemain de la polémique que le gouvernement a répondu au problème du remplacement – que le pacte « ne concerne pas le premier degré pour le remplacement de courte durée. Pour remplacer les enseignants dans les écoles primaires, il faut des remplaçants ». Dans l’après-midi, le Premier ministre a aussi pris la défense de sa ministre en assurant que 15% des absences remplacées lors du dernier trimestre 2023 contre 5 % en 2022. Des chiffres qu’a découvert Sophie Vénétitay en l’écoutant, « j’ai l’impression qu’on parle du RCD, mais je n’en suis pas certaine, car comme toujours, c’est dit avec aplomb, mais surtout beaucoup de flou… ».
Des regrets
Dans une déclaration envoyée à l’AFP, Amélie Oudéa-Castéra dit « regretter » d’avoir « pu blesser certains enseignants de l’enseignement public ». Elle y assure qu’elle sera « toujours » aux « côtés » de « l’école publique et de ses professeurs ». « Mes propos ont pu blesser certains enseignants de l’enseignement public, ce que je regrette. Je n’avais aucunement cette intention », écrit-elle, indiquant avoir répondu « sans détour » et « avec sincérité et transparence », à une question posée. « Je sais ce que je dois à l’école publique et à ses professeurs. Je serai toujours à leurs côtés, comme je serai aux côtés de toute la communauté éducative », a-t-elle ajouté.
Des heures non remplacées ? une version démentie par l’enseignante de l’ainé de la ministre
Mais après les regrets, nouveau rebondissement dans la polémique. Libération nous apprend dans un article publié dimanche soir que le fils ainé de la ministre, qui aurait subi « un paquet d’heures de cours non remplacées« , n’a fait que six mois en toute petite section de l’école publique Littré… Une information recueillie auprès de l’enseignante elle-même. «Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème de remplacement à Littré qui est une petite école très cotée », a-t-elle déclaré aux journalistes. La raison du changement d’établissement selon cette dernière? La volonté des parents d’un passage anticipé de toute petite section en moyenne section. «Vincent avait du mal à s’adapter à l’école et j’apprends à ce moment-là que ses parents voulaient qu’il passe en moyenne section en septembre alors qu’il faut avoir 4 ans normalement. Et on a refusé, d’autant plus que c’était à son désavantage parce qu’il n’était pas encore mature. On a refusé pour son bien ! Je me souviens avoir dit à la ministre “Il a beaucoup souffert, laissez-le-moi une année de plus.” Mais elle ne voulait pas qu’il se retrouve avec des plus petits, alors ils l’ont envoyé à Stanislas, qui l’a accepté ». Interrogée par Libération, la ministre a nié cette version des faits.
La polémique autour des déclarations de la ministre ravive un débat déjà vif autour de la place du privé dans le manque de mixité des école et établissements publics français. Depuis 2017, le sujet était remisé au placard. À son arrivée au ministère, Pap Ndiaye avait déclaré faire de la mixité sociale dans les établissements scolaires sa priorité. Après des mois d’attente d’un grand Plan mixité, l’ancien ministre avait dû ravaler son chapeau et avait annoncé, par voie de communiqué de presse, un simple protocole sans aucune obligation de quotas pour l’enseignement privé sous contrat.
Ce matin, Amélie Oudéa-Castéra, reçoit une partie des organisations syndicales en bilatérale, un rendez-vous reporté de plusieurs heures. Nul doute que l’échange risque d’être tendu…
Lilia Ben Hamouda