» Malgré l’importance qu’il a prise dans le système éducatif, le bac pro reste en quête de légitimité scolaire ». Dans un remarquable dossier consacré au bac professionnel publié par la Revue française de pédagogie (n°198), Fabienne Maillard (Escol Paris 8) analyse les multiples évolutions du bac pro depuis sa création en 1985. Depuis plus de 30 ans , les politiques promènent les jeunes des milieux populaires dans une formation dont les débouchés ne tiennent pas forcément compte des demandes des entreprises et ne permettent pas non plus forcément d’acquérir une reconnaissance scolaire. Et les plus récentes évolutions donnent à penser que la ségrégation et la domination dont souffrent ces jeunes se renforce.
Un projet politique et non économique
Basé sur des années de recherche, notamment sur les débats des commissions réunissant éducation nationale et entreprises (CPC), et des entretiens avec des responsables ministériels, cet article éclaire l’histoire d’une formation qui a changé au moins trois fois de cap en 30 ans sous pression politique. Et qui s’apprête à amorcer un 4ème virage.
Imaginé par le pouvoir politique en 1985 ne nait pas à la demande des entreprises mais dans le cadre d’un vaste projet politique : celui de l’accès massif au bac et d’une école qui réunirait les enfants des différentes classes sociales. Le patronat lui-même est réservé, notamment celui des petites entreprises. Mais pour le pouvoir politique il est clair que le bac pro est un diplôme d’insertion. Par conséquent on installe un stage important en entreprise et les enseignements généraux ne sont pas les mêmes que dans les autres bacs : par exemple pas de philosophie. Dans le même numéro de la revue Xavier Sido montre comment le programme de maths a été conçu dans un but d’application de solution plus que de maitrise des concepts mathématiques. Le problème que rencontre ce bac pro c’est que le ministère n’arrive pas à juguler la montée vers le supérieur de ces nouveaux bacheliers. Et cela l’amène à une redéfinition du bac.
En 2007, un vrai faux bac ?
En 2007, X Darcos impulse une réforme brutale qui fait passer le bac pro de 4 à 3 ans. » Une fois encore, c’est dans une politique scolaire que s’inscrit un tel projet, qui s’intéresse peu aux principes qui régissent le marché du travail malgré les discours qui l’accompagnent, et prend forme sans requérir l’avis des organisations professionnelles qui participent aux CPC », remarque F Maillard. Cette évolution tend encore davantage le grand écart entre formation visant l’insertion et l’accès au supérieur.
Si la réforme met le bac pro à égalité avec les autres bacs dans les discours politiques, F Maillard relève que le ministère oriente fortement vers le seul BTS. » Les BTS vont néanmoins manquer pour accueillir l’ensemble des aspirants potentiels, car ils n’ont jamais été conçus en fonction des bacs pros », remarque F Maillard. » On peut y voir aussi une volonté de massifier l’accès à l’enseignement supérieur en préservant la segmentation des filières et des publics, dans le cadre d’une démocratisation « ségrégative ». L’éventualité d’une propagation des bacheliers professionnels au sein de l’université continue en effet d’effrayer les acteurs de l’enseignement supérieur et les responsables politiques ». D’où les projets de « brevet professionnel » et autres formation courtes réservées aux bacs pros que F Vidal vient le 25 septembre de réinscrire à l’ordre du jour.
Une singularité négative
En conclusion, F Maillard insiste sur la sujétion des lycéens pro aux aléas et aux peurs des politiques et dresse un bilan sévère. » Marquée par une certaine imprévisibilité, en raison de ses retournements et d’une instrumentalisation des diplômes professionnels aux effets délétères sur le marché du travail, la politique menée dans la voie professionnelle depuis une trentaine d’années l’est aussi par ses paradoxes, quel que soit le gouvernement en place. Alors qu’elle mobilise cette voie de formation pour élever le niveau général d’éducation et affirme la nécessité de mettre en adéquation les diplômes avec l’emploi, cette politique s’applique à la scolariser sans la valoriser et à produire différentes définitions de ce peut être un « diplôme professionnel », contre l’avis des partenaires sociaux. Après trente ans de bac pro et de réformes incessantes, le processus de scolarisation de la voie professionnelle la rapproche moins de la voie générale et technologique qu’il ne la désigne par une singularité négative, tout en affaiblissant ses liens avec l’emploi et la qualification ». Lors d’un entretien en 2018 elle nous avait dit : » En fait la voie pro sert à gérer les flux de jeunes dont on ne sait pas quoi faire »…
F Jarraud