La bienveillance est un concept qui divise encore les enseignants. Aziz Jellab, Christophe Marsollier coordonnent un livre qui réhabilite, si besoin en est, la bienveillance en dépassant l’opposition à l’exigence. Le point fort de ce livre c’est d’être très concret. D’une part il explique ce qu’est la bienveillance dans le quotidien de la classe même avec des élèves difficiles. D’autre part il donne de nombreux exemples d’établissements qui ont choisi de mettre cette valeur à l’ordre du jour. Aziz Jellab s’en explique dans un entretien.
Spécialiste de l’enseignement professionnel, inspecteur général et chercheur au Ceries, Aziz Jellab signe avec Christophe Marsollier, inspecteur général également, un livre qui pourrait être un manuel de la bienveillance à l’école.
Pour les auteurs la bienveillance n’est pas une posture laxiste mais une exigence professionnelle liée à la démocratisation de l’école. A Jellab montre que la bienveillance est déjà en pratique dans l’enseignement professionnel, justement parce que les élèves y sont plus difficiles qu’ailleurs. Tout un travail y est fait pour transformer des jeunes en refus en élèves. Cela passe par l’attention portée à chaque élève et par une professionnalité enseignante qui sait raccrocher chaque jeune à un projet personnel. Sans cette bienveillance pas de démocratisation de l’éducation possible.
Mais « la bienveillance en actes » n’est pas réservée au lycée professionnel. L’ouvrage donne de nombreux exemples d’établissements « bienveillants ». Ainsi C Clouet décrit le projet du collège S Germain de Nantes. Dans un établissement qui devrait relever de l’éducation prioritaire, les enseignants ont décidé de miser sur la coopération. Chaque classe a son conseil coopératif et le réglement intérieur de l’établissement est adapté. Une pédagogie d’accompagnement est mise ne place. Ce travail bienveillant, Carine Chateau, professeure de lettres, montre qu’il peut être mené au niveau de la seule classe. Carolien Veltcheff montre comment l’architecture scolaire peut aider la bienveillance. En Rep+ P Forstier prséente un programme d’éducation bienveillante basé sur le programme britannique Spark Resilience à La Réunion.
Avec d’autres exemples, l’ouvrage construit ainsi un manuel qui explicite ce qu’est la bienveillance, en donne les justifications éthiques et sociales et ouvre la voie aux applications.
François Jarraud
Aziz Jellab, Christophe Marsollier (dir), Bienveillance et bien être à l’école. Pour une école humaine et exigeante. Berger Levrault, 2018, ISBN 978-2-7013-1970-4
Aziz Jellab : La bienveillance est le fondement de l’émancipation de l’élève
C’est quoi la bienveillance ? Pourquoi a-t-elle si mauvaise réputation chez les enseignants ? Aziz Jellab revient sur les notions de bienveillance en éducation.
Comment peut on définir la bienveillance ?
C’est une certaine disposition positive vis à vis de ses interlocuteurs qui donne une certaine valeur à la personne en face de soi. Dans un contexte éducatif, cette disposition est au fondement de la relation pédagogique car elle est fondement de l’émancipation de l’élève. Ainsi elle a un effet positif sur le rapport au savoir de l’élève.
Pourtant la bienveillance n’a pas bonne réputation dans l’Education nationale…
C’est un des fils de cet ouvrage de montrer que la bienveillance doit être considérée positivement contre les préjugés. Notre système éducatif s’est construit contre l’émotion et la bienveillance est perçue par une partie des enseignants comme affaiblissant la place des savoirs et l’institution. Notre pari c’est de montrer qu’elle peut parfaitement cohabiter avec l’exigence scolaire. L’ouvrage aborde cette question sur le plan théorique avec une réflexion sur le care mais aussi de façon très concrète avec des exemples.
Vous faites un lien entre bienveillance et démocratisation scolaire ?
La base de la bienveillance c’est le pari de l’éducabilité notamment pour les élèves les plus éloignés des normes scolaires. La démocratisation se fait aussi par la façon dont on met en confiance les élèves pour qu’ils puissent se considérer comme capables de réussir. Il faut que les élèves acquièrent une confiance dans l’école pour qu’ils s’engagent dans les apprentissages. Et cela est d’autant plus important pour les élèves d’origine modeste.
Mais c’est aussi la réussite scolaire qui nourrit la confiance…
Un bon climat scolaire est une condition de la réussite scolaire. Mais on peut aussi inverser les termes. On le voit en lycée professionnel. Les élèves qui ont une meilleure estime d’eux mêmes sont ceux qui réalisent que les enseignants sont exigeants et que cette exigence est une bienveillance.
Quand on vous écoute on a l’impression que la confiance dépend de la seule relation pédagogique et que l’institution n’a pas sa part…
C’est vrai que les élèves ont une conscience vive des inégalités par rapport à leur avenir. Mais c’est une des subtilités du système éducatif de savoir dessiner des horizons possibles. Les élèves voient les difficultés sociales et économiques sur leur parcours. Et ils voient aussi que l’école permet d’entrouvrir des possibles, même si elle ne peut pas tout faire.
Le lycée professionnel, que vous connaissez bien, est un terrain de choix pour la bienveillance ?
Les professeurs de LP ont une conscience très vive des effets de ‘lorientation en LP. Il sont aussi conscience qu’ils vont travailler avec des élèves qui ont des difficultés et qui sont suvent fâchés avec l’enseignement général. Aussi ils développent une stratégie qui va amener les élèves à être progressivement moins rétifs dans les apprentissages et à prendre conscience qu’ils apprennent et qu’ils le font pour eux mêmes.
On peut former les enseignants à la bienveillance ?
Les enseignants sont bienveillants. Mais il faut leur apprendre à l’être tout le temps. Par exemple lors des évaluations où il faut dédramatiser l’erreur. Il ne s’agit pas de surestimer la bienveillance mais de lui donner un sens précis : être au coeur de la pédagogie.
L’ouvrage distingue la bienveillance active de la passive…
La bienveillance active c’est faire en sorte que les enseignants soient sensibles aux signaux envoyés par les élèves et à la qualité de la relation avec eux. Par exemple cela passe par la responsabilisation des élèves, leur faire confiance lors d’une mission. Cette participation des élèves à un projet fédérateur contribue à améliorer et le climat scolaire et la relation aux apprentissages.
Propos recueillis par François Jarraud
Aziz Jellab, Christophe Marsollier (dir), Bienveillance et bien être à l’école. Pour une école humaine et exigeante. Berger Levrault, 2018, ISBN 978-2-7013-1970-4