Plusieurs collectivités se sont d’ores et déjà portées volontaires pour expérimenter le port de l’uniforme dans leurs écoles ou établissements à la rentrée prochaine, voire dès le printemps pour les plus motivées. En septembre dernier, Gabriel Attal avait affirmé être favorable à son expérimentation dans les écoles et collèges volontaires. Pap Ndiaye s’y était clairement opposé. L’uniforme, marotte de la droite, voire de l’extrême droite, est censé rétablir l’autorité, limiter les atteintes à la laïcité et au harcèlement. La littérature scientifique est pourtant loin de lui allouer de telles vertus comme l’explique Hugues Draelants. « Il renvoie à une école d’antan qui n’a pourtant jamais existé » nous dit-il.
Le débat sur l’uniforme, cela fait près d’un siècle qu’il revient sur le devant de la scène. Depuis le début du XXIème, siècle selon Claude Lelièvre. Un débat porté essentiellement par la droite – une droite nostalgique d’une École fantasmée, qui n’a jamais été, plus rarement par l’extrême droite. Le 12 janvier dernier, c’est le rassemblement National, par la voix de Roger Chudeau qui avait présenté une proposition de loi imposant le port de l’uniforme afin de « contribuer à sa modeste mesure » à « redresser la barre du navire sans cap, sans pilote, sans boussole qu’est devenu notre système éducatif ». Le Café pédagogique vous relatait les débats qui avaient eu lieu et présageait déjà que si « cette fois-ci encore, la loi n’a pas été adoptée malgré les votes communs du RN et de LR… Gageons que l’obligation du port de l’uniforme est sortie par la petite porte pour mieux revenir par la grande… ». Et nous ne nous étions pas trompés. Lundi 4 septembre dernier, Gabriel Attal, expliquant vouloir en finir avec ce débat sans fin, se déclarait « très favorable à l’expérimentation » afin de « faire avancer le débat ». Il affirmait aussi « ne pas être sûr que ce soit une solution miracle qui permette de régler tous les problèmes de l’école », mais qu’elle méritait d’être testée. Il précisait aussi qu’il souhaitait que ce soit une demande concertée de l’ensemble de la communauté éducative.
Le 11 décembre dernier, le ministre a confirmé à France Info sa volonté de lancer l’expérimentation, il assurait qu’un « vrai suivi de recherche » serait mené afin de mesurer l’impact sur l’autorité, la laïcité et le harcèlement.
Pas d’effets selon la recherche
Du côté de la recherche, si la littérature scientifique française est peu prolixe sur le sujet, celle anglo-saxonne permet de se faire une idée sur les effets du port de l’uniforme nous explique Hugues Draelants, sociologue. « La littérature scientifique américaine et anglaise ne montre pas que les uniformes aient un effet sur les apprentissages ou sur le climat scolaire malgré certaines allégations qui leur prêtent beaucoup de vertus ». Quant au sentiment d’appartenance à l’établissement ou à l’école, qui on le sait a un effet positif sur le climat scolaire, là aussi, le chercheur tempère. « L’uniforme permet aux élèves de se reconnaitre, d’être reconnus. Mais cet intérêt, c’est surtout celui des écoles elles-mêmes. C’est un signal envoyé à un certain type de public, celui des familles qui s’inquiètent de la fin de l’autorité… Une façon de montrer que l’établissement marque une forme de lutte contre le déclin de l’institution en instaurant une rupture entre le monde de l’école et la culture de masse, une rupture avec le monde extérieur, la culture juvénile. Une façon de dire : l’école c’est un monde où l’on vient travailler. Ce sont toutes ces idées que charrie le port de l’uniforme ». Quant aux prétendues vertus sur la lutte contre le harcèlement, là aussi, Hugues Draelants modère les effets de l’uniforme. « Les travaux qui portent sur les écoles ayant adopté un uniforme montrent que les jeunes ont des moyens très nombreux de se distinguer. Si les différences sont atténuées, elles se retrouvent dans le matériel scolaire, dans les accessoires. Il ne faut pas s’illusionner, l’uniforme n’adoucira pas la normativité des jeunes et le fait que leur tenue représente une appartenance à ‘’un clan’’ ».
Des collectivités candidates sans l’aval des écoles et établissements
Malgré le manque d’assise scientifique, aujourd’hui plusieurs collectivités se sont portées volontaires. Il faut dire que la prise en charge pour moitié par l’État (100 euros sur 200 euros que couterait la tenue) a fini de convaincre les plus motivées. Une prise en charge qui ne durerait pas dans le temps a concédé Gabriel Attal lors de l’émission Focus Dimanche 17 décembre. En Région parisienne, la ville de Puteaux a affirmé que le Gouvernement a accepté sa demande d’expérimentation qui devrait se dérouler dans quatre écoles : Jean de la Fontaine, Défense 2000, Bergères et Parmentier. Pourtant, dans les faits, c’est loin d’être sûr. « Cette décision, c’est le fait du roi, ou plutôt le fait de la reine Joëlle Ceccaldi-Raynaud des Républicains» s’exaspère François Poezevara, élu de l’opposition depuis 2014. « Il n’y a pas eu de vote. C’est surtout madame la Maire qui a décidé toute seule. Ici c’est souvent le cas. On est dans une gestion de la ville de père en fille, une forme de dynastie où le pouvoir serait hérité ». Et si le conseil municipal n’a pas été consulté, les conseils d’école des écoles citées non plus contrairement à ce que préconise la procédure. « Nous avons appris dans la presse que notre école était volontaire pour expérimenter le port de l’uniforme », nous confie une enseignante qui souhaite garder l’anonymat. « C’est vrai dans notre école mais aussi dans au moins une autre », affirme-t-elle. Pourtant, dans un communiqué de presse, la ville assure qu’elle « a bien évidemment pris attache avec les directeurs des écoles concernées, afin de s’assurer qu’ils s’inscrivent bien dans l’esprit porté par cette expérience ».
Le cas de Puteaux est loin d’être isolé semble-t-il. Les différentes collectivités qui ont candidaté devront attendre le vote en conseil d’école, pour ce qui est du premier degré, et en conseil d’administration pour les collèges et les lycées. Un sujet supplémentaire de friction dans une École déjà largement éprouvée.
Pour Guislaine David, co-secrétaire générale de la FSU-SNUipp, « comme avec beaucoup de sujets avec le ministre Attal, l’uniforme est un écran de fumée qui lui permet de ne pas répondre aux vraies questions sur l’éducation. Pendant qu’il parle de ça, il ne parle pas de conditions de travail dégradées, d’effectifs chargés dans les classes ou encore de salaire des enseignants. L’uniforme ne démocratisera pas l’école bien au contraire, il ne fait que répondre aux électeurs de la droite et de l’extrême droite, ce qui devient avec ce gouvernement une habitude… » .
Prévue cette semaine, l’annonce des collectivités retenues est « reportée à une date ultérieure », nous dit-on au ministère. Après le vote de la loi immigration, basée majoritairement sur l’idéologie de la droite la plus extrême, l’expérimentation de l’uniforme semble être un gage supplémentaire de l’allégeance à la droite dure du second quinquennat Macron.
Lilia Ben Hamouda