Bruno Devauchelle analyse les recommandations de la conférence de consensus du CNESCO sur l’évaluation au regard de ce que prônait le B2i dès sa création en 2000. « Le B2i a été largement en avance sur son temps », explique-t-il. « Le travail fait par le CNESCO est une sorte de reconnaissance pour les initiateurs de ce dispositif au début des années 2000 »
À la suite de la conférence de consensus du CNESCO sur l’évaluation, se trouve posée la question de l’évaluation par compétences. Or, en 2000 le B2i apparaît dans le paysage scolaire et il porte l’idée d’une évaluation par compétence. Il est intéressant d’interroger les recommandations en regard de ce que le B2i proposait. Étant impliqué depuis de nombreuses années sur les questions d’évaluation en particulier autour de mes travaux sur le B2i et autres travaux sur les compétences (socle commun, primaire etc.…), le rapport du CNESCO vient à point nommé rappeler des orientations qui croisent mes réflexions, recherches et observations. Je propose de questionner ces recommandations en regard de mes travaux antérieurs.
Enrichir les pratiques pédagogiques
Intégrer l’évaluation dès le début de la conception d’une séquence
Lorsque le B2i est apparu, l’évaluation faisait partie du dispositif lui-même et avait été pensée dès le début en 2000.
Expliciter des critères de réussite compréhensibles par tous les élèves
C’est un des problèmes essentiels de toute approche par compétences. Si les critères sont souvent contenus dans le libellé des compétences, ce sont les indicateurs qui posent le plus souvent problème et en particulier le niveau d’exigence de ces indicateurs
Prendre en compte les obstacles potentiels liés à une situation évaluative pour tous les élèves
La différenciation n’a pas été initialement prévue dans le B2i car des paliers de réussites n’ont pas été initialement explicités (cela est intégré désormais dans le PIX). C’est d’ailleurs ce qui a fait difficulté dans la mise en œuvre dans les établissements. Toutefois les concepteurs l’ont évoqué dans le texte initial laissant le soin aux équipes de mettre en place les modalités concrètes en se basant en particulier sur l’implication de l’élève.
Cibler les feedbacks sur les tâches et sur les critères de réussite de ces tâches, et non sur les élèves
Le B2i est centré sur les tâches et la « co-évaluation » avec l’enseignant. Le fait que ce soit l’élève qui sollicite la validation a pour conséquence directe d’amener à un feedback potentiel lors de la prise de décision de la validation
Faire en sorte que les feedbacks (ou retours d’information) soient perçus comme utiles par les élèves
Lors de la validation commune avec l’enseignant, ces feedbacks peuvent être davantage développés que dans une approche plus classique du processus de retour auprès des élèves.
Confier aux élèves un rôle dans l’acte d’évaluer
Cette partie est évidente dans le B2i, et elle semble moins importante dans le PIX. En effet l’élève renseigne la feuille de position avant la validation éventuelle par l’enseignant lorsque la compétence a été observée avec une « stabilité suffisante« . C’est d’abord l’élève qu’on invite à se proposer à la validation.
Organiser des temps durant lesquels les élèves peuvent se tester (pour mieux mémoriser)
La mise en place du B2i reposait d’abord sur les choix d’organisation de l’équipe enseignante. La demande d’une stabilité dans la compétence est une amorce du processus d’autotest et donc d’amélioration non pas de la seule mémorisation, mais aussi de la compréhension de la compétence.
Développer une culture commune autour de l’évaluation
Promouvoir des modalités de formation et d’accompagnement qui favorisent l’évolution des pratiques évaluatives en classe
La mise en place du B2i n’a pris son ampleur que lorsque les IUFM s’en sont emparés au travers du C2i2e. Par effet miroir, faire vivre aux enseignants en formation un dispositif proche de celui qu’ils seront amenés à développer auprès des élèves a été en partie mis en place.
Inscrire la référence à l’évaluation dans la classe dans tout projet d’école ou d’établissement afin de penser et d’harmoniser les pratiques à l’échelle locale
C’est une des difficultés principales de la mise en place du B2i. Trop souvent, plutôt que d’en faire une affaire collective, les responsables des établissements ont choisi (ou été contraints parfois) de déléguer cette évaluation à une seule personne, un enseignant spécialiste des usages de l’informatique. Quant à l’intégration dans les projets d’école ou d’établissement, au-delà du seul caractère formel, l’informatique, le numérique n’ont que récemment été portés de manière assez générale dans ces textes.
Éviter au maximum le recours à des moyennes et interroger leurs fonctions
Lors de la mise en place du B2i, la question de la « moyenne » a été évoquée en creux au sein des équipes. C’est dans l’expression de la difficulté à évaluer des compétences que l’on a pu entendre ces critiques et cette comparaison avec les notes et les moyennes. Dans certains cas, on a même pu observer un « refus » face à une évaluation si nouvelle.
Rendre compte régulièrement et de façon claire aux parents des acquis et des progrès des élèves
La présence d’une feuille de position comme outils de dialogue entre l’élève et l’enseignant a été un premier pas. Certains logiciels de suivi du B2i ont permis d’ouvrir aux parents un regard sur la progression des élèves. Cependant, cela est resté très modeste, car les ENT n’en étaient qu’à leur début et que le partage des évaluations avec les parents restait centré sur les bulletins de notes plutôt que sur les livrets de compétences (encore en cours de mis en place au primaire et nouveaux pour le secondaire)
Simplifier et homogénéiser les documents nationaux de cadrage
La présence d’un référentiel de compétences en lieu et place d’un programme est un premier moyen d’améliorer une convergence vers un cadrage global. Malheureusement l’entrée par les compétences et sans un enseignement spécifique a largement déstabilisé les équipes. Quant aux documents nationaux, il faudra attendre quelques années (de 2000 à 2005) pour que cela se mette en place au travers du socle commun de connaissances et de la formation des enseignants (C2i2e) selon les mêmes modalités que les élèves. Malgré les efforts des concepteurs du B2i, le ministère de l’éducation a peu facilité une simplification et un cadrage national au travers de ses propositions et documents pour la mise en place. Ainsi en a-t-il été du côté des applications informatiques de suivi des élèves qui n’ont pas été en mesure de réellement intégrer le B2i dans son esprit, tout comme cela s’est passé à la même époque pour l’évaluation des Travaux Personnels Encadrés en lycée (TPE).
Pour conclure, Il faut le reconnaître, le B2i a été largement en avance sur son temps. Le travail fait par le CNESCO est une sorte de reconnaissance pour les initiateurs de ce dispositif au début des années 2000. Dans la lignée de ma recherche en thèse, j’ai souvent eu l’occasion de travailler avec les équipes enseignantes autour de la mise en place concrète de ce dispositif. C’est de là que viennent mes analyses et aussi des rencontres avec d’autres chercheurs et spécialistes du domaine. On ne peut que déplorer qu’il faille plus de vingt années pour arriver aux mêmes conclusions, alors qu’à l’époque les critiques étaient si nombreuses.
Bruno Devauchelle