Adopté le 3 juin, le rapport de la Mission d’information du Sénat sur les ÉSPÉ (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) ne cache rien des difficultés de leur mise en place. Il décrit les obstacles et surtout les conflits entre les universités et ces nouvelles écoles qui doivent y trouver place. Il invite à renforcer la professionnalisation de la formation et à l’anticiper dès l’année de L1.
« Au travers de la réforme des ÉSPÉ, c’est véritablement la capacité à changer de paradigme de notre système de formation, tant pour l’enseignement scolaire que pour l’enseignement supérieur, qui est mise à l’épreuve. L’installation de ces nouvelles structures continue, en effet, de se heurter à un certain nombre de résistances et de cultures bien installées ». Fruit de nombreuses et souvent passionnantes auditions, le rapport de la Mission d’information du Sénat sur les ESPE, présenté par Jacques-Bernard Magner, dresse le tableau d’un nouveau système de formation des enseignants encore au milieu du gué.
La pièce maitresse de la refondation
« Les ÉSPÉ ne sont pas les IUFM ». Lors d’une rencontre de presse, le 30 avril 2013, Vincent Peillon avait défendu son projet d’ÉSPÉ et promis une véritable évolution pour la formation des enseignants. « Une étape historique a été franchie avec la réforme des concours », expliquait Vincent Peillon. « On a fait bouger les choses. » Le ministre présentait sa réforme de la formation des enseignants comme « la pièce maîtresse » de la refondation. De fait, la loi d’orientation met en place des écoles qui « fournissent des enseignements disciplinaires et didactiques mais aussi en pédagogie et en sciences de l’éducation », en rupture complète avec les conceptions des gouvernements précédents. Par conséquent ces nouvelles écoles doivent intégrer « des professionnels intervenant dans le milieu scolaire, comprenant notamment des personnels enseignants, d’inspection et de direction en exercice dans les premiers et seconds degrés, ainsi que des acteurs de l’éducation populaire, de l’éducation culturelle et artistique et de l’éducation à la citoyenneté ». Le cursus de formation est lui aussi revu. Il y a une voie de formation avec un fort taux d’alternance : c’est la voie des emplois d’avenir professeurs, qui assument 12 heures d’encadrement des élèves avec une montée progressive en autonomie depuis la L2 jusqu’au M1. La voie normale associe des stages d’observation en M1 et des stages de pratique accompagnée en M2 avec une prise en charge d’élèves à mi-temps.
La mise en place des Espe s’est faite dans un délai record , la loi d’orientation étant promulguée en juillet 2013 et les écoles devant ouvrir en septembre ! Le ministère avait anticipé et sélectionné des porteurs de projets début 2013. Mais c’est seulement fin août 2013 que sort le cahier des charges d’accréditation qui définit ce que le ministère attend des Espe. A la rentrée 2013, rappelle le rapport Magner, un tiers des Espe doivent profondément revoir leur copie et seulement un autre tiers a des projets satisfaisants. Le rapport parle de « mise en place globalement réussie » au regard de l’urgence de leur installation. Lors des auditions de la mission, les responsables de l’Espe d’Aquitaine, par exemple, ont décrit les conditions d’installations extrêmement précaires de l’école suit aux nombreux conflits qui ont accompagné son installation.
Les querelles partisans des disciplines – pédagogues
Pour rendre les choses encore plus complexes, l’installation des Éspé se fait dans des universités elles aussi totalement restructurées. Comme le dit le rapport, « la mise en place des ÉSPÉ est indiscutablement compliquée par la reconfiguration du paysage universitaire dans plusieurs académies, en raison des regroupements opérés par la voie soit des communautés d’universités et établissements (Toulouse, Lyon, Grenoble, Paris, Lille…), soit des fusions d’universités (Bordeaux, Aix Marseille, Strasbourg, Lorraine…) Dans ces conditions, se pose la question du rattachement de la composante ÉSPÉ à l’université historique d’intégration de l’IUFM (Lyon I Claude Bernard, Toulouse II Jean Jaurès, Paris IV, par exemple), ou à la communauté (Lille, Montpellier, Rennes). De ce rattachement dépend la capacité de mutualisation des moyens entre établissements partenaires en matière de formation des enseignants ». A l’usage, la Mission recommande de considérer l’Éspé comme une composante de la COMUE.
Dans ce contexte, l’installation des Éspé s’est souvent faite dans une relation conflictuelle avec les universités. Les coordonnateurs du groupe interministériel de pilotage des Éspé, cités dans le rapport, estiment qu’il y a eu » une inégale prise de conscience de la nature, de l’ambition, de la nouveauté des ÉSPÉ, de leur caractère fédérateur, mais enfin, aussi, aux regrets d’autres solutions non choisies (seulement universitaires ; seulement écoles de formation ; prérecrutements plus massifs…), à la comparaison avec des modèles anciens pour regretter qu’il n’aient pas été repris ou au contraire craindre que les ÉSPÉ ne s’en distinguent finalement pas et connaissent les mêmes difficultés ». L’opposition entre universitaires et Éspé renvoie à des conflits d’intérêt mais aussi à une tradition universitaire de formation et à des identités opposées. « Comme le président de l’université Toulouse III Paul Sabatier l’a noté devant la mission, la querelle entre les partisans des disciplines et les pédagogues est théoriquement dépassée, mais elle ressurgit constamment, parce qu’elle se greffe à des questions d’identité pour chacun des acteurs. Très schématiquement, on trouve une identité constituée autour d’un champ académique et orientée vers la recherche, d’un côté, et gouvernée par la situation de classe et l’interaction avec des élèves, de l’autre. Dans les situations les plus conflictuelles, chacun s’inquiète parallèlement d’être exclu de la formation des futurs enseignants et de ne pas parvenir à transmettre des éléments fondamentaux de sa culture professionnelle ».
Quels moyens pour quelles formations ?
Un autre élément de crise est la question des moyens. Comme le note le rapport, » plusieurs ÉSPÉ ont fait état d’une diminution substantielle de leur budget de fonctionnement par rapport aux ressources de l’IUFM, pouvant aller dans certains cas jusqu’à 30 %. Elle s’explique, selon les responsables des masters MEEF, par des arbitrages financiers opérés par le conseil d’administration de l’université intégratrice au nom de la nécessaire répartition des moyens entre composantes dans un cadre budgétaire contraint (Toulouse II Jean Jaurès, Bordeaux, Aix-Marseille…) Il apparaît que la faculté de fléchage des moyens au profit des ÉSPÉ ouverte par l’article L. 721-3 du code de l’éducation n’a pas été formellement exercée par les ministres ». Se greffe sur cette question les problèmes de postes. Les Éspé doivent intégrer des personnels enseignants formateurs PEMF du 1er degré et des nouveaux formateurs que V Peillon voulait créer.
Ce contexte général pèse sur l’organisation des formations, note le rapport. Il souligne « – une insuffisante prise en compte du concept de professionnalisation dans les maquettes de formation initiale et continue, avec dans certains cas une participation encore trop limitée des professionnels de terrain dans le cadre des équipes pluricatégorielles ». Ainsi le tronc commun, censé regrouper les étudiants des 3 filières des Éspé (1er degré, 2d degré et personnels d’éducation) n’existe toujours pas dans un tiers des Éspé, selon le rapport. Il représente en moyenne 17% du temps de cours. Son organisation varie beaucoup d ‘une Éspé à l’autre. Pour le rapport, » en s’appuyant sur la réflexion menée dans l’ÉSPÉ de l’académie de Clermont-Ferrand, votre rapporteur recommande de ne pas construire un tronc commun rassemblant les principes pédagogiques en opposition à un tronc disciplinaire. Malgré les difficultés opérationnelles, il faut travailler sur le transfert et l’intégration entre ce qui est enseigné dans le tronc commun et ce qui est enseigné dans le disciplinaire et le didactique. La construction de la culture commune pourrait utilement progresser dans l’année de stage, en construisant un lien entre les deux tuteurs scolaire et universitaire de l’étudiant. Faire en sorte que les tuteurs universitaires puissent aller dans les établissements serait un pas en avant important. »
La question des stages est une autre source de conflits et difficultés. Le rapporteur estime que » des stages devraient pouvoir cependant être effectués pendant la première année de master, pour une durée de quatre à six semaines, le stage effectué en M2 étant de l’ordre de huit à douze semaines. À l’évidence, plus le concours sera professionnalisé, plus il favorisera la mise en place de stages en responsabilité très tôt dans la formation en master. Comme l’a souligné Antoine Prost, historien de l’éducation, lors de son audition par la mission d’information, « le succès des ÉSPÉ se jouera sur la préparation, l’accompagnement, le suivi et l’exploitation des stages ». »Globalement » la place consentie à la diffusion des acquis de la recherche en éducation (au sens large, y compris la didactique des disciplines scolaires) demeure encore très insuffisante ». La formation aux outils numériques est un autre défi pour les Éspé, note le rapport.
Le rapport invite aussi à anticiper la formation des futurs enseignants. » Si l’on veut rendre au métier d’enseignant une attractivité qu’il n’a plus, il faut le faire découvrir très tôt aux étudiants qui n’en ont souvent qu’une image médiocre et dévalorisée. Les ÉSPÉ doivent avoir une action en amont, dès le lycée pour faire connaître et désirer les métiers du professorat, par exemple en promouvant une carrière dans l’enseignement des mathématiques et des sciences auprès des filles et en ouvrant les garçons aux langues et au concours du premier degré. »
« L’année 2014-2015 s’annonce cruciale pour résoudre les dernières tensions budgétaires, organiser les temps d’alternance, diversifier les équipes de formateurs et renforcer les troncs communs », note le rapporteur. Les épreuves des concours rénovés devraient déjà être un bon indicateur de l’avenir des Éspé.
François Jarraud
Adopté le 4 juin et autorisé pour publication, le rapport sera prochainement en ligne sur le site du Sénat.
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