Jérôme Bruner, un monstre sacré à Paris : » Relisez dix fois » A la recherche du temps perdu » plutôt que les manuels de psychologie «
Voir Bruner en vrai. Rien que l’idée valait le déplacement à Paris le 10 mars dernier. Les Editions Retz et le Monde de l’Education en avaient fait la tête d’affiche de leur désormais annuel Forum, cette année consacré à » Quelle culture littéraire à l’école ? »
Qui peut encore échapper à Bruner ? « Je ne suis qu’un » student of mind » dit-il avec modestie. Mais son oeuvre puise autant ses sources dans la psychologie, la littérature ou linguistique. Celui qui fut l’un des premiers découvreurs de » Pensée et langage » de Vigotsky s’est nourri dans Piaget et Meyerson. » Comprendre comment l’homme construit son monde « , c’est, depuis 65 ans, le souci de Bruner. Peu de chercheurs ont eu le privilège de disposer de tant de temps pour creuser le même sujet. Ses travaux ont modifié notre compréhension du fonctionnement de l’enfant. A Harvard, il a fondé le Centre d’Etudes Cognitives. A Oxford, il s’est concentré sur le langage. A New York, il a creusé la littérature et le mode narratif. Et s’il fut dans les années 50 le chef de file de la révolution cognitive, il sera aussi un des premiers à critiquer le risque de l’abandon de la problématique initiale (traitement du sens) au profit du centrage sur le traitement de l’information. Aujourd’hui, » c’est la Culture qui donne forme à l’esprit » dit-il. C’est elle qui nous procure l’outillage (le langage, la conception que nous avons de nous-même et du monde), ainsi que de notre capacité à y intervenir.
Sa conférence parisienne fut centrée sur une seule question : » La réalité de la fiction « . Bref, comment quelque chose qu’on sait être imaginaire (des romans, des livres, des pièces) peut-il devenir plus vrai que la vie elle-même ?
Qu’est-ce que la réalité est censée représenter ? C’est une idée qui a toujours été discutée : la réalité est-elle dehors, ou est-elle dans ma tête ? Le monde nous est accessible à travers de nombreux ombres et nuages, nous dit la philosophie de Platon. Réalité et imagination ne sont bien souvent qu’hypothèses de l’esprit. Nous sommes satisfaits de nos théories, quand, tout à coup, patatras, une révolution scientifique nous amène une autre construction de la réalité. Ce n’est pas le monde qui change, c’est notre conception du monde. La réalité est construite, qu’elle soit scientifique ou littéraire. Ce qui est intéressant, c’est de voir quel est le processus en jeu dans cette construction. La routine domestique ou l’aventure maritime, décrites dans de bons livres, sont des mondes visibles à notre imagination quand nous lisons ou écoutons des histoires prenantes. Le pouvoir de la narration est un cadeau qui donne sens à la réalité. Explorons donc le sens du récit, de ces histoires qu’on se raconte.
Le sens du récit, sa construction
Au début du monde était un état stable, nous disent les histoires. Marcel Proust, lorsqu’il décrit l’immobilité des choses dans » A la recherche du temps perdu « , nous renvoie à l’immobilité de notre pensée face à elles.
Cette stabilité des choses, que nous prenons pour acquise, va être questionnée, renversée par une péripétie. Joseph Conrad nous montre le jeune capitaine du » Confident « , pas très sûr de lui, montant la garde, remarquant qu’un homme pend dans l’eau, accroché à l’extrémité de l’échelle. Cet homme, Légat, qui va devenir son confident, bouleverse le familier, l’ordinaire. Il fait entrer le désordre, l’étranger.
Chaque auteur a sa propre façon de troubler l’ordinaire. Proust le faisait de manière beaucoup plus philosophique avec » Longtemps, je me suis couché de bonne heure « , dans la confusion qu’entretient le narrateur avec le héros de son livre lu dans la nuit. Ce bouleversement de la réalité décrit par Aristote (péripétie) est la cause de » l’action « , qui va s’efforcer de remédier au bouleversement, à la dislocation créés par la péripétie.
Si l’action arrive à recréer l’état canonique des choses, on parle alors de » résolution » de l’histoire, qui là aussi peut prendre bien des formes.
La » coda » (la fin), explicite ou implicite, est l’acte de charité salvateur, nous disaient nos professeurs. Nous cherchions la » morale de l’histoire « . Esope disait qu’un » point de couture bien fait en évite neuf « , La Fontaine que » rien ne sert de courir.. « .
Pas besoin d’apprendre aux enfants cette structure (état initial, péripétie, action, coda) : ils la maîtrisent dès qu’ils sont en âge d’apprécier les histoires. Le pouvoir du récit de créer ces mondes est étonnant. Hélène Keller était en mesure d’inventer des histoires sur le monde visible, audible, auquel elle n’avait pourtant aucun accès. Nous prenons cela pour évidence, nous oublions que c’est un cadeau.
Les cadeaux du récit
Nous pouvons, grâce au récit, voir ce qui est ordinaire ou pas, établir des catégories. Les histoires sont pour nous l’occasion de parler de morale, de définir des critères, des normes. Les interdits ne sont que des péripéties classées comme telles par le Droit. Il est d’ailleurs impossible de dater les débuts de l’Ethique, qui remonte aussi loin que les premières histoires.
La vraisemblance des réalités fictionnelles est-elle différente de la croyance que nous avons dans l’organisation du réel ? Mais le lecteur n’a pas besoin d’être familier de la réalité du texte pour y croire. La seule familiarité du texte, c’est le langage, dans une imposition axiomatique. Dans » Contre Sainte Beuve « , Proust écrit : » Il n’y avait encore personne, devant l’Eglise, sauf la dame en noir qu’on voit sortir à toute heure d’une église de province. » On ne peut vérifier aucun détail sur cette femme, il n’y a rien sur elle ou sa condition, rien qui l’individualise. C’est un actant, pas un acteur.
Comment fonctionnent les histoires ? Elles reproduisent les processus que nous mettons en oeuvre dans notre vie quotidienne. Le syntaxique est au coeur du sémantique, parce qu’il nous permet de voir le monde d’une autre façon. Nous ne confondons pas les deux, nous faisons de multiples allers-et-retours entre les deux mondes, ce qui enrichit notre appréhension de chacun des deux. La vie imite la littérature, la vie imite l’art, l’art imite la littérature. Sans ce va-et-vient, nous ne sommes rien.
Eduquer : faire lien
La distinction entre réalité et monde fictionnel n’a aucune importance, parce que c’est par ces mondes possibles que nous nous définissons comme race humaine. J’aimerais insister sur la nécessité, pour l’Education, d’encourager ce va-et-vient entre réel et littérature. A New-York, nous avons mené une expérience avec 15 étudiants en droit (et pas en littérature), sur l’équilibre à trouver entre la sécurité de l’état et les libertés individuelles, ce qui était un sujet brûlant à moins d’un kilomètre de l’ancien emplacement du World Trade Center. Nous avons travaillé sur des textes juridiques brûlants et des textes littéraires (deux versions d’Antigone, par Sophocle et Anouilh 2000 ans plus tard). Sophocle se concentrait sur l’action, Anouilh sur la réflexion et la philosophie. A la fin du trimestre, les étudiants n’ont eu aucun mal à passer de la vie réelle à Antigone, même si certains enseignants doutaient qu’ils seraient capables de lire des textes aussi exigeants. Pour faire ce voyage entre la vie et la littérature, ils procédaient de trois manières différentes :
– Certains ont exprimé que l’imbroglio d’Antigone était le reflet amplifié de la nature humaine. Un étudiant a dit qu’ils avaient besoin d’un psychanalyste, un autre a rapproché Créon de Bush dans son rapport au pouvoir….
– D’autres ont fait des rapprochements entre l’Etat sous Thèbes et l’Etat de la société américaine, les difficultés à concilier libertés individuelles et » sécurité » de l’Etat.
– Une troisième analyse s’intéressait à la destinée, à la dimension mythologique de la pièce, fruit de l’inceste entre Polyeucte et Jocaste : l’idée d’une destinée commune tragique. Certains étudiants ont rapproché ces thèmes de leur vécu du pouvoir politique ou de la famille Kennedy.
Nos étudiants faisaient ce que nous faisons tous : des va-et-vient entre la vie et le récit, comme ce fut le cas avec la fictionnalisation par la presse de la tragédie de la famille Kennedy. Certains ont même demandé la lecture obligatoire d’Antigone pour tout juge chargé de veiller aux libertés publiques…. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’ils interprétaient des sentences judiciaires comme des romans, et inversement. La lecture de grandes oeuvres de fiction les amenait à envisager le monde réel comme UN des mondes possibles….
Qu’est-ce que ça à voir avec l’Education ?
Il ne s’agit pas de tout disséquer pour ne plus voir que la structure des textes. Ce serait ennuyeux à mourir. Mais en prenant un extrait pour explorer les possibles qu’il contient, on accède à la conscience de tous les dilemmes de notre existence, la tragédie ou la comédie humaine. Reprenons un extrait de » A la recherche du temps perdu « , Proust écrit le dilemme du narrateur confronté à l’envie qu’il a d’embrasser sa mère et la crainte qu’il a que cela fasse conflit avec son père. Il sait faire du père une presque péripétie ; le lecteur ne sait pas quelle direction va prendre le récit, il ne lâche pas le livre dans l’attente de connaître l’aboutissement. Je préférerais savoir que les étudiants en psychologie ont lu ce chapitre dix fois plutôt que de bûcher les manuels de psychologie. Ça leur apprendrait la vie davantage.
Quelle réalité, quelle fiction ? Ce n’est pas le conflit entre les deux, mais le conflit entre tous les mondes que nous connaissons (ou pourrions connaître) que nous devons apprendre à démêler.
Les cours de littérature doivent-ils développer le va-et-vient entre la fiction et la vie ? Bien entendu ! Le sens de la vie dans » La mort d’un commis voyageur « , le rôle mortifère du commerce ou la peinture de la difficulté à choisir entre Vengeance et pardon sont les meilleures expériences possibles pour comprendre le monde. » J’ai appris une nouvelle manière de lire » nous disait un étudiant suite au travail mené dans notre séminaire.
Littérature partout : l’impératif du subjonctif !
Pourquoi ne pas utiliser la littérature en sociologie, éducation, histoire, psychologie ?…. Pourquoi ne pas mieux considérer cette voie à double sens : la réalité de la fiction, ou la fiction de la réalité ?
Bruner terminera pas une anecdote avec un étudiant, à la fin de son séminaire, alors qu’il se promenait vers Washington Square (qui est aussi le titre d’un livre de Henry James). Le professeur demande si l’étudiant avait remarqué les différences entre l’Antigone de Sophocle et l’Antigone d’Anouilh.
» -Avez vous remarqué qu’il y a beaucoup plus de subjonctifs dans la version d’Anouilh ?
– Et alors, répond l’étudiant ?
Ils arrivent alors face à a la maison d’Henry James. Bruner explique alors que c’est un des auteurs modernes qui avait le premier introduit le subjonctif pour dépeindre les doutes.
– Pensez vous que le monde est plus subjonctif aujourd’hui ? répond l’étudiant interloqué. Parce qu’il se remplit de virtuel ? Pourquoi n’a-t-on pas parlé de ça en cours ?
» Voir que cet étudiant en droit pensait au subjonctif d’une autre manière était pour moi positif. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements pour l’utilisation de la littérature. Nous serions tous morts si nous ne l’avions pas.
« La réalité de la fiction n’est pas qu’une illusion, c’est un challenge, un défi à utiliser pour voir les différents possibles pour le monde à venir. C’est trop important pour laisser les universitaires littéraires seuls pour s’occuper de cela… »
Table-ronde sur le thème « Quelle culture littéraire à l’école ? »
En introduction, Marc Dupuis, rédacteur-en-chef adjoint du Monde de l’Education, souligne l’importance aujourd’hui décisive, et récemment inscrite dans les programmes, de la littérature de jeunesse. Il fait au passage remarquer qu’il s’agit là d’un secteur privilégié de l’édition, chiffre des ventes à l’appui.
Il retrace alors les grandes étapes de l’histoire de la littérature jeunesse :
– Elle apparaît au XVIIIème siècle avec de petits recueils, sur des sujets mythologiques par exemple.
– Après l’Emile de Rousseau, la littérature jeunesse, au XIXème s., est dominée par la volonté de séparer, de protéger l’enfant du monde extérieur ; apparaissent alors de véritables spécialistes de cette littérature, appelés sous l’Empire les « libraires d’éducation » parmi lesquels on peut citer Jules Hetzel et Louis Hachette. De 1830 à 1840, sous l’impulsion des lois Guizot, le secteur connaît développements et restructurations.
– Le grand décollage de la littérature jeunesse peut être daté du Second Empire, fondé sur un nouveau regard porté par les parents sur leurs enfants : ceux-ci doivent être choyés et contrôlés.
– Après la 1ère guerre mondiale, le secteur, en crise, se remet en marche grâce aux illustrés.
– La dernière phase de renouveau date des années 1960-70, dans le cadre là encore d’un nouveau regard sur les enfants : il n’est absolument plus question de protéger les enfants du monde extérieur, mais de leur faciliter l’accès à celui-ci.
Henriette Zoughebi, chargée de mission au Sceren-CNDP retrace la manière dont la littérature jeunesse est entrée à l’école.
Il va de soi qu’elle y a toujours été présente, au gré des volontés et convictions des enseignants, mais, il y a deux ans, elle est entrée dans les programmes, c’est-à-dire qu’elle a été mise à la disposition de tous les enfants.
Qu’apportent les programmes ?
– nombre et modalité : au cycle 3, ils recommandent la lecture de dix livres par an, le terme de livres s’opposant à celui d’extraits précédemment en vigueur.
– Il s’agit de tous les genres : nouvelle, poésie, théâtre, BD, contes… ce qui constitue une ouverture intéressante.
– La notion de « parcours de lecteur » est avancée, idée intéressante qui en entraîne beaucoup d’autres qui vont être développées tour à tour.
Une idée fondamentale, selon Mme. Zoughebi, est celle de la littérature comme meilleure explication possible à la complexité du monde. Contrairement aux idées reçues, même pour les plus jeunes et pour les publics défavorisés, « abstraction et sensibilité doivent trouver leur place à l’école ». On remarque d’ailleurs que l’entrée de la lecture dans les programmes est concomitante à celle des « arts et cultures ». L’expression de la sensibilité apparaît comme une voie vers la réussite. La complexité et la sensibilité favorisent, paradoxalement, la réussite de tous les enfants : il faut qu’il y ait résistance pour que la lecture vaille le coup !
Un autre aspect important est celui de la littérature comme porte vers une culture partagée. Aujourd’hui, dans les cours de récré, la culture partagée est surtout celle des marques, de la télévision. La mission actuelle est de créer du commun sur la littérature, à partir du plus haut niveau (là encore, valorisation de la difficulté, de la résistance).
L’introduction de la littérature apparaît comme un des leviers pour changer l’école elle-même, notamment autour de modes de coopération entre maître et élèves, mais aussi entre élèves eux-mêmes, vers la construction commune d’un sens. Il est important d’éveiller chez l’enfant le désir d’entrer dans une communauté. Donner l’idée de trésors, de mondes merveilleux qui peuvent s’ouvrir à eux. En ce qui concerne le choix des livres, cela doit inciter à la plus grande diversité, pour répondre à la diversité des enfants.
En conclusion, Mme. Zoughebi convoque Jacques Roubaud qui voit la poésie comme un conservatoire des mots, de la langue, en chacun de nous : « ma langue est à moi par la poésie ». Mme. Zoughebi réaffirme la possibilité et la nécessité, grâce à la littérature, de bousculer les routines langagières.
Quatre témoignages
– Françoise Ballanger, de « La Joie par les livres »
Le thème invite à réfléchir sur la littérature « à l’école », mais il ne faut pas pour autant oublier ce qui peut être fait avec la littérature en dehors de l’école.
L’introduction de la littérature à l’école amène à l’ouverture à d’autres partenaires : les créateurs (auteurs, illustrateurs), éditeurs, différents promoteurs (bibliothécaires, animateurs). Chacun a sa conception des manières de mettre en avant la littérature. Ce sont aussi ces interactions et échanges entre l’Ecole et les autres partenaires qui permettent de faire bouger l’Ecole. Par exemple, c’est peut-être grâce à l’extérieur que l’on sort de la stricte opposition entre lecture-plaisir et lecture-apprentissage. Les nouveaux programmes permettent de gommer ce type de hiérarchies et de découvrir une culture plus large ; là encore, les mots d’ordre sont ouverture et diversité.
– Christian Brunel, formateur et directeur de Etre Editions
En introduction, C. Brunel présente son ambition : réhabiliter l’album. Il s’inscrit en faux contre l’idée communément répandue selon laquelle l’album, destiné aux petits, est une propédeutique à la lecture « sérieuse » des romans, de la vraie littérature. Selon Mr Brunel, l’album n’est pas un support, mais doit être un véritable outil de lecture.
En tant qu’éditeur, il juge un bon album selon la présence d’un dispositif matriciel de l’acte de lire, et celle d’un trouble, d’une interrogation, d’une pluralité possible d’interprétations.
Album et littérature :
– L’articulation d’images entre elles est déjà de la littérature. L’articulation texte/image est impure, hybride, mêlant deux codes différents, tandis que l’album constitue une oeuvre finie, accessible, s’adressant au lecteur comme sujet (l’individualisant) car il lui propose des possibles interprétatifs.
– De plus, dans le dispositif iconique et les compétences auxquelles il renvoie, distinctes des instances textuelles, l’adulte n’a pas de position dominante.
– La poursuite de la lecture de l’album, la relecture sont nécessaires, perçues comme telles, faisant émerger des interprétations sans cesse renouvelées en fonction de chaque lecteur, de son évolution. L’album comme « réceptacle d’humanité ».
– Dans l’album, on peut accéder au sens sans être le nez sur le texte. Exemple d’Histoire à quatre voix d’Anthony Brown : ce n’est pas le texte, mais l’image qui a l’avantage sur le sens, qui dit le vrai.
– Le fonctionnement de l’album est une initiation à l’intertextualité, à l’intericonicité.
Il cite en conclusion Bernard Noël : « les images nous enchantent alors qu’elles devraient nous jeter dans l’effroi ». car les images renvoient à ce qui n’est plus, ne sera jamais.
– Marie-Aude Murail, écrivain
Une intervention extrêmement drôle, qui évoque les relations entre l’école et l’auteur de littérature jeunesse, lequel n’en sort pas toujours intact..
. « Il y a trois façons de me scolariser », dit-elle :
– faire de son texte un prétexte pour une exposition, pour l’étude du groupe nominal sujet « Quand l’instituteur m’accueille en me disant : « on s’est beaucoup servi de vous ! », je ne suis pas toujours ravie ».
– Ses textes ont été lus en lecture cursive et servent de point de départ à d’autres activités telles que créer une quatrième de couverture, inventer une autre fin : elle se sent alors investie d’un rôle de validation et d’encouragement, elle peut alors parler de son travail, de sa vocation : le sens de celle-ci, et de la littérature jeunesse est, pour elle, la vocation de grandir.
– En collège surtout, les élèves l’interrogent sur la place du discours argumentatif, sur le rôle d’un schéma narratif. Elle peut alors évoquer la création comme processus plus spontané.
Mme Murail cite enfin quelques mails parmi les nombreux qu’elle reçoit, demandes de résumés de ses oeuvres et même date de décès ! Elle aimerait montrer qu’un auteur de littérature jeunesse peut être un auteur vivant.
– Clarisse Cresson, professeure des écoles
Enseignant depuis 18 ans, actuellement en CLIS, Mme. Cresson cherche à enseigner la lecture sur d’autres supports que les extraits de manuels. Elle cherche à mettre en rapport l’apprentissage technique de la lecture et l’entrée en littérature.
Elle distingue trois enjeux cognitifs dans la littérature :
– imagination et souplesse intellectuelle : la complexité est quelque chose de positif, de motivant, même pour des élèves en difficulté. C’est une erreur de vouloir leur donner à lire des textes proches de leur vécu.
– point de vue critique, abstraction et conceptualisation : là encore, même pour des élèves en très grande difficulté, c’est possible et nécessaire.
– élaboration d’une culture commune : mission intégratrice de l’Ecole, d’où utilité de la liste de titres.
Mme Cresson insiste sur des pratiques qui lui paraissent essentielles :
– la mise en réseau des ouvrages : lire plusieurs ouvrages autour d’un même thème.
– la culture commune : faire circuler ses lectures, procéder à des échanges du maître aux élèves, des élèves entre eux. Pas de hiérarchisation, éveiller la curiosité.
– la lecture à voix haute par l’adulte, puis par les élèves, qui est un premier pas vers l’interprétation. Ouvrir des débats.
Des conseils de dispositifs à mettre en oeuvre :
– Constituer une bibliothèque de classe.
– Créer des carnets de lecture (j’ai aimé/pas aimé), individuels ou collectifs.
– Aller vers la production d’écrits.
– Encourager les partages culturels (les enfants emportent les livres à la maison où les parents les découvrent).
En conclusion est évoqué le problème de l’évaluation, de l’efficacité : les avancées les plus significatives opérées grâce à la lecture ne sont pas forcément évaluables : elles peuvent se traduire par une remarque anodine d’élève, une mise en rapport d’un livre et de son expérience personnelle, expérience de lecteur. La littérature est construction de soi.
C’est pourquoi il est important de savoir garder, autour de la littérature, un espace de non évaluation.