Et de trois. Le ministère de l’Education nationale publie le troisième rapport en moins de six mois sur l’organisation territoriale de l’Education nationale. Particularité : cette fois ci il ne s’agit pas de donner des idées générales sur la territorialisation mais d’organiser concrètement le passage de 26 académies métropolitaines à seulement 13 en fixant les étapes. Ce nouveau pas organise l’application des idées du ministre et fixe l’horizon 2021 pour la disparition des académies actuelles. Le rapport de l’IGAENR met au centre de ses préoccupations la fusion de la gestion des personnels avec tout ce que cela comportera pour les enseignants par exemple en ce qui concerne leur affectation.
La territorialisation, une question rouverte depuis 2015
» À l’issue de ces travaux, la mission constate que, dans leur très grande majorité, ses interlocuteurs estiment que le système actuel est arrivé au bout des conséquences qu’il pouvait produire alors même qu’il demande une débauche d’énergie pour fonctionner imparfaitement. La conclusion quasi unanime est qu’il convient désormais de passer à une nouvelle étape qui devra permettre un fonctionnement plus lisible, plus opérationnel, et plus rationnel ». Commandé par JM Blanquer à l’IGAENR, le rapport de F. Weil, conseiller d’Etat et aussi ancien recteur de Paris, du recteur d’Aquitaine O. Dugrip et des inspecteurs généraux MP Luigi et A Perritaz à peine remis est publié par le ministère.
Longtemps très centralisé, le système éducatif français s’est territorialisé depuis les lois de décentralisation, de 1982 à la récente loi NOTR. En 2015, avec la naissance des nouvelles régions, l’Education nationale a fait exception en gardant ses anciennes académies. Mais elle les a chapeautées avec des « recteurs de région académique » correspondant aux 13 nouvelles régions métropolitaines. JM Blanquer a fait un pas supplémentaire. Un décret publié en novembre 2017 autorise un recteur de région académique à administrer plusieurs académies, légalisant une situation de fait en Normandie.
C’est le troisième texte en quelques mois sur cette question. En décembre 2017, la Cour des comptes a souligné » la fragilité de ces régions académiques, qui ne disposent ni d’autorité hiérarchique, ni de missions d’allocation des moyen » et demandé la suppression de plusieurs académies. Début mars 2018, le rapport annuel de l’Inspection générale a été consacré à la territorialisation. Il a recommandé un nouveau découpage administratif privilégiant les recteurs de région académique, l’idée étant de renforcer le pilotage des enseignants en centralisant davantage la gestion.
Surcharge des services académiques
Le nouveau rapport de l’IGAENR dresse lui aussi un portrait très négatif du compromis de 2015. » Il n’est pas nécessaire de multiplier les exemples pour pouvoir affirmer que le dispositif institutionnel mis en place ne fonctionne qu’au prix d’une forte déperdition d’énergie, en particulier du haut encadrement des services déconcentrés, qui doit s’impliquer au-delà du raisonnable dans les groupes de travail nécessités par la coordination interacadémique », écrit l’Inspection. « Par ailleurs, les exigences de l’administration centrale pour le suivi de la mise en place des régions académiques qui s’ajoutent aux demandes habituelles adressées aux académies ont pu contribuer à la surcharge des services académiques. Par-delà les recteurs et les secrétaires généraux d’académie, c’est l’ensemble des conseillers techniques concernés par les compétences régionales qui connaissent un alourdissement considérable de leurs missions sans que cela se traduise par la mise en oeuvre de politiques publiques éducatives définies et respectées de manière uniforme dans tous les territoires infra régionaux. Il s’ensuit une interrogation sur l’utilité de leur investissement et l’efficience de l’action administrative régionale ».
Le rapport rappelle que les nouveaux recteurs de région académique » essayent d’animer des coordinations inter académiques dans une multiplicité de domaines : l’utilisation des fonds européens, les campus des métiers et des qualifications, les dispositifs de cordées de la réussite et les parcours d’excellence, le décrochage scolaire, les internats, mais aussi l’affectation des élèves, la formation continue des adultes, la politique éducative liée au sport, la politique artistique et culturelle, la santé, l’immobilier, les contrats d’objectifs (que la collectivité ait choisi d’y associer sa signature ou non) ou le contrôle des actes des EPLE. Cette situation aboutit à un véritable renouveau des relations avec les partenaires ». Toutefois, « les pouvoirs donnés au recteur de région académique pour l’arbitrage d’orientations stratégiques et la coordination des politiques n’ont été accompagnés d’aucune modification dans les périmètres académiques de gestion, notamment budgétaires et de ressources humaines, qui restent définis et applicables selon les normes fixées au plan national. Il s’agit là d’une limitation très forte du pouvoir accordé aux recteurs de région académique ».
Chaque recteur d’académie reste responsable du contrôle budgétaire des établissements ce qui constitue un frein sérieux à la gestion par le recteur de région académique. Enfin , suite au compromis de 2015, l’affectation des personnels, notamment enseignants, reste académique même si dans 11 académies la gestion des enseignants du 1er degré est déjà mutualisée. » Les rapports des correspondants académiques et les entretiens avec les recteurs soulignent le caractère chronophage du fonctionnement des régions académiques, notamment avec la multiplication des comités et groupes de travail nécessaires à leur cohésion », note le rapport. » Le dispositif institutionnel mis en place ne fonctionne qu’au prix d’une forte déperdition d’énergie, en particulier du haut encadrement des services déconcentrés, qui doit s’impliquer au-delà du raisonnable dans les groupes de travail nécessités par la coordination interacadémique… Le sentiment est fort que le dispositif est déjà au bout des effets bénéfiques qu’il pouvait produire ».
Aussi les rapporteurs ont » acquis la conviction que l’organisation des services déconcentrés du ministère de l’éducation nationale et du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation doit être harmonisée avec celle qui découle des lois de 2015 pour l’ensemble des autres administrations… Ce choix permettra, à l’horizon de la rentrée 2021 au plus tard, de supprimer la catégorie de région académique, qui n’a pas su trouver sa place, et de revenir à la seule catégorie d’académie, redéfinie dans les nouveaux périmètres régionaux ».
Trois scénarios
Mais le rapport estime que « cette évolution doit se faire selon des scénarios différents selon les régions académiques concernées et en tenant compte des contraintes spécifiques à chacune ». L’originalité du rapport est justement de proposer des scénarios concrets et datés de passage de 30 à 13 académies, en distinguant 4 régions d’étendue modeste, 4 plus étendues et enfin l’Ile de France.
Dans les 4 régions d’étendue modeste (Bourgogne‐Franche‐Comté, Hauts‐de‐France, Normandie et Provence‐Alpes‐Côte d’Azur) , qui ne comptent que 5 ou 6 départements, le rapport considère que les personnels sont prêts à la fusion. » La fusion des académies avait déjà été envisagée lors de la préparation du décret du 10 décembre 2015 ; elle avait alors provoqué des réactions hostiles de certains personnels et d’élus locaux. Aujourd’hui, même si certaines postures peuvent être inchangées, la mission constate… la grande majorité des acteurs de ces régions académiques ont admis l’idée que les académies auxquelles ils appartiennent sont appelées à fusionner à brève échéance. Les préoccupations des personnels se situent davantage maintenant sur les conditions et les conséquences de cette fusion que sur son principe ».
Le rapport invite les recteurs de ces régions académiques à élaborer un projet de fusion pour 2019 ou 2020, le projet devant être remis en 2018. » Il ne s’agit, ni plus ni moins, que de reproduire à l’échelon régional l’organisation académique actuelle sur la base d’un réaménagement des services académiques dans leurs sites respectifs confirmés ».
Dans les 4 grandes régions (Auvergne‐Rhône‐Alpes, Grand Est, Nouvelle‐Aquitaine et Occitanie), » la mise en oeuvre de ce principe implique la conception de nouveaux modes de gouvernance pour maintenir ou renforcer, dans le nouveau cadre, le fonctionnement et la qualité de suivi indispensables ». Les scénarios vont varier selon les régions. Le rapport demande la création d’un vice chancelier des universités et d’un adjoint chargé de l’enseignement scolaire auprès de chaque recteur. Pour mieux gérer les personnels il recommande la fusion des corps d’inspection.
En Ile de FRance, » l’organisation de l’enseignement scolaire dans la région Île-de-France dépendra pour partie de la définition de la métropole du Grand Paris. Selon la configuration choisie, le recteur de la future académie de Paris-Île-de-France pourra prévoir de s’appuyer sur deux à trois adjoints, territorialisés ou non, qui pourraient être directeurs d’académie ou recteurs adjoints. La mission recommande que le recteur de la région académique soit, comme ses collègues, chargé d’élaborer un projet de fusion dont le calendrier pourra différer des autres régions académiques en fonction des annonces liées au Grand Paris, mais sans remettre en question le principe de la fusion ». Seul le territoire des 2 adjoints imaginés par le rapport changerait.
Un calendrier
La transition sera impulsée dès cette année. Le rapport conseille au ministre d’agir dès 2018 et recommande « une annonce ministérielle immédiate de l’objectif de parvenir à la création, au plus tard à la fin 2021, de treize nouvelles académies métropolitaines en lieu et place des treize régions académiques actuelles… Le décret du 10 décembre 2015 devra être modifié immédiatement pour donner un pouvoir hiérarchique au recteur de région à l’égard des autres recteurs de la région académique ». Deuxième étape » la désignation, avant la fin de la présente année scolaire, des treize recteurs de région académique préfigurateurs chargés de préparer, selon les modalités de leur choix et en respectant un dialogue social fort, les projets de fusions des académies de leur région. Ils devront, selon les cas précisés plus haut, présenter leurs projets au plus tard au début de l’année 2019″. Enfin » le transfert, dès la rentrée scolaire et universitaire 2018, de toutes les compétences relatives à l’enseignement supérieur au recteur de région académique ». Les nouveaux recteurs devraient au moins faire un stage à l’ENA pour renforcer leur légitimité….
Le rapport imagine les changements administratifs que cette réforme apportera. » La première mesure à prendre dans ce domaine, dès qu’elle sera techniquement possible, consiste à déléguer aux actuels recteurs de régions académiques les emplois et les crédits de chacun des programmes qui sont gérés dans le cadre de l’enseignement scolaire… Aussi longtemps que le recteur de région académique ne disposera pas de la possibilité de répartir les délégations de crédits et d’affecter les moyens en fonction des décisions prises en comité régional académique, il ne pourra ni construire ni mettre en oeuvre une véritable politique régionale académique ».
La gestion des enseignants au coeur de la question
Même si le rapport ne le dit pas, la principale justification de la réforme est bien dans les économies réalisée dans la gestion des personnels. Le rapport annonce une totale régionalisation des personnels. » Il est clair que la nouvelle organisation territoriale repose la question de la déconcentration de la gestion des ressources humaines dans des termes nouveaux. Au terme du processus que la mission préconise, les recteurs devront voir renforcer leurs compétences en matière de gestion de personnels avec la déconcentration au niveau académique de tous les actes de gestion, ce qui permettra à l’administration centrale de se consacrer exclusivement à ses tâches de conception, pilotage et régulation ».
Mais les rapporteurs sentent venir les résistances. Ils conseillent « dans un premier temps, de ne pas remettre en question les circonscriptions académiques actuelles pour l’affectation des personnels » dans les grandes régions. Dans les petites l’intégration sera progressive.
La réforme aurait d’autres conséquences. « Au niveau départemental, le principe d’organisation « un département – un IA-DASEN » pourrait évoluer », reprenant ainsi une idée émise par le rapport de l’Inspection. « Si, pour des raisons symboliques et politiques qu’il n’est pas nécessaire de développer, il paraît difficile, dans la mesure où chaque département demeure une circonscription administrative de l’État, de créer une inspection académique unique pour deux départements, la mission recommande, partout où les recteurs des nouvelles académies le proposeront et, dans un premier temps, sous forme d’expérimentation, de nommer le même inspecteur d’académie directeur académique des services de l’éducation nationale de deux départements, quand les effectifs d’élèves concernés ou la taille de ces départements le justifient… A l’intérieur des départements, la carte des circonscriptions du premier degré devra faire l’objet d’un réexamen généralisé ».
Une réforme souhaitée par Blanquer
La réforme territoriale fait l’objet d’un chapitre important dans le dernier livre du ministre, « L’école de demain ». Il décrit une organisation « illisible » à la fois parce que les 13 nouvelles régions académiques n’ont pas gommé le découpage académique plus ancien et parce que « les fonctions d’inspection sont ambiguës ». Pour le futur ministre il faut « réconcilier les fonctions de direction et d’inspection ». JM Blanquer se montre favorable à une large autonomie des établissements, la mission d’évaluation et d’embauche des enseignants étant confiée aux chefs d’établissement. Les inspecteurs et les chefs d’établissement se rapprocheraient dans un corps nouveau, un projet qui fait débat depuis plusieurs années chez les intéressés. Mais JM Blanquer se montrait favorable à une décentralisation accordant plus d’autonomie au niveau des circonscriptions alors que le rapport de l’Inspection juge ce découpage des circonscriptions périmé et veut renforcer le rôle des Dasen.
Une question devenue incontournable
La question de la réforme territoriale est bien au coeur du débat éducatif. Il avait été ouvert par A Bouvier et B Toulemonde au moment de la refondation. Et la thèse récente de Claire Dupuy sur la régionalisation est utilisée pour justifier d’aller plus loin dans la décentralisation et l’autonomie locale. Dans un numéro récent de la Revue de Sèvres Anne Barrère et Bernard Delvaux jugent la fragmentation des systèmes éducatifs nationaux inévitable.
Pourtant on pourrait citer aussi des mouvements inverses. Ainsi en Suisse, où l’autonomie scolaire descendait parfois jusqu’au niveau de la vallée, l’harmonisation entre les systèmes éducatif avance. En Allemagne le choc Pisa a renforcé la cohérence entre les Länder. Plus récemment au Québec, un modèle avancé par JM Blanquer, les commissions scolaires, est menacé. Des pays qui sont allés très loin dans l’autonomie des établissements ont obtenu des résultats décevants que ce soit en Suède ou en Belgique.
Les professeurs en première ligne
Ce qui est certain c’est que les enseignants sont au coeur du processus, même s’ils ne le souhaitent pas. C’est la gestion locale des ressources humaines qui permettrait par exemple d’affecter les enseignants au niveau des régions académiques et non plus des académies. Déjà des recrutements interacadémiques de contractuels se mettent en place. En changeant d’échelle la gestion des personnels devrait déjà permettre de réaliser des économies.
Mais elle serait aussi une étape pour une autre gestion. La fusion des corps d’encadrement permettrait de rapprocher le pilotage pédagogique jusqu’au niveau local. Car si la question territoriale a à voir avec la gestion des moyens, elle est aussi un outil pour contrôler et diriger davantage le travail dans la classe.
Pour les syndicats, reçus cette semaine par le ministre, voilà un nouveau sujet de discussion qui s’ouvre. L’Unsa Education a déjà fait savoir qu’il « partage le constat sur les difficultés de fonctionnement ». Mais il « exige que les transformations se construisent avec tous les personnels ».
François Jarraud