L’Ecole peut-elle s’améliorer et si oui comment ? Une première réponse a été apportée par Anthony S. Bryk dans un article analysé par le Café pédagogique en janvier 2018. A. S. Bryk explique pourquoi tant de programmes scientifiques « basés sur la preuve » échouent en classe. Bien loin de la généralisation de « bonnes pratiques » imposées aux établissements, il montre l’importance de l’accompagnement des enseignants ou plutôt des « communautés d’amélioration ». Rebondissant sur cet apport théorique de Bryk, Roland Goigoux, dans Education & didactique (volume 11 numéro 3) définit 4 principes pour une recherche intégrée à la pratique. Une réflexion sur la transposition des savoirs scientifiques dans la classe qui implique une participation effective des enseignants, un véritable échange de savoirs avec les chercheurs.
L’échec de l’application des bonnes pratiques
Alors que le ministère de l’éducation nationale semble, quelques décennies après les Etats Unis, séduit par l’application des « bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves », par exemple la méthode Parler, la réflexion s’est orientée aux Etats Unis sur l’échec des tentatives d’application de ces méthodes basées sur la preuve et les déceptions que cela a engendré. Un précédent numéro d’Education & Didactique (vol 11 numéro 2) reproduit un passionnant article d’AS Bryk sur ce sujet. Il donne aussi la parole à D Meuret et P Rayou (entre autres) qui donnent des exemples et ouvrent des pistes. Le nouveau numéro Education & didactique (volume 11 numéro 3) poursuit ce travail de réflexion sur les conditions de l’amélioration de l’Ecole avec plusieurs articles, notamment une analyse de P Bressoux sur l’échec de PARLER, dont un texte éclairant de Roland Goigoux.
Dans le prolongement de l’article d’AS Bryk, Roland Goigoux définit 4 principes pour réussir ce lien entre recherche et pratique.
Les 4 principes de R Goigoux
Le premier c’est de « reconnaitre l’organisation systémique de toute réforme scolaire ». » Les élèves et les enseignants sont insérés dans des organisations complexes interdépendantes (pour l’école élémentaire par exemple : la classe, l’école, l’environnement scolaire, la circonscription primaire, la direction départementale de l’Éducation nationale, l’État…), ce qui implique que les améliorations visées sur les apprentissages des élèves tiennent compte des contraintes qui pèsent sur l’organisation du travail enseignant ». Il introduit ainsi la réalité sociale de l’école, un système qui organise aussi les décisions et els choix de ses membres. Toute innovation doit s’insérer dans ce système sans en perturber les équilibres. La difficulté est là. » C’est ainsi que le dispositif français « Plus de maitres que de classes » a mis quatre ans pour atteindre sa maturité : une première année a été consacrée aux problèmes de réorganisation du travail collectif au sein des écoles, les deux années suivantes à des améliorations didactiques avant qu’on constate en quatrième année une accentuation de l’attention portée aux élèves en grande difficulté », note R Goigoux. « Il est regrettable que ce dispositif ait été remplacé par un autre dans les réseaux d’éducation prioritaire avant même d’avoir été évalué. Les décideurs français ne sont pas encore des adeptes du paradigme de l’amélioration », ajoute R Goigoux…. Inversement l’échec des programmes de formation des Maisons de la science illustre ce que coute de ne pas prendre en charge cette réalité sociale de l’Ecole.
Cela amène R Goigoux a fixé le second principe : la nécessité de construire un partenariat structuré entre praticiens et chercheurs. » Il est indispensable de considérer que chacun de deux ensembles d’acteurs est détenteur et producteur de connaissances d’égale valeur et d’égale importance », note -il. Dans ce cadre il faut selon lui « partir des préoccupations des praticiens pour déterminer les problématiques de recherche.. Cela implique de modifier la logique actuelle des communautés de recherche qui décident seules des problèmes à aborder en fonction du développement des connaissances scientifiques dans leur domaine ». Dernier point : étudier la façon dont les innovations sont conduites et traiter les variations de mises en oeuvre comme une source majeure d’information ». Pour R Goigoux, ce point » est peut-être celui qui pointe le plus nettement les limites des approches evidence-based. Même si certains décideurs sont tentés de les utiliser de façon normative, il est généralement admis que ces approches n’ont pas vocation à définir les politiques scolaires mais seulement à les éclairer. Pour cela, les décideurs ont besoin de connaitre les sources de la variabilité des effets des réformes qui visent l’amélioration des apprentissages scolaires. Celles-ci génèrent souvent des effets différents selon les contextes sociaux et géographiques, l’organisation de l’école, le niveau initial des élèves, l’accompagnement de l’innovation et, surtout, l’implication des enseignants dans le processus d’innovation ».
La classe n’est pas un laboratoire
C’est à ce prix que l’amélioration de l’Ecole peut être envisagée, estime R Goigoux. Il montre que cela passe par l’étape du prototype, celle de la co-conception et celle de l’évaluation, trois étapes qu’il a appliqué pour son étude sur la lecture en CP. Pour lui, il est nécessaire « de poursuivre le travail de transposition des savoirs issus de la recherche en savoirs pour l’action. Les chercheurs ne peuvent pas déléguer entièrement cette tâche aux enseignants, ils doivent la réaliser avec eux ».
Evidemment ces recommandations prennent à contrepied les propos ministériels sur les bonnes pratiques et les conceptions de son conseil scientifique. Ses membres semblent très majoritairement acquis aux « méthodes qui ont fait leur preuves » dont ils réclament bruyamment l’application. Or enseigner est toujours affaire de contexte, d’environnement, des hasards propres aux aventures humaines. La classe n’est pas un laboratoire ou alors un laboratoire social.
François Jarraud
Roland Goigoux, Associer chercheurs et praticiens à la conception d’outils didactiques ou de dispositifs innovants pour améliorer l’enseignement, Education & didactique (volume 11 numéro 3).