Un charter pour les ZEP ? Le débat sur l’efficacité des ZEP accentue la pression pour leur « recadrage ». Comme souvent dans les débats sur l’Ecole, il y a le sérieux des chercheurs et l’utilisation qui est faite de leurs travaux. Trois chercheurs, Roland Bénabou, Francis Kramarz et Corinne Prost, publient, dans la revue Economie et statistique, les résultats d’une étude sur l’efficacité de la politique menée en ZEP. Les zones d’éducation prioritaire sont un héritage de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Le gouvernement Mauroy voulait « donner plus » aux établissements accueillant des enfants de milieu défavorisé pour améliorer leurs résultats scolaires. Aujourd’hui, un million d’enfants sont scolarisés en ZEP.
Que disent les chercheurs ? « Trois résultats principaux se dégagent de cette étude… D’abord, la masse des dépenses supplémentaires engagées dans les établissements classés en ZEP est loin d’être négligeable au niveau global. Cependant…, les moyens affectés directement aux élèves se réduisent à quelques heures d’enseignement supplémentaires qui n’ont conduit à diminuer le nombre d’élèves par classe qu’assez peu et très lentement… La mise en place des ZEP n’a eu aucun effet significatif sur la réussite des élèves, mesurée par l’obtention d’un diplôme, l’accès en quatrième, en seconde, et l’obtention du baccalauréat… ». Ils soulignent également l’effet stigmatisant du label ZEP : les profs sont plus jeunes (comprenez : les plus expérimentés fuient ces établissements), l’homogénéité sociale se renforce (traduisez : les familles non défavorisées aussi).
Faut-il supprimer les ZEP ? L’étude met plutôt en évidence la trop grande modestie des moyens qui leur sont attribués. Ainsi, en 1992, affirment nos chercheurs, les collèges hors ZEP comptaient en moyenne 24,4 élèves par classe, les ZEP 23,4. Or, en 2004, une autre étude, réalisée par T. Piketty, avait pu calculer qu’en ramenant l’effectif à 18 élèves par classe on augmentait très significativement l’efficacité du dispositif.
D’autres critiques relativisent la portée de l’analyse. Marc Gurgand, dans le même numéro d’Economie et humanisme, apporte une nuance : » les ZEP peuvent paraître n’avoir aucun effet, simplement parce qu’elles ont réussi à maintenir les écarts de résultats observés en 1981, alors même que les difficultés des élèves et les conditions de travail des enseignants empiraient ». Dans un article des « Mutations de l’école » (éditions Sciences humaines), Marie Duru-Bellat rappelle que « l’école a la responsabilité de gérer les carrières scolaires des élèves. Elle le fait certes sur la base de leurs résultats mais aussi en incorporant… des inégalités sociales spécifiques… Ces processus de tri scolaire ont autant d’importance dans la fabrication des inégalités de « destins scolaires » que les inégalités de réussite censées justifier ces derniers ».
Ajoutons que l’étiquette ZEP couvre des situations beaucoup plus hétérogènes que dans les autres établissements. Si certains sombrent d’autres, animés par des équipes auxquelles la République devrait rendre hommage, obtiennent des résultats remarquables. Les ZEP sont aussi un formidable laboratoire d’innovation pédagogique. Or l’étude n’a qu’une approche globale.
L’Observatoire des Zones prioritaires apporte un autre éclairage : « les études de terrain ou certaines enquêtes auprès des enseignants font apparaître que, même si l’on voit peu d’effets sur les performances scolaires mesurées, le comportement des élèves, le « civisme », l’estime de soi s’améliorent. Ce résultat est souvent considéré comme négligeable, or la perte de l’estime de soi est bien un des dégâts de l’école lorsqu’elle dysfonctionne.
A l’occasion de la conférence de presse de rentrée, G. de Robien assurait : « les ZEP sont un instrument pour l’égalité des chances. J’ai beaucoup d’admiration pour ce qui s’y fait. Voyons ce que nous pouvons améliorer. Les idées ne manquent pas ». Dans le contexte actuel de réduction budgétaire de l’éducation nationale, cette « amélioration » pourrait aboutir à la remise en question du dispositif dans son ensemble. Le caractère strictement personnel des « projets de réussite éducative » définis par la loi Fillon, qui occulte volontairement toute dimension sociale de l’échec scolaire, va en ce sens. Selon la bonne vieille formule qui consiste à jeter le bébé avec l’eau du bain, en simplifiant les résultats de cette étude, le débat médiatique sur les ZEP facilitera l’opération. A quoi bon sauver ce qui coûte cher et fait « un bide » ?
Article (en pdf)
Rappel : L’Expresso du 22 avril