Nafissa Saiah enseigne en ULIS depuis quelques années. Elle raconte sa découverte et ses premiers pas dans le dispositif. Elle en profite pour faire son mea culpa auprès de ses collègues auprès desquels elle est arrivée comme un « bulldozer ».
Il est toujours intéressant de se pencher sur ses premières impressions après une prise de poste avant que les habitudes et l’expérience ne changent son regard, qu’on se sente à l’aise avec un jargon, mais aussi malheureusement qu’on accepte comme une fatalité des pratiques qui nous paraissaient aberrantes la première année.
Les circonstances d’une prise de poste en ULIS (Unité localisée pour l’Inclusion scolaire) sont variées : première année qui découvre le dispositif avec un coup de cœur ou une fuite immédiate, enseignant qui cherche à passer son CAPPEI (certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’école inclusive) et qui sécurise son poste, enseignant qui déménage et qui prend un peu par hasard un des postes vacants au mouvement. J’appartiens à cette dernière catégorie.
J’ai la chance d’avoir bénéficié dans ma précédente école d’un dispositif ULIS malvoyant (TFV), avec une coordonnatrice chevronnée et enthousiaste. J’ai tiré des leçons de cette expérience pour ma prise de poste. J’ai appris à accueillir l’élève dès 8h30 – ce temps de l’appel est un moment d’appartenance collective. À mettre en place des rituels – ils sont plus faciles à adapter. J’ai supprimé de mon vocabulaire l’expression « renvoyer l’élève ». J’ai accepté ne pas me culpabiliser si l’élève semble moins actif ou décalé par rapport aux autres, on peut être surpris de ce que les élèves apprennent en écoutant et en observant leurs camarades. J’ai dû faire confiance à la coordonnatrice pour aider aux adaptations. Cette expérience m’a aussi permis de ne pas hésiter à m’appuyer sur les partenaires de soin, orthophoniste, psychologue, psychomotricien : ils apportent un autre regard et des outils concrets. J’ai aussi découvert comment créer un lien avec les parents de cet élève qu’on a parfois peu et qui n’osent pas, ils sont une mine d’informations pour le comprendre et l’aider.
J’ai donc hérité du poste en ULIS TFC (Troubles des fonctions cognitives), en tant qu’enseignante non spécialisée qui tirait des leçons de cette expérience, plus concentrée par le questionnement de ce va et vient avec la classe que par l’organisation des apprentissages dans le dispositif dont je n’avais aucune vision concrète.
Un bulldozer dans l’école
Je suis arrivée comme un bulldozer. Je pensais rendre service aux enseignants en mettant en place des corrections de ce que j’avais vécu, sans prendre en compte leurs propres besoins et leurs propres visions des choses. Je me suis passée de l’aide précieuse de l’ AESH co ( Co- Accompagnant des Élèves en Situation de Handicap) chevronnée de l’ULIS, en l’envoyant pratiquement tout le temps en CP pour que deux nouveaux élèves d’ULIS soient inclus le plus possible alors qu’elle avait une relation durable et privilégiée avec les autres élèves qu’elle ne suivait plus. Et j’ai organisé une réunion des parents, les encourageant à être présent aussi aux réunions des classes de référence en oubliant un peu que la plupart n’habite pas sur place et qu’ils n’oseront pas en réunion solliciter l’enseignant.
Plus d’accueil en ULIS, plus de liste cantine ULIS, plus de rang ULIS, plus de projet ou sortie ULIS. Toutes les activités ludiques, les journées thématiques, les dernières journées avant les vacances pour les jeux, les anniversaires dans la classe de référence.
Avec le recul, j’aurais pu fonctionner par étape. L’avantage est que je n’avais pas d’autre référence que cette organisation, je n’avais jamais connu la CLIS. Que des élèves de 9 ans doivent être avec des élèves de 9 ans peu importe leur niveau scolaire me paraissait banal, que l’ULIS ne soit qu’une aide supplémentaire, qu’ils aient leur place comme tout à chacun dans leur classe était une évidence. La force de l’aveuglement est aussi une force de conviction et de mouvement.
Les élèves : un bonheur au quotidien
Et puis j’ai rencontré les élèves. Quelle chance énorme de commencer avec eux.
D’une élève dont le handicap était visible, qui pouvait faire peur aux autres enfants et sans que je veuille l’admettre me faisait peur par ses gestes très brusques mais sans mauvaise intention, qui avait un humour, une malice une coquetterie et une façon brillante de vouloir éviter de s’y mettre en changeant de sujet.
D’un élève, rayon de soleil, avec un sourire d’une gentillesse et d’une douceur sans nom, avec si peu de confiance en lui, qu’on avait envie de le regonfler pour lui faire toucher les étoiles.
D’un élève mutique, qui se cachait le visage pour mieux sourire aux blagues ou aux gaffes qu’on pouvait faire et qui à 16h20 quand plus personne n’avait le temps d’écouter commençait à raconter sa vie.
D’un élève qui avait passé sa scolarité en ULIS qui en avait assez de l’étiquette handicap, qui pour se différencier, affichait du mépris envers les autres élèves du dispositif et de l’insolence vis-à-vis de moi dans les couloirs, tout en étant avide d’aide et d’explication quand on était à l’abri des regards, en ULIS.
Et tant d’autres…
Repenser toute son organisation et sa pratique pédagogique
Pédagogiquement, j’étais contente d’avoir géré des classes de CP, CM1 et CM2. Avec cette expérience, je pouvais envisager les attendus de fin de cycles, soit comme un horizon, soit comme une barrière inatteignable. Je ne sais pas comment des jeunes enseignants ont pu aborder les programmes en commençant en ULIS. C’est une gageure et c’est admirable.
Quant à l’organisation en petit groupe, en atelier, seul l’APC pouvait se rapprocher de ce que j’allais vivre. Que j’ai regretté de ne pas avoir choisi de poste en maternelle !
Seule certitude, tous allaient apprendre à lire et à écrire, je chercherai sans relâche toute méthode, toute activité, tout rituel pour les aider. Pour apprendre à compter, ce fut une autre affaire, la première année, je me suis vraiment sentie démunie. Une progression avec du matériel Montessori, des activités ERMEL autour de la construction du nombre, mais je ne me doutais pas de toutes les fonctions cognitives superposées que sollicite une activité mathématique. Chaque élève était bloqué pour une raison différente. Aujourd’hui encore, je cherche … et pour longtemps.
La première année, on est accompagné comme un tout jeune enseignant en premier poste. Quand on est visité, on ne comprend pas ce qui pêche, on ne comprend pas cette idée d’adaptation, d’objectif ciblé, on pense qu’il faut tout baliser, simplifier, que surtout ce qui importe c’est le matériel qu’on va apporter. On va sur les sites précieux des enseignants d’ULIS (Alice en ULIS, Un tour en ULIS, Mimiclass) et on trouve leurs fiches tellement bien faites, il y a des couleurs, c’est gros, sauf qu’on lit en transversal ce qui est noté à chaque fois : « que ces supports ont été créés pour répondre aux besoins spécifiques des élèves » qu’ont ces enseignants, que ce sont des profils individuels, que c’est à la carte et donc qu’à moins de mettre la main à la pâte en adaptant nous-même, cela n’aidera pas notre élève ou notre groupe.
Peut-être pas assez vite, on comprend qu’il faut déjà demander à l’élève concerné ce dont il a besoin et le questionner, l’observer, beaucoup…
Et puis il y a le travail de préparation autour du projet de chaque élève : et on se retrouve noyé dans une myriade de sigles : MDPH, GEVASCO, CDAPH, ESS, PPI, PPS, ERSH, SESSAD, CAMSP, IME, ITEP, on pensait connaître le CMPP et on découvre le CMPI. Heureusement, il y a des formations ASH et des sites comme Ressources école inclusive avec son glossaire. Et on s’appuie sur l’enseignant référent pour la scolarisation (ERSH) de notre secteur, qui mène les réunions et qui les connait tous.
Et on apprend…
A la prise de poste, le temps nécessaire pour s’ajuster est un puit sans fond. Alors on apprend à améliorer un seul point chaque année.
On commence par l’espace, la salle du dispositif, si c’est nécessaire. Puis on s’attelle à la préparation administrative : on construit ses projets individuels, ses fiches d’observations, ses fiches de liaisons avec la classe de référence, ses fiches de liaison avec le périscolaire. Chaque année, on formalise en simplifiant et en rendant les documents lisibles pour chacun. Puis on arrête un temps de les modifier car c’est sans fin.
On institutionnalise, donc on organise les rendez-vous. On se fixe des rencontres bilans avec les enseignants en les formalisant pour qu’ils soient ciblés sur les apprentissages de l’enfant toutes les périodes ou tous les trimestres pour changer l’emploi du temps, ajuster les objectifs d’apprentissages. En essayant d’arrêter de les solliciter tout le temps entre deux portes parce qu’ils ont d’autres priorités : tous les autres élèves de leur classe. On se positionne comme un enseignant tout comme eux même s’il est particulier dans une configuration particulière. On essaie progressivement de leur faire comprendre que si l’on connaît toutes leurs contraintes pour les avoir vécues (gros effectifs, gestion des élèves avec troubles du comportement sans aide) notre priorité contractuelle reste l’application du projet pédagogique de chaque élève du dispositif. On s’appuie sur le directeur ou la directrice, qui fait le lien avec toute l’équipe enseignante, qui sera garante de l’organisation des réunions et de l’appartenance des élèves d’ULIS à l’école tout entière.
On fait le lien avec l’équipe du périscolaire parce que la cantine, les temps d’accueil du matin et du soir sont des temps importants et parfois complexes pour les élèves.
On reste disponible pour les parents mais pas tous les soirs et pas pour tous les sujets. On se fixe des moments dès qu’on observe un changement, et on s’astreint à les appeler sans empiéter sur son temps personnel avec notre famille, parce que certaines situations très complexes n’ont pas besoin d’être entendues et amenées à la maison. Bref on prend beaucoup de temps en début d’année pour rassurer et établir un lien de confiance et on se fixe si possible des temps, un lieu.
On fait confiance aux partenaires de soin en leur montrant qu’on est disponible pour des bilans, ils font régulièrement des réunions, à nous, d’échanger nos points de vue pour faire progresser l’élève. Plus on leur apporte des informations plus ils partageront eux aussi des informations parfois sensibles mais qui éclairent l’attitude de l’élève d’un jour nouveau.
On apprend à adapter les documents certes mais surtout notre pédagogie en fonction de l’élève qu’on a en face de soi, et pour ce faire on se forme, on va voir d’autres coordonnatrices expérimentées, on passe le CAPPEI pas nécessairement pour apporter toutes les réponses, mais pour se poser les bonnes questions – accessoirement pour choisir son poste et le stabiliser.
On apprend surtout à mettre son ego de côté et à être bien plus patient, le temps de l’ULIS est un temps long, on ne sera pas une super maîtresse parce qu’on a fini le programme, on fera progresser les élèves, mais à leur propre rythme, et leur succès sera la somme de tout ce qui a été mis en place par l’école, les partenaires, les parents et surtout l’enfant lui-même qui trouve ses propres stratégies de compensation. On fera confiance à son AESH, qui avec son regard et son positionnement voit réellement l’écart entre ce qu’on voulait mettre en place et ce que l’élève en fait quand il est seul face à sa feuille dans la classe de référence mais aussi dans l’ULIS.
On apprend à écouter, s’effacer, parce que tout est affaire de partenariat.
On cherche toujours une entrée pour faire comprendre une notion à un élève, et contrairement à ce qui se passe dans la classe « classique », pas d’effet groupe classe, si on a mal conçu sa séance, rien à faire ça ne marche pas. Et c’est passionnant, parce qu’il faut innover tout le temps et que surtout, ces élèves-là, nous donnent des pistes pour trouver des solutions. Et quand ça fonctionne quelle satisfaction, quelle fierté pour tous !
Je pourrais développer chaque point mais ceci présente la déferlante passionnante d’une prise de poste en ULIS. Elle est singulière car elle ne reflète que mon expérience personnelle. Elle parlera peut-être à certains/certaines. Je la conseille à tous.
Nafissa Saiah
Petite sitographie
Alice en ULIS – Heureux qui comme… ULIS ! (eklablog.com)
un-tour-en-ulis – (eklablog.com)
Mimiclass – Le p’tit blog d’une enseignante spé pour tous !