Quoi de plus anodin qu’un recueil statistique de données relatives à la « politique éducative sociale et de santé en faveur des élèves » ? Publié par le ministère de l’éducation nationale, cet annuaire, qui contient des indicateurs de la LOLF, réserve pourtant des surprises. On y trouve des chiffres extraordinairement précis mais qui, aux dires des responsables syndicaux, ne décrivent en rien la réalité du terrain. C’est justement celle-ci qui est absente alors que le ministère annonce qu’il va engager infirmiers, médecins scolaires et assistantes sociales dans les Rep+ et que les assistantes sociales préparent un action intersyndicale le 2 avril.
Des statistiques qui cachent plus qu’elles ne révèlent
En une soixantaine de pages, les « données chiffrées » de la politique éducative sociale et de santé en faveur des élèves (2011-2013), veut dresser un portrait précis de l’action de ces services dans le système éducatif. La précision des données, issues des déclarations des professionnels rassemblées par les académies, est souvent surprenante. Mais certains nombres précis semblent fortement décalés avec la réalité perçue des métiers. Par exemple, le recueil annonce 1 263 123 « entretiens » conduits par les assistantes sociales de l’Education nationale en 2012-2013. Un nombre qui coupe le souffle ! D’abord par sa progression : en 2011-2012 on n’annonçait « que » 754 917 entretiens. D’une année sur l’autre on aurait doublé le nombre « d’entretiens » avec le même nombre d’assistantes sociales ! Mais il est aussi surprenant rapporté aux 2 588 assistantes sociales que compte l’éducation nationale. Interrogée par le Café, Marie Wecxsteen, secrétaire générale du Snasen Unsa, principal syndicat de ces personnels, estime ces statistiques non représentatives du travail réalisé par les assistantes sociales . L’annuaire indique également 516 000 élèves « pris en charge » par les assistantes sociales. « Ca n’a rien à voir avec ce qu’on appelle couramment de l’accompagnement social » nous dit Marie Wecxsteen.
Une autre donnée surprenante concerne les infirmières et les médecins. Selon l’annuaire ministériel , 79% des élèves âgés de 6 ans, soit 597 112 enfants, ont bénéficié du bilan de santé prévu par l’article L 541-1 du code de l’éducation. Cette visite permet entre autre de vérifier si l’enfant ne souffre pas de troubles des apprentissages. 600 000 visites médicales pour 1237 médecins scolaires, qui doivent faire face à bien d’autres tâches , c’est beaucoup ! Si on creuse cet indicateur LOLF on découvre qu’en fait la visite se passe « en collaboration » entre médecin et infirmière scolaire. Et que « collaboration » ne veut pas dire que les deux sont ensemble… En fait la grande majorité des élèves n’ont vu qu’une infirmière. C’est confirmé par Béatrice Martinez, secrétaire générale adjointe du Snies Unsa, le syndicat des infirmières et par Jocelyne Grousset, secrétaire générale du SNMSU Unsa, le syndicat des médecins scolaires. Or seul le médecin est capable de détecter les élèves porteurs de troubles des apprentissages, souvent des « dys ». Ce dépistage n’est pas fait pour la majorité des élèves.
Une action intersyndicale annoncée le 2 avril
« La demande sociale déborde », nous dit Marie Wecxsteen, représentante des assistantes sociales. « On fait le pompier en permanence » en répondant au mieux à des situations d’urgence. Or une charge nouvelle est annoncée par le ministère. A la rentrée 2015 chaque Rep+ devra avoir une assistante sociale et une infirmière à temps plein. « On ne voit pas comment ce sera possible alors qu’il y a seulement 50 postes créés à la rentrée », nous a dit Marie Wecxsteen. Les 4 syndicats d’assistantes sociales Unsa, Cgt, FO et Fsu, appelleront à une action commune le 2 avril pour obtenir des moyens. Le mouvement pourrait être rejoint par les infirmières. « A la rentrée il n’y aura que 40 postes créés. C’est insuffisant pour couvrir les besoins des rep+ » , estime B Martinez. J. Grousset ne voit pas non plus comment les médecins pourront atteindre le taux de 90% d’enfants visités en Rep+ à 6 ans.
Les professions sociales et de santé sur le front de la crise sociale
C’est que les besoins explosent aussi dans el domaine de la santé. Selon l’annuaire, le nombre de grossesses chez les élèves a nettement progressé et atteint 3204 cas, 59% des jeunes filles étant mineures. Les infirmières ont du faire face à 14 500 demandes de contraception d’urgence et ont délivré environ 10 000 pilules du lendemain. « On a du mal à faire l’éducation à la santé et à la sexualité qu’exige la loi de 2000 », nous dit Béatrice Martinez. « Il n’y a pas d’horaire dédié dans le curriculum des élèves et on n’intervient qu’en fonction des possibilités des enseignants. L’annuaire montre que les demandes de contraception d’urgence sont plus fortes en L.P. qu’au collège et en lycée général. « C’est lié à la situation sociale des élèves », estime B Martinez, « mais aussi à la façon dont on fait l’éducation à la sexualité. Dans la situation actuelle on est souvent obligé de faire des cours magistraux, une forme d’enseignement qui ne leur convient pas ».
Les infirmières voient augmenter les accueils d’élèves particulièrement ce qu’elles appellent le « séjour temporaire », c’et à dire les accueils qui dépassent 15 minutes. « On a une forte croissance de la demande de soins immédiats. Par exemple, le lundi matin on doit faire face aux traumatismes non soignés durant le week end ». Une situation qui devient difficile car le budget de soins des établissements ne suit pas. Les infirmières ont le sentiment d’être sur le front social. « On reçoit de plus en plus de familles. On devient un acteur de santé publique au delà du cercle scolaire ».
François Jarraud