Que sous-tendent les annonces sur le collège de Gabriel Attal du 5 décembre dernier. La fin du collège unique répond Claude Lelièvre, historien. Il rappelle comment René Haby avait été chahuté lors de sa mise en place et analyse les enjeux d’un brevet conditionnant l’entrée en seconde.
Il prétend s ’en prendre à un « glissement vers un collège plus uniforme qu’unique » mais son annonce d’un examen du brevet désormais condition nécessaire pour entrer en seconde et de « classes de prépa au lycée » pour ceux qui ne l’auraient pas obtenu du premier coup permet de se rendre compte de son intention réelle.
Depuis des dizaines d’années le « collège unique » est de fait l’objet d’une valse-hésitation entre être le prolongement de l’école primaire dont il serait la continuité dans la scolarité obligatoire ou bien être le prélude au lycée général, sur lequel il calque d’ailleurs son fonctionnement.
Le brevet n’a jamais été une condition pour entrer en seconde . Il a toujours été conçu comme un examen terminal. En faire l’examen de l’entrée en seconde changerait profondément son rôle (par-delà ses modalités changeantes) et serait choisir que la finalité du collège est d’être une propédeutique au lycée et non pas la deuxième phase d’une instruction obligatoire ( pour tous).
Ce serait donc la fin du « collège unique » (sans mot dire…), de son ambition et de son sens historique. Dans une tribune parue dans « Le Monde » du 21 octobre 1993 (en réponse au jeu de mot facile proféré déjà cette année-là par le ministre de l’Education nationale François Bayrou : « collège unique, collège inique »). le ministre de l’Education nationale de VGE – René Haby- a répondu très nettement que « la formule même de collège unique a été inventée et utilisée pour la première fois, en 1975, par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing » tout en précisant qu’il s’agissait de « proposer à tous les jeunes Français de suivre ensemble un ‘’ tronc commun ‘’ de formation, prolongeant et élevant celle de l’école primaire, une action socialement très volontariste »
Valéry Giscard d’Estaing s’est prononcé là-dessus sans ambiguïté dans le « Monde » du 26 avril 2001 : « Tout le monde devait aller au collège, et tous les collèges devaient être les mêmes. Dans mon esprit, ceci devait s’accompagner d’une réflexion sur la définition de ce savoir commun qui devait être identique […]. Le débat doit se concentrer sur cette question : quels savoirs donner à cet ensemble de jeunes qui constituent un acquis culturel commun ? On n’a guère avancé depuis vingt-cinq ans. Au lieu d’avoir rabattu tout l’enseignement des collèges vers l’enseignement général, les rapprochant des classes de la 6° à la 3° des lycées d’autrefois, en un peu dégradé, il aurait mieux valu en faire une nouvelle étape de la construction du cycle scolaire »
Comme l’ont déjà souligné Philippe Raynaud et Paul Thibaud dans un livre qui a fait date (« La fin de l’école républicaine », Calmann-Lévy, 1994), « l’idée centrale était de créer avec le ‘’collège unique’’ l’analogue de ce qu’avait été l’école primaire sous la troisième République ».
Quant au « glissement vers un collège uniforme » évoqué par Gabriel Attal, l’antienne de la menace de « l’uniformité » et du « nivellement par le bas » est présent dès l’instauration même du « collège unique ».
Le ton des invectives a alors parfois été très rude, même dans le camp politique de Valéry Giscard d’Estaing. Ainsi Jean-Marie Benoist, pourtant candidat UDF aux législatives de 1978, a mené la charge dans un livre paru en 1980 chez Denoël. : « La génération sacrifiée ; les dégâts de la réforme de l’enseignement ». Il accuse cette réforme « de participer à l’œuvre de destruction de l’esprit que subissent en leur crépuscule les sociétés libérales occidentales […], d’aller vers le règne de l’uniformité, digne des démocraties populaires et vers la dépersonnalisation absolue, celle des steppes et des supermarchés ». Il condamne cet « égalitarisme absurde, forcené, uniformisateur et lacunaire ». « Ce mythe égalitaire – ajoute-t-il – est digne de ce peuple de guillotineurs que nous sommes depuis 1793, et se traduit par la culpabilisation de tout aristocratisme, de tout élitisme dans le savoir : raccourcir ce qui dépasse, ce qui excelle, voilà le mot d’ordre »
Par ailleurs le SNALC (Syndicat national des lycées et collèges) dénonce une « OPA sur le ministère » dont le ministre René Haby serait l’instrument : faire passer dans les faits le plan Langevin-Wallon et s’inspirer de la doctrine du parti communiste » (« Le Monde » du 22 septembre 1976)
Avec un pareil antécédent et cette lucidité sans pareil, on comprend que ce syndicat n’a pas manqué de se réjouir publiquement des préconisations du ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal. On est maintenant plus cauteleux en l’occurrence, « sans mot dire ». Mais cela revient au même.
Claude Lelièvre