La première année des Espe a bien été difficile, confient Pierre Desbiolles et Monique Rouzeau, coordinateurs d’un copieux rapport de l’Inspection générale. Ils soulignent la difficulté à passer de la formation, de l’esprit et du personnel des Iufm vers les nouvelles conceptions des Espe. Particulièrement ils insistent sur la nécessité d’accompagner la création des troncs communs et de libérer la naissance des nouveaux formateurs voulus par la loi d’orientation. Située au coeur de cette loi, la réforme de la formation des enseignants est stratégique. Mais le rapport constate qu’elle est laborieuse.
« Une étape historique a été franchie avec la réforme des concours », expliquait Vincent Peillon. « On a fait bouger les choses. » Le ministre présentait sa réforme de la formation des enseignants comme « la pièce maîtresse » de la refondation. Ce sont les Espe qui doivent faire émerger un nouveau métier d’enseignant et une nouvelle école. Ces écoles , qui remplacent les anciens IUFM, doivent former tous les acteurs de l’éducation à travers un tronc commun et former les enseignants dans une alternance de stages de terrain et de formation théorique. L’idée maitresse c’est de trouver l’équilibre entre la formation disciplinaire de haut niveau et une formation professionnelle. Les Espe devraient donc être une rupture avec les anciens Iufm dévastés sous le précédent président. Le rapport coordonné par Pierre Desbiolles et Monique Rouzeau pour l’Inspection générale fait suite au rapport de la Mission d’information du Sénat. Il fixe les difficultés de cette mue profonde et rapide de la formation des enseignants.
La mise en place des Espe s’est faite dans l’urgence , rappellent les auteurs. La loi d’orientation est promulguée en juillet 2013 et les écoles doivent ouvrir en septembre ! C’est seulement fin août 2013 que sort le cahier des charges d’accréditation qui définit ce que le ministère attend des Espe. Il en résulte une grande disparité de situation. Les inspecteurs n’ont visité qu’une dizaine d’Espe. Mais certaines ont fait parler d’elle par les conflits qui les ont parcouru. Plusieurs n’ont obtenu qu’une accréditation provisoire. A la rentrée 2014 toutes ont un agrément définitif signa par B. Hamon durant l’été.
Le premier problème pointé par l’Inspection c’est l’installation matérielle des Espe. Tout s’est fait dan sl’urgence et dans un paysage universitaire en mutation. Il y a eu des dérapages graves. Le rapport signale le cas de l’académie de Versailles. A coté de l’Espe réduite à rien, l’université qui accueille l’espe a créé un « institut d’éducation » qui permet de détourner au profit de l’université une grande partie des moyens humains et matériels de l’Espe ! Sans aller jusqu’à cet extrême, le rapport montre la difficulté à situer les Espe dans les nouveaux regroupements universitaires.
Il y a aussi la question du renouvellement des cadres humains des espe. V Peillon voulait de nouveaux formateurs proches du terrain. Au primaire c’était facile de s’appuyer sur les maitres formateurs. Au secondaire il a fallu recruter et le rapport n’hésite pas à critiquer les choix effectués. Au total « le vivier de formateurs est peu renouvelé », juge-t-il, et les nouveaux tuteurs et accompagnateurs des étudiants sont relégués hors du cadre réel des espe. La barrière entre universitaire et scolaire n’est pas tombée. D’une façon générale la formation en alternance reste un défi pour les Espe.
Cette opposition entre université et monde de l’école se retrouve aussi dans les ratés du tronc commun. Cette formation commune à tous les professionnels de l’éducation matérialise la nouvelle conception d’une formation plus professionnelle. Or la mise en place du tronc commun est souvent « une superposition de thématiques sans cohérence ». Certaines catégories d’enseignants sont particulièrement laissées pour compte comme les PLP. Mais globalement les Espe n’ont pas réussi jusque là une mise en place satisfaisante. Si pour Antoine Prost , « le succès des ÉSPÉ se jouera sur la préparation, l’accompagnement, le suivi et l’exploitation des stages », alors il reste beaucoup à faire…
Autre difficulté évoquée dans le rapport l’affectation des contractuels admissibles. Le rapport observe d’abord un nombre non négligeable de rejets : seulement 84% des contractuels ont accepté leur affectation dans le primaire. Dans le secondaire c’est 71%. Leur accompagnement semble être improvisé. Le fait qu’une partie des contractuels ait déjà un master 2 n’avait pas été anticipé.
Les recommandations du rapport de l’inspection pointent particulièrement l’articulation entre la formation universitaire et le terrain scolaire. Les inspecteurs recommandent d’améliorer al communication entre Espe et rectorat, entre formateurs et tuteurs. Ils invitent à « revenir au sens originel du tronc commun » et à travailler al cohérence de la formation professionnalisante des enseignants. Ils demandent à que soit évaluée le degrès de professionnalisation des concours. Le rapport souhaite aussi à se concentrer sur les profils des formateurs et des tuteurs. Il souhaite que soit donnée la priorité aux postes partagés entre la classe et la formation pour que celle-ci soit bien en accord avec les réalités du quotidien scolaire. Enfin le rapport invite à clarifier le positionnement des Espe dans les nouvelles communautés d’universités (COMUE). Initialement école intégrée dans une des universités intégrées à leur tour, les Espe risquent de s’y noyer. Pour le rapport elles doivent devenir des personne morales partenaires de la Comue.
Globalement ce rapport souligne les mêmes difficultés que le rapport du Sénat publié cet été. Mais il édulcore les problèmes et lisse les contours des nombreux conflits qui s’inscrivent dans la réforme. On en apprend davantage dans le rapport du Sénat sur les difficultés réelles des Espe. Le rapport du Sénat a pu aussi aller plus loin dans les recommandations par exemple quand il invite à invite aussi à anticiper la formation des futurs enseignants. Le rapport du Sénat se termine par l’idée que « l’année 2014-2015 s’annonce cruciale pour résoudre les dernières tensions budgétaires, organiser les temps d’alternance, diversifier les équipes de formateurs et renforcer les troncs communs ». Apparemment cet avis est partagé par les auteurs du rapport de l’Inspection.
François Jarraud
Le rapport de l’Inspection générale
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2014/91/6/Rapport-IGEN-IGAENR-2[…]
Le rapport de la mission d’information du Sénat
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/06/06062014Article635[…]
Le Café pédagogique a déjà évoqué la Journée mondiale des enseignants qui s’est tenue à l’Unesco le 6 octobre 2014 et les débats autour du numérique qui s’y sont menés. En parallèle, s’est tenu un atelier concernant le « Développement professionnel continu des enseignants » animé par Luc Ria, de l’Institut Français d’Education.
Cet atelier a permis la confrontation d’expériences variées dans le monde sur cette question et de fructueux échanges. Les débats ont notamment porté sur ce que recouvre l’expression de l’Unesco : « Développement professionnel continu ». Il est apparu au plus grand nombre qu’il était nécessaire de développer des recherches plus importantes notamment sur la question des gestes professionnels adéquats.
La nécessité de choix politiques clairs et donc financiers dans le domaine de la formation continue des personnels est apparue indispensable, mais nécessite de réaffirmer un certain nombre de principes.
• L’enseignant doit être reconnu comme un professionnel à part entière qui doit être partie prenante, maître d’œuvre a-t-il été dit, de son projet de formation continue. Pour que celui-ci soit efficient, il doit partir des motivations, des attentes, des demandes notamment en situation de vulnérabilité par rapport, par exemple à des publics qui apparaissent difficiles….Des zones de tensions sont inévitables entre les demandes des personnels et les attentes de l’Institution, mais elles doivent être prévues, anticipées et dépassées.
• Un enseignant performant, en capacité d’innovation pédagogique, d’adaptation à des publics diversifiés- et cela a été évoqué par de nombreux pays, c’est, un enseignant qui est sécurisé, à qui l’ont fait confiance, notamment lorsqu’il travaille avec certains publics ou qu’il est isolé en zone rurale, et pour lequel l’institution est rassurante, en prévoyant des dispositifs pour l’accompagner dans l’accomplissement de son métier.
Or, il apparaît notamment en Amérique du Nord et dans certains pays d’Afrique qu’une formation continue obligatoire des personnels peut être révélatrice d’une certaine crise de confiance vis-à-vis des enseignants lorsqu’elle est corrélée à des notions de performance pure. Comme l’a dit un formateur d’enseignants des USA : « La notion de développement personnel est rejetée par les enseignants lorsqu’elle apparaît liée à la culture de la performance et conduit à fermer des établissements. ». Cette dérive est dangereuse et risque de décrédibiliser certaines formations qui peuvent apparaître en rupture avec l’éthique du métier enseignant. « On est loin des enfants, des élèves, on est sur la modélisation des critères de performance liés à certains élèves. Si on a des élèves difficiles, on risque de perdre son emploi . » a indiqué un participant à l’atelier.
Cela a suscité des questionnements autour du sens, des contenus, des finalités des objectifs de la formation continue…sur son statut : Est-elle un droit que chacun peut ou non utiliser, Est-elle une obligation ? Correspond-elle aux demandes, aux choix des enseignants ou est-elle un mode de gestion des politiques éducatives ? Quelles places , notamment dans le secondaire à des formations disciplinaires par rapport à des formations transversales ? Quels formateurs ? Des universitaires ? Des pairs ? des formateurs recrutés à cette fin ? Autant de zones de tension qui ont été mises en lumière.
L’atelier s’est aussi interrogé sur la nécessité de ne pas avoir une vision restrictive du terme « enseignant ». Il est nécessaire dans l’intérêt de l’élève de prévoir des temps de formation en commun concernant tous ceux qui ont un rôle éducatif dans et autour de l’établissement afin de construire de la cohérence éducative. La place donnée à des formations collectives impliquant toute la communauté éducative est apparue comme un enjeu et il est apparu important de bien articuler des formations individuelles et des formations collectives dans toute politique de formation continue des personnels.
Une formatrice de Hong Kong a développé l’importance de penser, de travailler l’éthique du métier enseignant, leurs responsabilités avec les personnels et de le faire dans le cadre d’un dialogue critique, mais non évaluatif sur les pratiques de chacun « en sachant que chaque individu doit tendre vers ce qu’on peut appeler la perfection, sans savoir ce qu’elle est exactement et si c’est toujours la même quels que soient les publics. ».Pour une enseignante de l’UNWRA au Liban qui travaille avec les réfugiés palestiniens de Syrie « prouver qu’on fait confiance aux enseignants, c’est leur donner les moyens de pouvoir aider, inclure tous les enfants accueillis à devenir instruits, tolérants et fiers de leur appartenance. »
Les premières années d’exercice sont – et cela a été souligné par tous les pays – celles où les enseignants ont le plus besoin d’accompagnement. La synthèse s’est faite dans ce domaine sur le fait d’éviter toute démarche punitive ou compassionnelle, mais sur l’enjeu de les accompagner en s’appuyant sur leurs réussites, en les fortifiant dans une démarche de confiance. Le rôle de la tenue d’un journal a été évoqué comme un outil permettant une réflexion sur les pratiques et les décisions prises. L’importance de rencontres fréquentes entre pairs, de mise en place de réseau de professeurs pour échanger a été évoqué, notamment par les enseignants d’Amérique du Sud pour que des enseignants ne culpabilisent pas en pensant être les seuls à supporter certaines difficultés… Enfin, la formation continue des enseignants apparaît dans certains pays, le Brésil a été cité, comme un marché pour des entreprises privées qui visent uniquement leurs profits immédiats en ne s’adressant qu’à certains publics et dont le contenu des formations semble assez médiocre.
Jean-Louis Auduc
Les TICE au coeur de la Journée mondiale des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/10/07102014Article635[…]
Sur le site du Café
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