Un site collaboratif de lecture et production d’images et de textes, support d’activités multiples à l’usage des jeunes apprenants du cycle 2, tel est le pari de Nathalie Thomas, conseillère pédagogique, et des professeurs des écoles qui participent au projet (13 à ce jour), dont Karine Renaud, avec sa classe de CP-CE1 de l’ école élémentaire de Crins, à Graulhet, école ZEP dans le Tarn, est la porte-parole.
Le principe initial repose sur le postulat selon lequel les processus de la lecture d’image peuvent être transférés directement à la lecture de texte, et que les deux formes de langage, écrit et pictural sont intimement liées. Or, l’attitude récalcitrante de l’apprenant en position de tâche scolaire, comprenez devant un texte à lire ou à écrire, semble disparaître lorsqu’il est confronté à l’image, qu’il vit comme situation ludique, non scolaire.
Nathalie, passer par les outils numériques est tout d’abord une façon d’entrer dans la lecture par le visuel, l’image, le jeu. Mais associer l’image au mot, le faire de façon ludique, affiner les techniques d’expression, faire preuve d’autonomie et participer à un travail collaboratif, Freinet l’avait déjà mis en œuvre, et tout cela se faisait en classe bien avant l’ère du numérique. Quel est le réel apport de l’informatique, à part la réponse à l’item : « Utiliser les techniques usuelles de l’information et de la communication et développer la culture numérique » ?
Il est évident que l’exigence d’utilisation des outils numériques à l’école existe, mais l’utilisation de notre programme va plus loin. C’est une véritable démarche d’analyse en vue de produire. L’élève va d’abord être confronté à la base de productions existante, et va devoir lire l’image : la placer dans un contexte, donc mobiliser un savoir encyclopédique, voire historique, imaginer le hors-cadre, voir, comprendre, déduire, pour accéder au sens. Il met en place des stratégies de lecture. Ces stratégies lui sont d’autant plus nécessaires qu’il va avoir envie de participer au projet, donc de proposer à son tour des images, de les produire. Certaines images sont des devinettes à déchiffrer (notamment dans le module « du détail au général »), et il va chercher à induire le lecteur en erreur. Il doit maîtriser sa première intention et appliquer des techniques qu’il saura reconnaître ensuite lorsqu’il sera confronté aux images de son environnement (Internet, télévision, pub…). C’est un vrai travail sur le sens critique. Si l’on applique tous ces procédés à la lecture et à la production des textes qui accompagnent ces images, on obtient de vrais lecteurs.
Comment est né le projet et quel a été ton rôle dans le développement de l’outil ?
Ce sont des enseignants en dispositif ECLAIR qui étaient en demande, démunis devant les difficultés d’apprentissage de leurs élèves. Et un constat sur le manque d’activités d’expression écrite en cycle 2. Nous nous sommes tout d’abord lancées, avec Karine Renaud et sa classe de CP-CE1 avec de nombreux enfants en grande difficulté, ainsi que l’animateur informatique de la circonscription (Daniel Bénimélis), dans la construction du module « Du détail au général ». J’ai conçu une « carcasse » de séquence, que nous avons enrichie pendant 10 séances de pratique de classe. Cette base a ensuite été proposée à d’autres classes intégrant le projet, et enrichie au fur et à mesure, ce qui est le principe de l’application. Puis, nous avons créé le module « Couleurs du monde », dans une classe de GS-CP de Graulhet, dont le public est « plus favorisé ». Nous testons actuellement le troisième module « les contraires ».
Est-ce que les classes de maternelle sont à même d’analyser les principes d’écriture par rapport à l’image ?
Non, bien-sûr, ici, c’est la démarche de l’enseignant qui est fondamentale. C’est à lui d’amener à l’exploration, qui d’ailleurs ne se cantonne pas à la base de données proposée sur le site. Des ouvrages comme « Tout en couleur » de Zazie Sazonoff, les livres de photos de Tana Hoban ou les affiches de Régis Le Jonc peuvent être explorés avec profit. Les banques de mots sont constituées de manière classique, avec des recherches d’allitérations, de rimes, de mots contenant le même son, qui font penser à la même couleur, etc. L’enrichissement lexical s’est fait aussi au niveau des couleurs avec un travail autour de nuanciers… C’est un travail de développement de la curiosité, de l’imaginaire autant qu’un travail sur la graphie et la phonie.
Ces modules sont-ils exploitables indépendamment du niveau des participants ?
Il est vrai que nous les avons conçus, avec l’aide du Centre de ressources Tice-Images-Médias d’Albi, en priorité pour le cycle 2. J’avais été conquise par le programme « Images et patrimoine », qui fonctionne un peu sur le même principe de recherche d’images et d’écriture de textes, et qui a un grand succès dans nos écoles au niveau du cycle 3. Mais on peut sans doute adapter nos modules pour le cycle 3, et pourquoi pas, le collège. C’est la production d’écrit qui s’enrichira de formes plus complexes, le travail de lecture de l’image, lui, reste fondamental à tout âge. Pour les classes de cycle 2 qui souhaiteraient participer, Pour s’inscrire, il suffit d’envoyer un mail au centre TICE image média d’Albi, à Pierre Clot.
Les formations que vous proposez autour de cet outil incluent des progressions et une organisation des séances ?
Oui, nous organisons des journées de formation à public désigné dans notre département, où nous présentons la base existante et mettons les enseignants en situation de production. Nous discutons ensuite des possibilités de mise en œuvre dans le cadre de séquences.
Vous dites : « Le projet ne relevant pas pour les élèves, de compétences scolaires, les plus en difficulté s’y engagent pleinement ».
Oui, le succès est frappant auprès des plus réticents devant les situations scolaires. De plus, nos élèves sont issus de la génération écran, (digitales natives), de fait ils associent l’activité proposée aux loisirs. Ils entrent dans le jeu, et ne se rendent pas compte qu’ils sont en phase d’acquisition. Pourtant, les compétences scolaires sont bel et bien mises en jeu !
Comment peut-on avoir accès aux productions ? Que pouvez-vous montrer ?
Vous trouverez la présentation en flash des 3 modules sur le site construit par le centre de ressources Tice-Images-Médias Tarn, la présentation du projet et les descriptifs des séquences à télécharger. (voir ci-dessous)
Qu’attendez-vous du forum ?
Je suis vraiment très enthousiaste à l’idée de participer au forum. Je pars avec l’intention de puiser plein d’idées chez les autres, de partager, mais aussi d’écouter les critiques, les conseils, de mutualiser. Nous sommes seuls, aussi bien les enseignants que les formateurs, et nous avons aussi bien besoin de reconnaissance que d’avoir l’occasion de porter un regard distancié sur notre propre travail. Et je pense qu’il y a des « cultures de département », alors j’ai bien envie de voir « la culture des autres ». Je suis très contente que ce travail puisse être valorisé, notamment celui de Karine Renaud, qui a montré beaucoup de courage avec sa classe si difficile, et qu’il soit aussi valorisé vis-à-vis de la mairie de Graulhet. Valoriser l’école et le travail qui y est fait auprès des collectivités locales, c’est très important.
Propos recueillis par Béatrice Crabère