Adoptée par la commission de l’éducation de l’Assemblée, la loi « sur l’école de la confiance » sera étudiée à partir du 11 février par l’Assemblée. Plus d’un millier d’amendements (1086 précisément) ont été déposés, soit le double des textes étudiés en commission. C’est dire que le passage en commission a plus obscurci qu’éclairé le projet de loi. C’est dire aussi que la loi Blanquer penche sérieusement à droite, avec des mesures de rupture comme le financement des écoles maternelles privées par les communes ou l’autoritarisme de l’article 1. La loi est aussi apparue marquée par un certain amateurisme, avec plusieurs articles mal rédigés. Les députés adopteront-ils l’article 1 dans sa rédaction quasi inchangée ? Donneront-ils le feu vert au ministre pour supprimer l’évaluation indépendante de l’Ecole avec la suppression du Cnesco ? Décideront-ils de transférer 150 millions à l’école privée pour un gain nul pour le pays en adoptant l’instruction obligatoire à 3 ans ? Feront-ils passer les écoles rurales sous la direction des collèges avec l’école du socle ? Donneront-ils tout pouvoir au ministre pour décider de la réforme territoriale et de la formation des enseignants ? Ce sont à coup sur plusieurs journées de débat que nous suivrons ensemble à partir du 11 février.
Article 1 maintenu
Apparemment anodin , l’article 1 de la loi Blanquer a fait couler beaucoup d’encre après que le Café pédagogique ait découvert, le 12 décembre, dans l’étude d’impact de la loi, l’usage que le ministère entend en faire. Malgré un fort écho chez les enseignants et des démarches des syndicats, l’article 1 est sorti quasi inchangé de la commission de l’éducation. » Dans le respect de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires , par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. »
L’étude d’impact de la loi, un document officiel remis aux parlementaires que le Café a décrypté le 12 décembre, montre que le ministère veut utiliser cet article pour controler l’expression des enseignants sur les réseaux sociaux. « Les dispositions de la présente mesure pourront être invoquées, comme dans la décision du Conseil d’Etat du 18 juillet 2018 précédemment mentionnée, dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public », précise l’étude d’impact. Cette décision avait radié un enseignant dans le cadre d’une affaire de moeurs sordide, au nom de « l’exigence d’exemplarité » attendue des enseignants. » « Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire », précise le texte de l’étude d’impact. Comme la loi punit déjà la diffamation, il s’agit bien de faire taire les enseignants sur l’institution scolaire et notamment sur les réseaux sociaux comme le précise la même étude.
JM Blanquer et la rapporteure de la loi avaient promis une réécriture enlevant toute ambiguïté. Au final le texte est maintenu. Ce qui donne à penser que les intentions sont restées exactement les mêmes. Plusieurs députés sont intervenus pour obtenir une autre rédaction en vain.
L’école du socle
C’est par un amendement inattendu, déposé par une élue de la majorité, C Rilhac, et approuvé par le ministre, que sont créés des « établissements des savoirs fondamentaux ». Ces écoles du socle réunissent en un seul nouvel établissement un collège et une ou des écoles primaires. Le regroupement est décidé sans consultation des enseignants. L’avenir des directeurs d’école n’est pas précisé si ce n’est que le principal du collège, qui devient le nouveau supérieur hiérarchique des enseignants des 1er et 2d degré, est doté d’un directeur adjoint, probablement installé près de lui. Au yeux de C Rilhac, qui a rédigé un rapport sur ce point, ces écoles du socle règlent le problème des directeurs d’une part en mettant au dessus des professeurs des écoles un vrai responsable hiérarchique, le principal du collège, d’autre part en réduisant fortement le nombre de directeurs. Ces objectifs gestionnaires l’emportent nettement sur le souci de la liaison école – collège dont on sait bien qu’elle ne relève pas de mesures purement administratives. Comment continueront à vivre les écoles rurales dans cette nouvelle structure ? Devront-elles fermer et être regroupées physiquement au collège ? Sinon comment fonctionner au quotidien sans directeur ? Comment un principal de collège pourra-t-il faire tourner des écoles alors qu’il a déjà un collège sur les bras et qu’il ignore la culture scolaire propre au 1er degré ? Autant de questions pour les députés. Les principaux syndicats (Snes Fsu, le Snuipp Fsu, le Sgen Cfdt, le Se-Unsa) et la Fcpe leur ont demandé le 4 février de ne pas adopter cette mesure.
La réforme territoriale
La réforme territoriale aura aussi des conséquences immédiates pour les enseignants. Le ministre a obtenu le droit de faire des ordonnances en ce domaine. Autrement dit il fera ce qu’il veut. JM Blanquer a annoncé vouloir maintenir les 30 rectorats actuels qui devaient disparaitre dans les mois à venir, avec des recteurs en titre. Mais, comme l’ont bien vu les députés Reiss et Hetzel (LR), il n’y aura pas de véritables recteurs. En effet la réforme présentée par JM Blanquer accorde un pouvoir hiérarchique au recteur de région académique sur les autres recteurs. Les services rectoraux seront réorganisés pour devenir ceux de la région académique , quelque soit la ville qui les abrite. Interrogé par P. Hetzel, le ministre ne confirme pas que chaque recteur aura un budget (BOP). Les recteurs devraient avoir d’autant moins de pouvoir que le ministre va renforcer l’autorité des Dasen pour installer une gestion de proximité. L’échelle académique actuelle est certes maintenue pour étouffer les inquiétudes. Mais la gestion se fera au dessus et en dessous de ce niveau par le recteur de région académique et les Dasen. Cela aura sans doute des conséquences directes sur les enseignants quand il s’agira de négocier des seuils d’ouverture ou des dédoublements, voire à terme décider les affectations. Selon Paris-Normandie, le ministre a d’ailleurs refusé de nommer un nouveau recteur pour Caen, come le lui demandaient les syndicats après ses propos devant la commission de l’éducation. Il préfère garder le même recteur pour Caen et Rouen.
L’instruction obligatoire à 3 ans et ses conséquences
Cette décision présidentielle est à l’origine de la loi. Dès la rentrée 2019 les enfants âgés de 3 ans et plus devront recevoir une instruction. Cela concerne seulement 24 000 enfants non encore scolarisés. La loi parait simple mais trois problèmes sont apparus très rapidement. D’abord elle va concerner 8000 enfants de Mayotte et Guyane, deux départements où on n’arrive déjà pas à scolariser les plus de 6 ans. La rapporteure a du admettre que la loi ne pourrait pas être appliquée avant des années dans ces territoires. Ensuite la rapporteure a du déposer en urgence un amendement pour sauver les jardins d’enfants ruinés par la mesure, ce qui n’avait pas été prévu par la loi.
Mais le point crucial c’est que la loi va imposer aux communes la prise en charge des maternelles du privé sous contrat. Globalement ce sont environ 150 millions qui vont être donnés au privé pour un gain collectif nul puisque les seuls territoires où la loi aurait un impact réel ne seront pas capables de l’appliquer avant des années. Ces sommes ne seront que très partiellement compensées par l’Etat. La rédaction actuelle de la loi est trop sommaire pour éclaircir les conditions de cette compensation tant en ce qui concerne l’égalité entre les communes (certaines versaient déjà au privé et devraient être exclues de la compensation ) que du montant des compensations (le salaire des atsems est-il inclus ou pas). Des associations de municipalités, comme le RFVE ou l’ANDEV, ont marqué leur inquiétude. Elles ne pourront pas à la fois payer le privé et maintenir le financement des écoles publiques au niveau actuel.
Des expérimentations facilitées
L’article 8 modifie le régime des expérimentations , jusque là très encadrées par l’ancien article 34. Il porte deux craintes. La première c’est, qu’en supprimant l’ancienne réglementation, on facilite les expérimentations soutenues par le ministre comme « Agir pour l’Ecole ». Actuellement elles sont freinées car les enseignants peuvent utiliser le cadre de l’article 34 pour s’y opposer. Aucun garde fou n’a été ajouté au texte ministériel et demain il sera beaucoup plus facile d’imposer les expérimentations. L’autre crainte touche l’annualisation puisque la loi permet d’expérimenter de nouvelles organisations des services enseignants. Le ministre a déclaré que ce n’est pas son objectif.. mais n’a pas changé le texte de la loi. La commission a élargi les champs d’expérimentations en y ajoutant le role des parents dans l’école et les liaisons entre niveaux.
Les CDEN mis au pas
Les CDEN sont consultés sur la carte scolaire et souvent protestent contre les fermetures de classe. Le ministre a fait adopter en commission un article qui lui permet de modifier par ordonnance, selon son bon plaisir, la composition des CAEN et CDEN, des assemblées « fastidieuses où on cultive les jeux de rôle » estime JM Blanquer. Ces assemblées où les communautés éducatives pouvaient s’exprimer vont être reprises en main et modifiées dans leur composition au bon vouloir du ministre.
Evaluation des établissements
L’article 9 de la loi supprime le Cnesco et le remplace par un Conseil d’évaluation de l’école (CEE) dont le conseil est soumis au ministre. Ce conseil va évaluer tous les établissements. Des équipes d’inspecteurs, mais aussi d’usagers, feront une évaluation de chaque établissement tous les 5 ans. Les enseignants devront auparavant pratiquer une auto évaluation préparée par le CEE. Les résultats des évaluations pourront être publiés au gré du CEE. Ce système, tout droit importé des pays anglo saxons, devrait permettre un pilotage étroit des pratiques pédagogiques, comprenez orienter fermement les pratiques des enseignants vers les injonctions venues du ministère. Il renforcera aussi la concurrence entre établissements puisque les résultats seront publics pour chaque école et chaque collège comme c’est le cas aujourd’hui pour les seuls lycées.
Quant au Cnesco, dont les études sont appréciées des enseignants, le ministre s’est engagé à le transformer en chaire universitaire au Cnam et à lui maintenir des emplois. Mais ces emplois seront gérés par des opérateurs de l’éducation nationale et non par le Cnesco lui-même… L’avenir du Cnesco n’est toujours pas assuré. Le 6 février les syndicats Fsu, Unsa, Cgt, Sgen Cfdt ont demandé au ministre des garanties que le Cnesco pourra continuer à fonctionner.
La création d’écoles internationales
La loi prévoit la création d’établissements publics internationaux (EPLEI) préparant les diplomes internationaux et largement dérogatoires aux programmes et règles français. Ces établissements visent une clientèle internationale. La loi invite les recteurs à veiller à la mixité sociale dans ces établissements ce qui est aussi une façon de reconnaitre que ce seront des établissements pour l’élite sociale. Ils pourraient bien, dès la maternelle, accaparer les enfants des classes privilégiées et diminuer ainsi la mixité sociale autour d’eux. Un amendement adopté interdit même aux entreprises d’obtenir des avantages en échange de dons à ces EPLEI. En clair : on craint que des entreprises achètent des places pour leurs cadres.
La réforme de la formation
Là aussi la volonté de mise au pas est claire. Les Espe sont remplacées par des Inspe dont les directeurs sont nommés par le ministre selon une liste officielle. Les députés ont accepté de rendre obligatoire un référentiel de formation sans en connaitre le contenu. C’est le ministre qui décidera ce que sera la formation dans son contenu pédagogique et qui l’appliquera.
Le projet de loi est donc marqué par l’autoritarisme de JM Blanquer et sa volonté de reprendre en main l’éducation nationale. Il est aussi très imparfait techniquement : le texte a plusieurs articles fragiles sur le plan juridique (article 1, article 3 par exemple) . Avec plus d’un millier d’amendements , l’étude du texte prendra plusieurs jours (et plusieurs nuits) à partir du lundi 11 février 16 heures.
François Jarraud
Notre dossier sur la loi Blanquer
Le dossier législatif avec les amendements
La loi BLanquer impose l’école du socle
JM Blanquer a-t-il abandonné la réforme territoriale ?
Blanquer ne garantit pas l’avenir du Cnesco
L’évaluation de l’Ecole à la mode BLanquer : un exemple
Sur l’instruction obligatoire à 3 ans