Par Anne Delannoy
Le séminaire tenu en 2011 autour du thème du « Learning centre » et qui a ouvert la voie au concept de Centre de Connaissances et de Culture, n’était que la première partie d’une réflexion plus globale sur les mutations afférentes au numérique ; les espaces et les temps étant remis en question pour être au service des apprentissages des élèves. Notre questionnement professionnel s’est ouvert sur les apprentissages hors de la classe et hors du temps en classe/encours et donc sur la mise à disposition de ressources numériques.
Parallèlement, il apparaît que ces ressources numériques transforment notre rapport à l’information ainsi que les compétences nécessaires à leur appropriation. L’évolution des stratégies pédagogiques et des apprentissages numériques bouleverse notre quotidien d’enseignant tout en constituant un levier pour la réussite des élèves.
Le 10 et 11 mai 2012 se tenait au CDDP de Boulogne Billancourt un séminaire national sur le thème des « Ressources numériques au CDI : un défi pour le développement des usages ». Lié à la mise en œuvre du plan DUNE (Développement des Usages du Numérique) il s’adressait principalement aux 13 académies retenues dans le cadre de cette dotation exceptionnelle. Il a été conçu et organisé par Mireille Lamouroux (responsable académique de la documentation, CRDP de Versailles) sous l’égide de la DGESCO et l’autorité de l’inspection générale.
Il a été animé par des intervenants de différents horizons : de terrain, institutionnels, utilisateurs ou éditeurs de ressources mais aussi universitaires comme Jean Michel Salaün ou Milad Doueihi. Les interventions de ces derniers ont eu un intérêt double : leur contenu réflexif mais aussi l’affirmation de l’ancrage de la problématique dans un champ plus vaste, notamment par l’approche universitaire.
Définition et typologie de la ressource numérique
Gérard Puimatto (directeur adjoint du CRDP de Marseille) a rappelé que « la ressource désigne un moyen permettant de faire face à une situation. Ainsi, la ressource documentaire est un moyen mobilisable pour résoudre une question informationnelle, et, par extension, une ressource pédagogique, un moyen de résoudre un problème pédagogique. »
La notion de « ressource numérique » est apparue dans les années 1975, le concept s’est donc construit sur une génération. Il véhicule beaucoup d’implicite et de confusion mais contient globalement toujours la notion de gisement.
Dès lors, Mireille Lamouroux (responsable académique de la documentation, CRDP de Versailles) rappelle que les typologies construites sont extrêmement variées (ressources éditoriales, institutionnelles, production mutualisée / ressources brutes ou didactisées / ressources documentaires (par abonnements, éditorialisées) ou pédagogiques (cours, tutoriels, manuels) / ressources du web visible ou du web invisible…). Mais quelles que soient ces ressources numériques, elles s’imposent car elles font à la fois l’objet d’une injonction officielle, elles sont une nécessité et une réalité.
Ressources éditoriales ou collaboratives : quels modèles de production et de diffusion ?
Le modèle économique est un point central qui n’a pas manqué de faire débat. Les éditeurs misent sur le service autour de la ressource pour justifier leurs tarifs. Ils certifient que les enseignants sont en demande de ressources fortement didactisées mais les enquêtes de terrain, selon Gérard Puimatto, montrent que les enseignants extraient le média du scénario pédagogique pour l’adapter à leur propre enseignement. Le modèle intermédiaire est le « freemium » : la ressource est gratuite mais l’environnement pédagogique est payant. Il existe cependant des modèles alternatifs, notamment collaboratif à l’exemple de Sésamath qui a été présenté de façon très enthousiasmante par Sébastien Haché (co-fondateur de Sésamath).
La problématique du coût des ressources incite à proposer un dépassement du cadre de l’EPLE pour la définition d’un nouveau modèle économique. La mutualisation des moyens via des coopératives d’achat ou des marchés publics pourrait être une piste intéressante pour changer ce modèle.
La politique documentaire prend toute son importance dans la recherche d’une stratégie numérique : elle seule permet un choix réfléchi, concerté et volontaire des acquisitions par tous les acteurs.
Parallèlement, il faut que les nouveaux modèles éditoriaux s’adaptent aux besoins : plus d’interaction ou d’interopérabilité entre les ressources, plus de granularité (c’est à dire de découpage en petites unités élémentaires d’apprentissage) et plus de possibilité d’extraction des ressources.
L’évolution pourrait se diriger vers la création de « banques de grains », indexées et structurées, permettant la création de parcours de formation individualisés. C’est le choix formulé par le CNED, car la notion de parcours est primordiale dans la formation à distance. (Cet organisme de formation et de soutien s’est lancé dans un projet « d’écriture numérique » de tous ses cours du secondaire et fera une correction numérique des copies).
Les conditions de la réussite
Changement d’échelle
Avec les ressources numériques, il a été souligné à plusieurs reprises que nous sortons inévitablement de l’échelle du CDI, l’échelle minimum est celle de l’établissement mais elle tend à être plutôt celle du réseau (institutionnel ou de mutualisation).
Pour Pascal Cotentin (conseiller TICE auprès du recteur, Versailles) les ressources doivent répondre aux besoins de mobilité et de collaboration et être accessibles à partir du bureau numérique de l’élève. Elles doivent aussi pouvoir être mutualisées et servir de base à un réseau social d’enseignant, à l’animation d’une communauté de pratiques. Pour cela il faudrait mettre en place un écosystème au niveau académique, s’appuyer sur un référentiel commun pour créer de la cohérence à toutes les échelles (échelle de la ressource, du parcours de l’élève, de l’école primaire à l’Université)
La réponse aux difficultés de gestion d’un fonds numérique (sélection, prescription, médiation) est avec certitude celle de la mutualisation, peut-être via des catalogues collectifs selon Nathalie Marc (proviseur adjoint Lycée Palissy, Saintes). De nombreuses tentatives en ce sens se mettent en place. Renaweb dans l’enseignement agricole, présenté par Véronique Wozniak (inspectrice de l’enseignement agricole, Doc et Time), met à disposition un dépouillement collectif de périodique et monographies. Aivasat et Célinat, développés dans l’académie de Toulouse sous la direction de Pierre Rivano (IA-IPR EVS, académie de Toulouse), sont deux outils collaboratifs complémentaires. Le premier propose des situations pédagogiques dans différentes disciplines et permet aux enseignants de travailler avec les élèves des compétences info-documentaires ainsi que des compétences du socle commun. Le second est un catalogue mutualisé de sites internet conçu pour alimenter les logiciels documentaires des CDI.
Accessibilité
Les ressources ne doivent pas être sanctuarisée : il faut qu’elles soient déverrouillées, accessibles par tous, partout (nomadisme) et tout le temps. Elle doivent être interopérables et accessibles par liens profonds grâce à leur granularité.
Christophe Poupet (professeur documentaliste, lycée Pasteur, Le Blanc et IATICE -interlocuteur académique TICE) a insisté sur la notion d’écosystème : les ressources doivent être intégrées dans les ENT ou les portails documentaires, elle doivent pouvoir être associées à des outils de prise de note, il doit être possible d’extraire l’information et de la partager, de la mettre en favoris, de garder des traces de son parcours d’information et donc elles doivent s’intégrer dans un modèle plus large et dans le web social.
L’accessibilité passe par un travail sur l’hybridation et la recherche fédérée des ressources grâce à la granularité et une description normée (ScolOMFR ou Thésaurus). Ce travail permet de donner du sens et de la complémentarité à des ressources qui sont hétérogènes. On a vu à travers l’exemple présenté par le CRDP qu’il est possible de trouver une hybridation entre les ressources numériques mais aussi entre les ressources physiques et numériques. On peut à présent aller vers une hybridation des ressources entre elles, comme le souligne Michel Reverchon-Billot (directeur du CRDP de Poitiers). Dans un logiciel documentaire, une notice de ressources d’un site partenaire, par exemple, doit pouvoir donner accès à la ressource elle-même. Avec l’évocation des bases de données et des catalogues en ligne se pose donc cette question de l’accès au document primaire. Comment permettre à un usager d’une base documentaire en ligne d’avoir accès, via la notice d’un article du quotidien Le Monde, à l’article lui même ? Les concepteurs d’Esidoc se penchent sur cette question ainsi que sur la possibilité d’avoir accès à la définition d’un mot de la notice ou de l’article, à la biographie Wikipédia d’une personne citée.
A plus long terme, les évolutions nous amèneront peut-être aussi à hybrider les fonds documentaires de plusieurs CDI ou d’un réseau local (CDI et médiathèque par exemple).
Renouveler du rôle du professeur documentaliste
A partir de l’intervention de Jean-Michel Salaün (professeur des universités, ENS Lyon), « les trois facettes du document numérique et le nouvel ordre documentaire », nous pouvons percevoir les glissements de notre fonction par la multiplication de nos compétences. Jean-Michel Salaün affirme que nous nous dirigeons vers la fonction d’architecte de l’information basée sur 3 catégories de compétences : des compétences « classiques » des sciences de l’information (repérer, organiser), des compétences techniques liées aux médias numériques, des compétences tournées vers l’utilisateur (médiation documentaire, construction de services intuitifs voire de « design de l’information »).
Politique d’acquisition et de mise à disposition
Le rôle du professeur documentaliste se renouvelle par une transformation de la gestion du fonds. Comment relocaliser les ressources au CDI, quel lien entre le physique et le numérique ? Quelle médiation des ressources ? Quel écosystème informationnel ?
Il s’agit de penser les conditions d’accès légales des ressources numériques : licences, propriété intellectuelle, exception pédagogique. De manière générale les ENT ou les intranet/extranet doivent être privilégiés pour éviter d’entrer dans le statut d’éditeur privé (via des publications directes sur internet comme sur des blogs par exemple). Le nomadisme se développant fortement dans les pratiques des élèves, ces ressources numériques doivent être accessibles depuis n’importe quel type de terminal numérique.
Il est aussi légitime de se pencher sur le passage inéluctable d’un fonds à un flux … quid du catalogue dans cette mise à jour permanente des ressources ? L’injonction de former les élèves à des pratiques de veille dès le collège avec la rénovation du B2i n’est pas sans trouver écho dans ce constat d’évolution vers un flux d’information. En effet, pour comprendre ces mutations apportées par le numérique, il est intéressant que les élèves effectuent eux-mêmes les opérations de publication et de veille.
En devenant des architectes de l’information, il s’agit pour nous de localiser, analyser, évaluer mais aussi donner de la visibilité à l’information. Reprenant cette idée, Marie-France Blanquet (maître de conférences, IUT Bordeaux) a insisté sur la nécessité de construire des chemins d’accès à l’information afin que l’élève puisse mettre en œuvre des stratégies d’autodidaxie. Nous rejoignons là le concept de Centre de Connaissances et de Culture en tant que lieu d’apprentissage mais aussi d’auto-apprentissage.
Formation des élèves
C‘est par le changement dans les pratiques d’accompagnement des élèves, que le rôle du professeur documentaliste se trouve modifié. Ce n’est pas une nouveauté mais il apparaît que cette formation est d’autant plus nécessaire que le rôle de l’éditeur s’efface sur internet. La formation qui se base sur la reconnaissance des statuts du documents, sur la validation des informations et sur les compétences de publication en ligne se complexifie. La révolution numérique, évoquée par Milad Doueihi (professeur des université, Université de Laval), est pour l’essentiel un processus civilisateur qui contribue à l’émergence d’une nouvelle culture : la culture numérique. Dans ce contexte, une formation aux cultures numériques devient inévitable et une réflexion sur les médiations documentaires doit être menée. Publier et veiller ont d’ailleurs été à plusieurs reprises mentionnées comme de nouvelles compétences nécessaires à la formation d’usagers du numérique car elles seules permettent de comprendre le processus éditorial complexe du web. Jean Michel Salaün explique que les fonctions originelles du document, transmettre et prouver, connaissaient un glissement vers échanger et convaincre. Rémi Mathis (président de Wikimédia France) préconise à ce titre de faire publier les élèves sur Wikipédia pour en appréhender les règles d’usages et de publication.
Cette formation doit s’appuyer sur une meilleure connaissance et prise en compte des pratiques sociales des élèves. Comme l’explique Marie-France Blanquet, nous pouvons prendre appui sur l’observation des élèves face aux ressources numériques : ils nous montrent comment rentrer dans cet univers. Nous pouvons également enseigner autrement en proposant des chemins d’accès à l’information, en construisant ces chemins.
Émergence d’une identité numérique des CDI
La dissémination de l’activité des CDI, et plus largement des bibliothèques, à travers l’usage des médias sociaux ou de supports numériques variés a été abordée à plusieurs reprises. Il apparaît évident que les professeurs documentalistes ne peuvent plus ignorer ces pratiques et qu’il convient de connaître le phénomène pour l’enseigner. Le travaux de Magalie Bossuyt (professeur documentaliste, lycée Jules Fil, Carcassonne) sont un exemple de stratégie assumée de présence numérique. Dans cet exemple, il a été fait le choix d’une identité numérique réfléchie et structurée. Plusieurs médias sociaux sont exploités et interconnectés pour la veille, le stockage, la diffusion de l’information et la formation des élèves. Les médias sociaux utilisés sont Facebook (pour assurer une forte présence), Twitter, (pour la facilité et l’instantanéité de la diffusion) Babelio (pour l’échange de critiques de livres), Viadéo (pour un travail sur les CV et les recherches de stages), Slideshare (pour le dépôt de documents). Les avantages de ces réseaux sont la création et l’animation d’une communauté, la mutualisation, la facilité de diffusion, l’accès au web invisible, le recoupement de l’information ainsi que l’amélioration visible de la communication du CDI.
Pour conclure
Au risque d’enfoncer des portes ouvertes le champ des possibles est immense et nous sommes encore au milieu du gué mais … que c’est stimulant !!!
Pendant ces deux jours nous avons soulevé beaucoup de questions et apporté peu de réponses. Le travail collaboratif et au delà, la mutualisation des expertises, des pratiques et des services sont des pistes à privilégier.
La synthèse dressée par Mireille Lamouroux a reposé sur trois mots clés « converger, intégrer, innover » qui correspondent dit-elle au thème actuel de la présidence de l’IFLA (Fédération internationale des associations de bibliothécaires et d’institutions) : « Convergence, intégration, innovation : les bibliothèques, une force pour le changement ». Si ce slogan est vrai pour les grandes bibliothèques, il l’est aussi pour les plus petites, y compris pour les bibliothèques spécialisées que sont toutes les formes de bibliothèques scolaires. Le thème du congrès IFLA 2012 ramène, souligne-t-elle, aux missions du professionnel : « Les bibliothécaires facilitateurs de l’apprentissage ». En effet, s’il est décrit comme « l’architecte de l’information » par Jean-Michel Salaün, le professeur documentaliste est tout autant l’architecte des connaissances et des compétences des élèves. L’enjeu de son rôle tient à ce que les anglo-saxons appellent le knowledge management, c’est-à-dire la mise en place de véritable système de gestion de connaissances à partir duquel on va développer des usages ; une idée que Mireille Lamouroux illustre en citant Michel Melot (Le métier de bibliothécaire) : « Le cœur du métier aujourd’hui, ce n’est pas le traitement mais l’intérêt pour les contenus que l’on peut se risquer à définir comme la construction d’un lien entre les usagers [les élèves] et le savoir ». Dans cette perspective, le centre de connaissances et de culture devient, dit-elle, « un véritable laboratoire de développement pédagogique au cœur des dispositifs d’apprentissage et d’accompagnement, un vrai « lieu de savoir », un CDI au Deuxième souffle, celui qui, selon une des visions de Bruno Latour, fusionne avec la salle de classe ».
En conclusion de ce séminaire, Jean-Louis Durpaire (inspecteur général de l’éducation nationale, groupe établissements et vie scolaire) a souligné la forte participation, la qualité générale des interventions et des échanges et la richesse des expériences de terrain. La question de la sélection des ressources numériques est, à son avis, cruciale pour une action pédagogique renouvelée. Les propos de Jean-Michel Salaün autour de l’architecture de l’information tout comme ceux de Marie-France Blanquet sur le métier de documentaliste (enseigner autrement – favoriser l’autodidaxie – collaborer- éveiller) permettent de guider notre réflexion non seulement pédagogique mais aussi documentaire. Cette réflexion sur les ressources numériques ne néglige pas l’imprimé, c’est une réflexion très reliée à celle sur les lieux et espaces ; ce n’est pas un hasard si le Vademecum « Vers des centres de connaissances et de culture » a été dévoilé et distribué lors de ces deux jours de séminaire… Ce séminaire a aussi mis en évidence les limites du local en matière de ressources. Les exemples de Couperin, de Carel, mais aussi de Correlyce ou Courdécol, la réflexion sur le catalogue de Dune ont montré l’avantage à dépasser le niveau de l’EPLE pour les politiques d’acquisition des ressources numériques. Pour cela, les politiques documentaires académiques devront devenir plus concrètes dans ce secteur.
Le programme du séminaire
http://media.eduscol.education.fr[…]ressources_num-riques_au_CDI_2012_213221.pdf
La bibliographie du séminaire (articles publiés par les intervenants, liens vers les types et modèles de production et de diffusion des ressources, gestion documentaire, prospective…)
http://www.cddp92.ac-versailles.fr[…]Actu_Doc_mai_2012.pdf
Sur WebTV (académie de Versailles), une courte vidéo sur le séminaire
http://webtv.ac-versailles.fr/spip.php?article859
Quelques supports d’intervention :
Le CDI et les réseaux sociaux, présentation de Magali Bossuyt
http://prezi.com/he9tdtroh5z4/le-cdi-et-les-reseaux-sociaux/
Ressources éducatives, alpha et oméga du numérique à l’école, par Gérard Puimatto
http://eprofsdocs.crdp-aix-marseille.fr/Ressources-educatives-alpha-et.html
La mutualisation au cœur de la politique documentaire de l’académie de Toulouse, par Pierre Rivano (IA IPR Toulouse)
http://espace-cdi.ac-toulouse.fr/spip.php?article38
L’usage des QR Codes en CDI et bibliothèque, par Jean-Thomas Mailloux
http://tommaillioux.fr/prez/cdiqrcodes.ppt
Sur le Bloc-notes de Jean-Michel Salaün, Vu, Lu, Su par le design
http://blogues.ebsi.umontreal.ca/jms/index.php[…]document
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