Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci :
- Lara VIAU-DESMARAIS, enseignante spécialisée, est devenue brodeuse d’art et anime le site « www.jeanaipaslair » qui plaira à toutes nos lectrices !
- François B…, ancien professeur certifié d’anglais, a démissionné et est devenu l’un des franchisés d’une enseigne
- Julie MAURICE, jeune sociologue, qui vient de réussir brillamment l’agrégation de Sciences économiques et sociales, a analysé 2.901 profils d’enseignants en provenance d’Aide aux Profs. Son mémoire de Master, dirigé par Agnès VAN ZANTEN et Elodie BETHOUX, nous a apporté des informations étonnantes.
- La collection Profession Cadre Service Public a publié le 31 mai 2015 son dernier ouvrage « Mobilité des cadres et administration : la gestion publique des ressources humaines ».
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu’à ce jour ? Pourquoi étiez-vous devenu enseignante ? Et qu’est-ce qui vous incite à en repartir ?
Je suis entrée dans l’EN pour être enseignante spécialisée. La recherche, l’adaptation permanente, le travail en équipe pluridisciplinaire étaient dès l’IFUM mes plus grandes motivations. Je savais dès lors que j’étais bien plus vouée à la recherche, l’observation et l’écoute que l’enseignement en classe « traditionnelle ».
J’ai exercé 3 ans en IEM (Institut d’Éducation Motrice) auprès d’enfants cérébraux lésés en région parisienne. J’y ai découvert le travail passionnant de recherche en équipe pluridisciplinaire. Promise à une formation au CNEFEI de Suresnes par ma hiérarchie en région parisienne, j’ai néanmoins choisi de partir en 2003 en province pour des raisons familiales. Mes enfants étant alors très jeunes, je reportais ma formation de 2 ou 3 ans afin de pouvoir physiquement mener à bien ce projet qui me tenait à cœur.
Le changement de politique de l’inspection de l’enseignement spécialisé (alors AIS) d’un département à l’autre a été cependant radical : en province le choix était d’ouvrir les spécialisations pour les enseignants à bout de souffle (deuxième carrière) et non pas d’encourager les vocations. J’ai donc navigué de poste en poste de « faisant fonction », toujours trop jeune et pas assez abîmée dans l’EN pour pouvoir être formée et titularisée mais toujours assez compétente pour occuper les postes vacants…
En questionnement par rapport au système provincial et la place que je pouvais alors y occuper, j’ai demandé en 2007 au service des ressources humaines de mon département d’user de mon droit à passer un bilan de compétences. Mon interlocutrice m’a alors répondu que « c’était mon droit mais qu’aucune ligne budgétaire n’était prévue pour les enseignants du 1er degré jugés non recyclables » …
J’ai donc été voir un cabinet privé et l’ai payé avec mes propres deniers (le tarif usuel y était d’environ 1500 euros). Il en est alors ressorti que ma vocation dominante restait artistique. Je n’étais pas encore prête à explorer ce domaine, d’autant que ma vocation sociale et enseignante demeurait importante…
J’ai ainsi poursuivi ma voie d’enseignante en exerçant sur de nombreux postes au sein des RASED (6 ans) parfois en y étant très bien accueillie, parfois en y étant mise à l’écart de manière drastique. En effet, faute de véritable formation spécialisée, j’incarnais la pire représentation de substitution des maîtres spécialisés pour mes collègues alors mis à mal par le spectre de la disparition des RASED.
Le sentiment d’essoufflement commençait à se faire jour, j’ai alors été envoyée en début de formation CAPASH (en N-1 en mai 2009 )pour devenir enfin réeducatrice (fonction que j’exerçais clandestinement grâce à deux collègues réeducatrices qui m’ont littéralement aidées, formées, remises en question durant mes années d’exercice à leur côté… ), bref, je répondais aux besoins du terrain mais la déontologie et la défense corporatiste des maîtres G en ces années difficiles pour les RASED m’interdisaient de révéler que je pouvais endosser cette posture en dehors de toutes formation officielle.
Je croyais alors pouvoir sortir de cette clandestinité…
Mais nous étions 4 postulantes pour 3 places, j’étais la plus jeune et là encore, une collègue en souffrance au travail et en état de fragilité est finalement partie en formation en priorité avant moi et je suis restée au final sur le banc de touche au terme de ce stage intense de 3 semaines, destiné au changement de posture professionnelle…
J’ai finalement terminé mes années de souffrance dans l’enseignement spécialisé au sein d’une équipe RASED qui se sentait terriblement menacée par l’institution.
J’y suis restée deux ans, la seconde année nous y étions trois maîtres « faisant fonction », c’est à dire non spécialisés. Afin de préserver les maîtres formés et spécialisés, nous avons été contraints tous les trois à leur demande, de sortir officiellement de cette équipe du rased en septembre. Nous avons donc été placée de manière non préparée en renfort école, corvéables à merci, sans concertation d’équipe ni garde-fous et ne faisant véritablement partie d’aucune équipe. Nous avons du prendre en charge des situations d’urgence particulièrement difficiles, seuls, sans supervision et sans aucune réponse lors de nos appels à l’aide …
J’ai du tutorer mes deux collègues (dont celle qui était partie en formation de rééducatrice deux ans plus tôt sans être parvenue à la finaliser). Le troisième collègue s’est quand à lui suicidé un matin de novembre sur la route qui le menait à son école de rattachement…
Aucune cellule de crise n’a été mise en place, il a fallu que j’annonce moi-même à mon institution son décès 10 jours après sa disparition (j’en ai été tenue informée personnellement, j’ai du faire le relais professionnel). L’accueil a été des plus froid et maladroit, j’en suis encore glacée, c’était il y a 4 ans …
Je ne pouvais plus travailler pour une institution qui malmenait à ce point ses meilleurs atouts. Je n’avais plus confiance, il fallait que je parte, cela devenait évidement vital.
J’exerce désormais depuis 3 ans à mi-temps dans une école à 5 km de mon domicile. J’ai placé mes priorités personnelles au devant du domaine professionnel qui avait désormais cessé de me passionner et qu’il me fallait tenir à distance pour me protéger. Je me suis alors appuyée sur mes compétences propres, j’ai crée petit à petit un nouveau projet professionnel emplie de perspectives, d’apprentissages et d’évolutions possibles.
Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans ce métier ?
Mes premières années en institut associatif m’ont beaucoup appris en ce qui concerne la construction et l’organisation de projets en équipe pluridisciplinaire. L’esprit coopératif qui s’en dégageait m’a fortement inspiré ainsi que mon exercice de classe avec des méthodes d’enseignements dites alternatives et coopératives.
Aujourd’hui, je mets en pratique des rétro-planning, de la gestion de projets à la taille de mon entreprise, et bien qu’artisan, je ne travaille pas seule. L’esprit coopératif est beaucoup plus présent dans mon nouveau travail. Je m’entoure de compétences différentes mais complémentaires, nous œuvrons ensemble pour des projets communs. Je crée et cultive mes réseaux professionnels.
Quels projets aviez-vous en tête pour partir et lequel avez-vous mis en oeuvre ? Avez-vous démissionné ?
Je n’ai pas encore démissionné, j’ai créé une activité il y a 4 ans qui n’est pas en rapport avec mon premier métier d’enseignante mais plus en lien avec ma formation plastique initiale. Il s’agissait au départ de créer quelque chose de vivant sur des ruines morbides. Je suis plasticienne initialement, j’ai donc travaillé à la sublimation.
Quelle est votre activité aujourd’hui ?
De fils en aiguille, j’ai acquis le titre de brodeuse d’art grâce à l’évolution de mon exercice. Passé le simple besoin de reconnaissance, je construis depuis deux ans un métier qu’il me faut faire devenir viable, rentable. De la passion est née la raison et une entreprise de broderie.
J’ai choisi de les mettre en application sur des accessoires de mode féminins et des accessoires de décoration sous le nom de ma marque : « J’en ai pas l’air ».
Je les vends via une e-boutique :
http://jenaipaslair.bigcartel.com
Je présente tout mon travail sur mon site et blog :
Je crée en effet des univers brodés mais transforme des graphismes en broderies pour d’autres petites entreprises (confection artisanales de petites séries) ou grandes entreprises en devenir (avant qu’elles ne puissent accéder à la broderie à l’échelle industrielle).
Mes carences de formation dans les domaines de la vente et de la gestion d’entreprise ont été très vite pensantes. Je ne pouvais rester seule, je suis entourée de professionnels de la création d’entreprise (dont mon propre époux) j’ai donc créé rapidement des réseaux qui sont depuis, de plus en plus construis et résolument professionnels.
J’ai investi dans du matériel, des machines professionnelles, j’ai appris à communiquer par l’image, j’investis encore dans des services de communication et de e-marketing, je cible ma communication et ma clientèle. Tout cela prend du temps car je l’apprends « sur le tas » et je travaille encore à mi-temps pour l’EN.
Je viens de clore un projet de financement participatif qui fut une très belle réussite afin de gagner du temps et clore une première étape d’investissement matériel (station de travail et logiciel de broderie plus performants).
Outre l’aspect créatif qui au final n’occupe qu’une partie minoritaire de ce nouveau travail, il me permet d’élaborer de véritables stratégies de développement. J’aime à travailler en équipe, j’aime à élaborer de nouveaux projets et à entrevoir des portes ouvertes qu’ils convient de bien choisir.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite créer son activité en autoentrepreneur ?
Il me paraît important d’être bien entouré. La culture enseignante est très loin de la culture d’entreprise. Le changement de posture ne se fait d’un claquement de doigts. Il existe également d’autres alternatives au statut d’auto entrepreneur en cumul d’activité comme les coopératives d’emploi par exemple qui permettent de s’essayer à une nouvelle activité ou même en amont de tester une idée et de la transformer en projet tout en étant encadré sur le plan entrepreneurial. Pour ma seule expérience, il est clair que seule, je ne serai jamais allée jusque-là où j’en suis.
Entre avant et maintenant, quelles ont été les répercussions (positives ou négatives) dans votre vie personnelle de ce changement professionnel ?
Mon salaire de mi-temps d’enseignante est encore nécessaire car il constitue à l’heure actuelle mon unique apport financier au sein des dépenses familiales qui n’ont pas diminuées. Mes enfants ont grandi et mon aîné commencera très prochainement son cursus dans les études supérieures. Il me faut désormais cesser cette phase d’investissements et commencer à générer de véritables revenus. C’est aujourd’hui ce seul aspect qui pèse dans ma situation professionnelle.
Par ailleurs, je suis tellement positive et bien dans ma nouvelle posture qu’il nous est impossible d’envisager un retour en arrière (ma famille étant désormais motrice dans ces nouvelles perspectives).
Je n’attends donc que le meilleur et travaille beaucoup en ce sens pour y parvenir. Je ne compte à nouveau plus mes heures mais je le fais avec plaisir, j’apprends même à me prévoir de véritables temps de pause pour me ressourcer. Je n’ai plus vraiment de vacances mais je n’ai plus à les attendre avec autant d’impatience (sauf pour me dégager de mes obligations d’enseignante à mi-temps).
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu’à votre départ de l’enseignement ?
Après avoir été professeur certifié d’anglais pendant 21 ans, j’ai démissionné courant 2013 et ai enchainé sur un master de Marketing internet à l’IFOCOP qui a duré 8 mois. J’ai obtenu ce diplôme, des stages mais presque impossible de trouver un emploi à mon âge en tant que débutant. J’ai donc travaillé sur le projet en parallèle pour ne pas attendre des réponses qui ne venaient pas. Expérience très dynamisante.
Pourquoi étiez-vous devenu enseignant ? Et qu’est-ce qui vous a incité à en repartir ?
Les études m’avaient plu et l’enseignement semblait la conséquence logique.
Le métier ne m’a jamais plu vraiment mais je me sentais coincé, j’ai donc dû continuer et c’est devenu de plus en plus dur au fil du temps. Surtout que la population qui arrive est beaucoup plus difficile à gérer et j’en avais marre de jouer les casques bleu.
Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans ce métier ?
Bonne communication orale et écrite. Aisance relationnelle.
Quels projets aviez-vous en tête pour partir et lequel avez-vous mis en oeuvre ? Avez-vous rencontré des difficultés pour partir ? Quelles ont été vos démarches ?
Le master que j’ai obtenu, mais sans retombée pro.
Pour partir, je suis parti sur un coup de tête un jour pour ne pas revenir. Je n’ai pas demandé une quelconque autorisation ou autre.
Quand on démissionne après avoir été enseignant, peut-on bénéficier d’une allocation chômage ?
Oui tout à fait et on ne vous le dit surtout pas. Il faut pour cela être inscrit à Pole Emploi après 3 mois d’inactivité.
C’est la conseillère Pole Emploi qui me l’a signalé.
Il faut demander après sa démission un relevé de salaire de l’année précédente à votre DPE pour le fournir à Pole Emploi. Pole Emploi envoie un courrier de refus d’indemnisation qu’il faut adresser au service chômage de votre rectorat. Il faut constituer un dossier. Et à partir de là vous êtes indemnisés.
Les droits sont de 730 jours. On vous verse 60% du brut journalier. Vous pouvez obtenir des formations de Pôle Emploi pour changer de voie.
Quelle est votre activité aujourd’hui ?
Xxz est la première chaine d’épicerie française sans emballage. Elle propose des produits de qualité artisanale et semi-artisanale au détail. Il y a 30 % de bio et la qualité nutritive et gustative des produits est privilégiée.
L’investissement pour ce magasin a été à peu près de 70000 euros, que j’ai empruntés en presque totalité. Pôle emploi soutient la création puisque j’ai droit au maintien de l’indemnité la première année.
Je suis leur premier franchisé. J’en suis très fier.
J’éprouve un grand plaisir à guider les consommateurs, à proposer des produits de grande qualité et à promouvoir un nouveau mode de consommation. Contribuer à diminuer la pollution des emballages.
Il y a assez peu de contraintes à part rester de longues heures et travailler le samedi, mais ce n’est rien comparé à la tranquillité d’esprit quand on rentre chez soi, alors que lorsqu’on est prof, on a toutes ses soirées et ses week-ends bouffés par le travail.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite démissionner pour créer une entreprise ou travailler dans le privé ?
Je pense que de toute façon le privé ou l’entreprise individuelle sont la seule solution, les propositions de reclassement étant tellement ridicules et impossibles du fait de la lourdeur des procédures.
Il faut avant tout trouver un projet en accord avec vos aspirations profondes et ne pas se lancer dans un truc qui serait un autre pis-aller. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. Il faut beaucoup démarcher, se renseigner, retrouver une motivation. Après c’est le projet qui vous conduit.
Vous pouvez demander d’obtenir un bilan de compétences des services RH de votre rectorat, c’est très important pour cerner son propre profil et ses motivations (cependant, c’est de moins en moins financé).
Il faut aussi faire un cv et si possible l’étoffer en validant des compétences qu’on a déjà, chercher à développer ceux qu’on a. pour ma part j’ai fait valider mes compétences en anglais et en orthographe (Toefl et certificat Voltaire).
On peut aussi étoffer son cv avec des MOOC, j’ai suivi un MOOC de gestion de projet par l’école centrale de Lille, c’est bien pratique par la suite pour mener des projets, cela donne de la méthode.
Il faut aussi se préparer à passer des entretiens en insistant sur ce que vous êtes en mesure d’apporter à l’entreprise ou à votre interlocuteur. Ne pas tomber surtout dans le piège de la « justification de son parcours ».
Avec le recul, aujourd’hui, que pensez-vous de la manière dont se déroule la gestion des ressources humaines dans l’Education nationale, au niveau des inspecteurs, des chefs d’établissement, voire du Rectorat qui vous gérait ?
C’est un système qui fait tout pour infantiliser les profs et cela marche à la perfection, puisque les gens acceptent leur sort. Dans mon cas, j’ai signalé à maintes reprises que je n’en pouvais plus de ce métier, si on m’avait dit que j’avais droit à des indemnités, je n’aurais pas gâché 15 ans de ma vie. Cela aurait été plus simple pour tout le monde. Mais une fois de plus, le système préfère garder les gens même s’ils ne donnent pas satisfaction et/ ou sont insatisfaits, plutôt que d’avouer que l’on peut s’en extraire.
On a l’impression qu’un Nord-Coréen a plus de chances de quitter son pays qu’un prof l’EN.
Une carrière c’est quand on évolue, que votre salaire et vos responsabilités évoluent. Un prof est condamné à stagner dans tous les domaines, il n’y a pas de carrière véritablement, qu’un interminable surplace.
Entre avant et maintenant, quelles ont été les répercussions (positives ou négatives) dans votre vie personnelle de ce changement professionnel ?
Malgré une plus grande incertitude financière, tout le reste n’est que positif. J’ai vraiment retrouvé le moral, je m’épanouis dans mon activité, il n’y a rien qui me retient dans mon désir de réussite. Je n’ai pas à remplir des taches toutes plus stupides les unes que les autres, à vivre un éternel recommencement à chaque année scolaire, avec ces rites, son calendrier. Ne pas avoir à gérer des situations et des populations que tout le monde sait être ingérables.
Je préfère l’incertitude que je vis, que la certitude de vivre une vie aussi peu enrichissante (dans tous les sens du terme) que celle de prof.
Les journées sont plus longues mais tellement plus plaisantes. Je ne suis plus au milieu des embrouilles sans fin entre élèves, des hurlements et des insultes.
Julie MAURICE est l’auteure de ce mémoire de Master: SORTIR DE L’EDUCATION NATIONALE : LES MOTS DE LA RECONVERSION PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTS, réalisé sous la direction de l’éminente sociologue Directrice de recherches au CNRS Agnès VAN ZANTEN et d’Elodie BETHOUX, sociologue, Maître de Conférences à l’IDHES.
Ce travail a été réalisé à partir d’une analyse lexicale de 2.901 profils d’enseignants de toute la France de notre base de données anonymées, recueillies de du 1er juin 2011 au 5 novembre 2013. Les témoignages sont d’une grande richesse et apportent ces informations: l’âge, le sexe, le département du lieu d’enseignement, le type de concours détenu et son année d’obtention, la discipline enseignée, le statut de l’établissement d’enseignement (public/privé), la position actuelle de l’individu (en activité ou en disponibilité) et enfin la quotité de travail (temps plein / temps partiel).
Julie MAURICE a trouvé important d’étudier la morphologie sociale de la base de données Aide aux profs, c’est-à-dire d’en saisir la composition et la représentativité, par rapport à la population enseignante en France.
Elle a distingué deux sous-échantillons : les enseignants du premier degré et les enseignants du second degré (établissements publics et privés confondus). Sa base de données s’est composée de 38,7% d’enseignants du 1er degré (effectif : 1097) et de 61,3% d’enseignants du second degré (effectif : 1738). Cette répartition est semblable à celle de la population enseignante nationale qui, en 2008, comptait 41,8% d’enseignants du 1er degré (effectif : 367 462) et 51,2% d’enseignants du second degré (effectif : 511 485). Cela lui a permis d’affirmer que la problématique de la reconversion professionnelle chez les enseignants se retrouve à tous les niveaux d’enseignement (page 28).
SES OBSERVATIONS ESSENTIELLES SUR LA REPRÉSENTATIVITÉ NATIONALE D’AIDE AUX PROFS :
–le sex ratio de l’échantillon: on remarque que pour les enseignants du 1er degré (maternelle et primaire), il est très proche de celui de la population enseignante nationale pour laquelle on compte, en 2007, 82% de femmes parmi les professeurs des écoles. Notre échantillon en compte 83,9%, ce qui assure une bonne représentativité du taux de féminisation des enseignants et permet de ne pas biaiser l’analyse par une surreprésentation de l’un des deux sexes.
– En ce qui concerne les enseignants du second degré, le taux de féminisation s’élève à 71,2%, contre 57% à l’échelle nationale. (…)on sait que le collège est plus féminisé que le lycée ; on peut donc penser que parmi les enseignants du second degré présents dans notre base, une importante proportion enseigne en collège.
–La moyenne d’âge, premier et second degré confondu, est de 38 ans dans notre échantillon, contre 42 ans dans la population enseignante globale. Concernant la distribution par âge (graphiques 1 et 2), l’équivalence avec la population totale est respectée : dans le premier degré, les différentes tranches d’âges sont relativement équilibrées, avec une petite prépondérance pour les 30-40 ans. Concernant les enseignants du secondaire, les âges dominants sont plus tardifs, les effectifs les plus nombreux se situant entre les 35 et 50 ans.
–selon l’enquête de 2008 déjà citée, 27% des enseignants (premier et second degré confondus) envisagent de cesser d’enseigner de façon temporaire ou définitive. Le fait d’appréhender ce sujet à partir d’une seule association est donc nécessairement limitant mais l’amplitude nationale d’Aide aux profs permet d’assurer une certaine représentativité spatiale du phénomène, tout en conservant, par le biais des témoignages, le caractère unique de chaque situation.
-La comparaison du tableau 2 (page 53) et du graphique 5 recensant les données nationales montre que, de manière globale, la distribution spatiale des enseignants contactant l’association Aide aux profs est similaire au poids relatifs des différentes académies dans l’ensemble du maillage académique français.(…) En termes d’analyse, cela montre tout d’abord que l’amplitude nationale de l’association est réellement effective étant donné que l’association est contactée par des enseignants de toutes les académies, dans des proportions qui correspondent au poids réel des académies dans la population scolaire (et donc enseignante) nationale.
–les « carrières horizontales » qui caractérisent la trajectoire professionnelle des enseignants constituent en effet un frein considérable à la valorisation de leur carrière en fonction de l’ancienneté, malgré le système d’échelons mis en place.
-Le système de promotions d’échelon, fonctionnant à partir de « points » obtenus grâce à l’ancienneté et à l’évaluation administrative et pédagogique de l’enseignant, apparaît comme un outil de gestion déshumanisé qui ne prend ni en compte la qualité du travail et les efforts investis dans l’enseignement, ni les projets futurs des enseignants (page 75).
–dans le milieu enseignant, comme dans le monde policier ou encore celui de l’hôpital analysés par M. Loriol, les difficultés professionnelles sont davantage « psychologisée » que réellement traitées, notamment dans le cas des enseignants en fin de carrière. Remi Boyer nous explique à ce titre que la gestion effective des cas difficiles par la hiérarchie ne répond pas, comme elle le devrait selon lui, à la question « comment je peux l’aider » mais plutôt « qu’est-ce qu’on peut en faire ? » ou encore « peut-on le mettre en invalidité ? ». Cette essentialisation de la maladie professionnelle implique d’ailleurs que certaines pathologies comme la dépression ou le « burn-out » (terme largement médiatisé ces dernières années), sont désormais partie intégrante du discours des acteurs eux-mêmes, pour caractériser leur mal-être et, en aval, justifier leur désir de reconversion.(page 77)
–Selon Remi Boyer, la « pression de la hiérarchie » est la deuxième raison la plus fréquemment avancée par les enseignants lorsqu’il s’agit de justifier leur motivation pour sortir de l’Education Nationale (la première raison étant l’indiscipline des élèves). Cette pression est due, en partie, aux évaluations pédagogiques (inspections), évènements d’importance dans la carrière des enseignants et largement évoqués dans les témoignages.
-La reconversion des enseignants a ceci de spécifique qu’elle vient remettre en cause le modèle vocationnel qui caractérise la profession, celui du « prof à vie ». C’est dans cette perspective que les justifications d’une telle décision chez les enseignants concernés nous sont apparues intéressantes à analyser de manière détaillée, afin de se distancier par ailleurs des nombreux discours médiatiques sur le thème, souvent biaisés par l’attrait du sensationnel. (page 95)
Elle a accepté de contribuer à notre action d’information en nous permettant de diffuser l’intégralité de son travail :
http://www.apresprof.org/notre-actualite/notre-représentativité
Notre expert en mobilité, Rémi BOYER, est l’un des auteurs de l’ouvrage « Mobilité des cadres et administration » paru fin mai 2015 dans la collection Profession cadre service public. Cet ouvrage sera le dernier de cette collection.
Si certains en doutaient encore, cet ouvrage collectif sur la « Mobilité des cadres et administration. La modernisation de la gestion publique des ressources humaines » coordonné par Jacques ROUDIERE (ancien DRH du Ministère de la Défense pendant 7 ans et Contrôleur Général des Armées), consolide encore plus la crédibilité de notre action associative sur les questions de mobilité en cours de carrière des enseignants, à laquelle la Gestion des Ressources Humaines s’est peu intéressée jusqu’alors, puisque tout l’effort de l’EN des années 2009 à ce jour aura été de développer des secondes carrières qui n’en sont pas (changer de niveau ou de discipline d’enseignement), alors que l’inquiétude des enseignants en poste sur l’allongement de la carrière à 44 ans, les faisant enseigner jusqu’à près de 70 ans, grandit, et que le système de recrutement et de remplacement des professeurs absents fonctionne à flux tendus.
Cet ouvrage est une forme de passerelle destinée à montrer qu’il faut donner sa chance à chacun, professionnellement, non pas en tenant compte du seul concours initial ou de qualité de personnel d’encadrement, mais en fonction des compétences développées, et attestées par l’expérience.
Ma contribution s’intitule : « La mobilité fonctionnelle et structurelle des enseignants demeure un front pionnier ». J’y ai notamment attiré l’attention sur l’importance de faciliter la mobilité des enseignants tout au long de l’année, en préconisant une scission en deux parties de la GRH des enseignants, l’une par l’Education nationale qui continuerait de recruter des fonctionnaires, parmi les étudiants qui envisagent vraiment ce métier pour 44 ans, et l’autre par les DRH des 13 conseils régionaux et de la centaine de conseils généraux, pour les étudiants et professionnels du secteur privé intéressés par des contrats courts de 2 à 5 ans, avec ou sans pérennisation, et dans ce cas tenant compte de leur expérience, avec intégration sous forme de VAE ou de VAP.
Nous pourrions ainsi enfin rompre en partie avec un système de recrutement qui s’essouffle et ne répond plus aux attentes des étudiants, ni des professionnels du privé attirés par une expérience temporaire de l’enseignement.
Beaucoup d’acteurs de l’Education freineront de tout leur poids cette possible évolution de GRH ; explications :
– Les directeurs et sous-directeurs de l’administration centrale, car cela réduirait leur pouvoir –bien supérieur à n’importe quel ministre – sur l’effectif de masse. Mais cela allègerait considérablement le travail de l’EN et permettrait des économies à de nombreux niveaux.
– Les mutuelles d’assurances traditionnellement souscrites par les enseignants, qui craignent de voir partir vers la concurrence leur vivier. Mais cela permettrait aux enseignants de comparer, et de faire eux aussi, parfois, des économies.
– Certains syndicats, qui craignent qu’en ouvrant trop largement les vannes de la mobilité hors enseignement, leurs adhérents diminuent et affectent leur représentativité, et donc le nombre de décharges dont ils bénéficient. Cela permettrait de rééquilibrer le paysage syndical, en faisant faire des économies à l’Etat.
En réalisant cependant enfin cette réforme en profondeur dans le recrutement, le métier redeviendrait attractif, car il serait aussi facile d’y entrer que d’en sortir, avec des perspectives de carrière diversifiées de ce simple fait. L’expérience de quelques années dans l’enseignement pourrait servir de tremplin aux étudiants pour d’autres métiers, tandis que des salariés au chômage pourraient, de manière transitoire, expérimenter cette voie. Le chômage pourrait donc diminuer dans certains départements, grâce aux besoins en enseignants, en assistants d’éducation, en psychologues… Toute la société y gagnerait, de plus en plus de salariés découvrant que ce métier n’est pas de tout repos, et que le travail de l’enseignant ne se limite pas à ses heures devant élèves.
Du fait de ce transfert de moitié de la masse salariale de l’EN vers les départements et les régions, cela pourrait légitimer la réforme des bases locatives, destinée à accroître les revenus des collectivités locales à l’horizon 2018, quand les citoyens découvriront les montants de leurs nouvelles taxes foncière et d’habitation…
Sur le site du Café
|