A l’école polyvalente Vaucanson, en plein centre de Paris, les enseignants peaufinaient hier les préparatifs de la rentrée. Une rentrée que le ministre Jean-Michel Blanquer voudrait « la plus normale possible » mais qui dans les faits, est un véritable casse tête. Comment éviter le brassage des élèves ? Comment créer le lien derrière son masque avec les parents et les élèves ? L’inquiétude autour des conditions sanitaires est omniprésente et les questions pédagogiques bien loin… Ce qui faisait regretter aux professeurs le temps des rentrées « joyeuses » et « pleines d’entrain », avant le Covid-19. Reportage.
A 11 heures 45, Geneviève Legal, la directrice de l’école polyvalente Vaucanson, dans le IIIème arrondissement de Paris, réintègre son bureau. Elle rentre d’une réunion avec l’inspectrice de circonscription et rapporte les masques destinés aux enseignants, blancs, lavables jusqu’à 30 fois. On y a notamment évoqué l’hypothèse d’un rebond de l’épidémie et de la nécessité de revenir alors à des demis groupes en classe : les élèves alterneraient deux jours et demi à l’école et deux jours et demi dans des installations de la Ville de Paris, pris en charge par des animateurs… Pour une veille de rentrée, cela met dans l’ambiance.
« Si je me sens prête pour cette rentrée ? Même avec une certaine expérience, on ne se sent jamais prête, répond la directrice. En tout cas, on a beaucoup travaillé pour que tout se passe bien, on a même fait une première réunion avec les enseignants vendredi dernier. » La directrice est interrompue par le responsable éducatif de la ville (REV), en charge du périscolaire – cantine, ateliers, …, – qui vient déposer ses masques, fournis par la Ville de Paris, et veut la consulter. « Il faut aussi se coordonner avec la ville qui a un autre protocole, plus dur que celui du ministère », explique Geneviève Legal.
Faire au mieux
« Faire aux mieux » : c’est le maître mot en cette veille de rentrée à Vaucanson, comme sans doute dans la plupart des écoles de France confrontées à des défis qu’elles sont souvent bien en peine de relever. Ainsi le protocole sanitaire du ministère de l’Education recommande-t-il d’éviter le brassage des élèves, source de propagation du virus. Encore faut-il que les locaux le permettent.
L‘école polyvalente Vaucanson, qui compte 3 classes de maternelle et 6 d’élémentaire, est répartie sur 5 niveaux, avec la cantine installée en demi sous-sol. Pour limiter le brassage, on a instauré un sens de circulation pour la montée et pour la descente. Dans les classes désormais au complet, faute de pouvoir pousser les murs, impossible de respecter la distanciation physique comme avant l’été avec des petits groupes. La récréation, elle, a été dédoublée : les élèves d’élémentaire y descendront par trois classes. Les 3 maternelles avaient déjà une récréation séparée. Les élèves seront « brassés » mais ce sera les trois mêmes classes. Comment faire mieux ? La même organisation par trois classes a été retenue pour la cantine.
« Cela va à l’encontre de notre projet d’école qui était de créer des liens et de l’entraide entre les grands et les petits, de faire lire des histoires par les grands aux petits par exemple, mais il fallait le faire », souligne Geneviève Legal.
15 points d’eau
Pour les autres gestes barrières, à commencer par le lavage des mains, on fait aussi au mieux, conscient qu’avec des classes entières, la priorité étant au retour des élèves, on ne pourra pas toujours les respecter strictement. « Le nombre de lavabos est insuffisant », regrette Geneviève Legal. Au total, on compte 15 points d’eau, répartis dans les étages. Trop peu pour 194 enfants qui devront se laver les mains en moyenne 7 fois par jour – en arrivant le matin, avant et après la récré, la cantine, les toilettes… -, chaque fois pendant 30 secondes.
Alors les profs s’adaptent. Raphaël Retel, professeur de CM1-CM2, a sa classe au troisième étage, avec des accès compliqués aux lavabos. Il va demander à ses élèves de se laver les mains en priorité dans les lavabos du rez-de-chaussée, plus pratiques, près de la cour de récré. Les deux classes de maternelles au premier étage vont, elles, se partager entre les deux lavabos près des toilettes et celui dans la salle de classe. Dans tous les cas, il faudra faire la queue. Exit la distanciation physique.
Le gel hydroalcoolique fera le complément. A noter que celui-ci est fourni par la Ville de Paris – on n’exclue pas qu’un jour, le ministère de l’Education en dote les écoles… La directrice a ainsi prévu d’installer une borne à l’entrée : « 2 personnes seront là le matin pour distribuer du gel dans les mains des élèves ».
Le plus dur, le masque
Pour les enseignants, le plus dur en cette rentrée est de devoir porter un masque en permanence. Au delà du côté inconfortable, c’est bien le lien avec les élèves et celui avec les parents qui est en jeu.
« Comment lire un sourire sur un visage avec un masque ? Comment établir une relation avec les élèves qui ne voient pas les expressions du visage ? On risque en plus de moins bien nous entendre avec le masque, s’inquiète Raphaël Retel. Or en primaire, la pédagogie est intimement liée au relationnel, dès que l’on touche à cette relation, on touche à la pédagogie. » L’enseignant de CM1-CM2 se sent capable de gérer l’hétérogénéité des élèves, accentuée par les inégalités creusées durant le confinement. Mais il s’interroge sur l’impact de son visage masqué sur la dynamique de la classe.
« On avait prévu un décloisonnement avec les deux autres classes de CM1-CM2, ajoute-t-il, on ne sait pas exactement ce que l’on va pouvoir faire, c’est l’incertitude, on marche sur des sables mouvants. »
L’inquiétude des profs de maternelle
En maternelle, l’incertitude est plus grande encore. Comment accueillir et rassurer, le visage masqué, des petits qui vont mettre pour la première fois un pied à l’école ? Les parents pourront les accompagner le premier jour dans la classe. Mais dès le deuxième jour, il leur faudra rester sur le palier et remettre leur enfant sans trop s’attarder. Que va-t-il rester de la relation enseignants-parents, si importante en maternelle ?
Céline Gentil, qui a une classe de petite et moyenne sections de maternelle, et Jérémie Lebredonchel qui a une classe de petite et grande sections, partagent les mêmes interrogations. « Il y a la théorie et la pratique, souligne Céline, on connaît le protocole, une autre histoire est de l’appliquer avec une classe pleine et des petits qui arrivent en pleurant. Il faudra les rassurer en un jour alors qu’avant, les parents pouvaient entrer dans la classe, raconter une histoire à leur enfant avant de partir… ».
« Le protocole indique que l‘on doit appliquer les recommandations « dans la mesure du possible », complète Jérémie, il va falloir s’adapter, réfléchir, on sait que ça va être très compliqué… ».
Tous deux s’accordent à dire que l’individuel va prendre plus de place au détriment du collectif : « on va éviter de faire des rondes, on ne pourra plus travailler à plusieurs classes alors qu’on le favorisait, il y aura moins de coopération … »
Le ministre a évoqué des masques transparents pour les professeurs des écoles, dont les expressions du visage comptent tellement pour enseigner. Mais personne ne sait quand et s’ils arriveront un jour.
Détecter les symptômes
L’inquiétude des profs porte aussi sur leur responsabilité dans la détection des symptômes du Covid-19. Le nez qui coule, la toux, une fièvre…Dès octobre, les petits de maternelle ont des rhumes qu’ils se repassent largement. « Combien de fois va-t-on faire des signalements, renvoyer des enfants alors qu’ils n’auront rien ? » se demandent Céline et Jérémie, « on a reçu une formation sur les gestes barrières mais rien sur les symptômes ».
Jérémie, qui a de gros rhumes l’hiver, imagine qu’il pourrait être renvoyé chez lui : « On ne pourra pas répartir les élèves dans les autres classes. S’il y a d’autres profs dans mon cas, y aura-t-il assez de remplaçants ? »
Au début du confinement, quatre professeurs de Vaucanson, dont un de la Ville de Paris, ont été atteints du coronavirus. Bien remis, ils ont repris depuis. Mais à la veille de la rentrée, l’école n’a toujours pas de médecin scolaire affecté ni d’assistante sociale.
En cas d’explosion de la pandémie, tous les profs se disent prêts. Durant le confinement, ils avaient été très actifs sur le numérique et avaient réussi à garder le contact avec quasiment tous les élèves, exceptés quelques-uns de milieu défavorisé, mal équipés ou dont les parents ne pouvaient les aider.
Une rentrée sans joie
« C’est bien sûr nécessaire d’appliquer le protocole, estime Jérémie, mais je trouve cela triste aussi. On fait de la gestion, on fait notre possible pour éviter le brassage et on enlève de l’humain. Or on ne peut pas retirer tout ce qui fait plaisir aux enseignants, aux élèves. Si on me disait que l’école, ce serait ça les dix prochaines années, je dirais que ce n’est pas mon métier. »
« C’est tout de même une rentrée anxiogène, ajoute Céline, cela enlève la joie de la rentrée, la légèreté. Alors qu’avant l’été, on se disait, on va partir en vacances et après, en septembre, ce sera différent… » Raphaël, lui, évoque une rentrée « avec moins d’insouciance, moins d’entrain ».
Dans son bureau, Geneviève Legal est rivée à son téléphone. A quelques heures de la rentrée, il lui manque une prof titulaire. L’enseignante de CE1 vient d’être nommée au poste qu’elle convoitait. « Il y aura une remplaçante mais ce serait vraiment mieux, en cette rentrée si particulière, que les élèves aient leur professeur ».
La directrice se dit « partagée » à la veille de retrouver les élèves : « Je garde l’excitation autour de la rentrée mais je suis attristée aussi car 90% du temps, on ne parle plus que protocole sanitaire. Cela éteint l’enthousiasme, je dirais même que c’est la rentrée la plus triste que j’ai connue. Au moins s’il y avait une perspective de fin… Il y a de l’inquiétude : comment va-t-on réussir à remplir notre mission et à maintenir aussi l’envie des élèves. »
Véronique Soulé