Avec François Jarraud depuis 2001, avec Lilia Ben Hamouda aujourd’hui, le « Café pédagogique » a été et continuera à être un média essentiel pour tous les acteurs de l’éducation.
En ce début de janvier 2023, François Jarraud, qui anime l’équipe du « Café Pédagogique » depuis 2001, passe la main pour profiter d’un droit bien mérité à la retraite. Il ne bat pas en retraite pour autant et restera en appui et en renfort de la nouvelle équipe.
Ainsi donc, pendant plus de 20 ans, François aura été le maître d’œuvre, tous les jours de l’année scolaire, d’une nouvelle édition du « Café »… soit près de 4 000 « expressos » qui représentent, au total, plus de 50 000 articles ! Un travail de titan pour suivre l’actualité éducative et scolaire, lire une quantité phénoménale de dépêches, documents, rapports et ouvrages, mener et transcrire des centaines d’entretiens, commander et mettre en ligne les articles de multiples collaborateurs, rendre compte de toutes les conférences de presses importantes, écrire des analyses toujours informées et percutantes à la fois… On n’imagine pas le courage et l’énergie qu’il a dû déployer dans cette entreprise unique : mettre à disposition de tous les acteurs de l’éducation, gratuitement et tous les matins, un ensemble d’informations et de textes qui permettent, non seulement de savoir ce qui se passe dans et autour de l’institution scolaire, mais aussi d’en saisir les enjeux, de découvrir de nouveaux outils et de nouvelles ressources, de prendre connaissance de l’actualité de la recherche, d’accéder à un ensemble impressionnant de documents qui éclairent l’exercice des métiers de l’éducation.
Car le « Café pédagogique » a, sans aucun doute, été, ces vingt dernières années, l’un des moteurs les plus puissants de la construction d’une identité professionnelle enseignante. Alors que les rouages officiels de l’institution, de plan de restructuration en réforme improvisée, peinaient à garder le contact avec les acteurs de terrain, le « Café » représentait pour, un nombre fantastique d’entre eux, un lien essentiel pour se sentir partie prenante d’une aventure pédagogique collective, se maintenir « à flots » et, parfois même, éviter de sombrer dans la déprime.
François sait l’importance de tout cela, car il est l’un d’entre nous. Professeur dans l’âme et journaliste hors pair à la fois, il n’a cessé, pendant toutes les années où il a tenu les rênes du « Café », de se sentir profondément solidaire des enseignants. Cette solidarité est même, sans aucun doute, sa « marque de fabrique », son « fil rouge »… ce qui l’a rendu si proche de ses collègues enseignants et a désarçonné aussi bien quelques-uns de ses collègues journalistes que beaucoup de responsables politiques et administratifs qui se sont succédé dans l’institution. À côté des alternances ministérielles et des injonctions successives – et souvent contradictoires – de la hiérarchie, face à de multiples évolutions de toutes sortes qui ont profondément déstabilisé notre École, Le « Café » est resté présent, attentif, éveillé et tenace, pour dire aux enseignants : « Nous sommes là… Ensemble… Exigeants pour nos élèves… Refusant qu’on abime notre institution… En quête permanente de ce qui nous permet de mieux faire notre métier… Et d’avancer vers une société plus juste et plus solidaire. »
Mais la solidarité, pour François, n’est pas la complaisance. Sa personnalité, d’ailleurs, l’en préserve. Parfois bougon ou taciturne, il ne sombre jamais dans la facilité ou la démagogie. La séduction le laisse indifférent, comme la menace. Il ne renonce jamais aux questions impertinentes, celles qui fâchent, mais celles, aussi, qui nous permettent d’y voir plus clair, de mieux expliquer et de mieux comprendre. Même avec celles et ceux dont il est le plus proche, il reste assez incisif pour ne pas se laisser prendre – et nous avec ! – au piège de la langue de bois. Cette vigilance est infiniment précieuse et, pour tout dire, vraiment rare. C’est pourquoi, même quand François agace, il force l’admiration. Il est l’un des nôtres. Et, parce qu’il nous respecte, il ne s’en laisse pas conter !
J’en connais, bien sûr, qui trouvent François trop intransigeant : ils ont tort. On ne l’est jamais assez quand il s’agit de la manière dont on traite celles et ceux qui ont en charge notre bien le plus précieux, nos enfants. D’autres le trouvent trop arc-bouté sur la défense et la promotion du « Café ». Ils ont tort aussi. L’existence et le développement du « Café pédagogique » ne constituent en rien une concurrence pour quiconque ; c’est, au contraire, un moyen infiniment précieux pour rendre plus visibles et plus lisibles les questions éducatives et, donc, pour faire entendre toutes les voix dans ce domaine. D’autres, encore, pointent, ici ou là, tel propos rapide ou excessif. Ils ont peut-être raison. François n’est pas parfait. Mais je les mets au défi de repérer des erreurs de jugement sur la durée ! Et puis, François a « tenu la barre », contre vents et marées, malgré les coups du sort et les coupes de subventions. Et, pour cela, nous n’avons pas seulement à lui dire « merci ! », nous pouvons lui dire : « Chapeau ! »
François ne quitte pas complétement le « Café » mais en confie les rênes à Lilia Ben Hamouda. Lilia le connaît bien, car elle a travaillé en proximité avec lui. Lilia n’est pas François et elle développera le « Café » en restant fidèle à ses valeurs fondatrices, mais avec sa sensibilité propre et d’autres méthodes. Lilia est, elle aussi, une enseignante engagée pour une école plus juste et émancipatrice. Et, en cette période de vœux, nous lui souhaitons la plus belle des réussites. À vrai dire, nous n’en doutons pas. François a ouvert la voie et creusé le sillon. Fort de son équipe de rédacteurs et de tous ses collaborateurs, fort de ses adhérents et de tous ses lecteurs, le « Café » continue. Et nous avons bien besoin qu’il continue longtemps !
Philippe Meirieu