A défaut d’un bilan de l’ensemble du lycée, l’Inspection générale, sous la plume d’Alain Henriet, Michel Rage et Marc Rolland, nous livre un bilan du lycée technologique. Coincé entre un enseignement général en expansion et un enseignement professionnel en explosion, l’enseignement technologique est en crise. Faut-il le réformer ou le faire disparaitre ? Les inspecteurs analysent l’évolution de chaque filière et concluent à l’utilité sociale et économique de la voie technologique. Ils recommandent de revoir les contenus enseignés de façon à renforcer les liens entre enseignements technologiques et généraux. Surtout ils envisagent une recomposition globale du lycée général et technologique dans un ensemble plus modulaire et mieux articulé avec le post bac. Pour le lycée, l’heure de la réforme, dans tous les sens du mot, pourrait sonner en 2017.
Une voie en déclin malgré les réformes
« Depuis son émergence au lendemain de la Seconde guerre mondiale, l’enseignement technologique s’est transformé, dans sa forme comme dans son contenu, au gré des grandes mutations scientifiques, techniques et économiques. La question de son avenir est désormais posée du fait de la baisse de ses effectifs et de son enserrement entre les voies générale et professionnelle. Sa récente rénovation a produit des résultats très variables sur les différentes séries… Pourtant, elle joue un rôle économique et social important, en répondant aux besoins en emploi de l’industrie et des services dans un contexte de transformation rapide des organisations et des modes de production et en permettant à des élèves souvent jugés trop fragiles pour poursuivre dans la voie générale de trouver le chemin de la réussite grâce à une pédagogie adaptée ».
Le rapport d’Alain Henriet, Michel Rage et Marc Rolland montre bien que la voie technologique est à la fois une pédagogie spécifique, un outil de promotion sociale et une réponde à des besoins économiques. Trois éléments qui auraient du permettre un suivi de près par l’Education nationale. Or la voie technologique est aussi « une forêt tropicale », pour reprendre la formule d’un ministre, où se sont multipliées les filières. Celles -ci ont été réformées l’une après l’autre à partir de 2005, sans grand ordre et sans une grande cohérence alors que la position de la voie technologique devenait plus précaire, coincée entre un enseignement général en progression et une voie professionnelle profondément réformée et en très forte hausse.
Si l’on regarde l’évolution des effectifs depuis 1995, on voit nettement que la voie technologique décline, surtout du fait de l’effondrement de la filière STMG. La voie générale progresse et la voie professionnelle triple son effectif depuis 1995.
Séries |
1995 |
2000 |
2010 |
2015 |
L |
71 |
59 |
54 |
57 |
ES |
77 |
75 |
103 |
117 |
S |
139 |
136 |
173 |
191 |
STI – Sti2d |
35 |
37 |
27 |
32 |
STL |
5 |
6 |
7 |
9 |
STT – STMG |
79 |
82 |
67 |
63 |
SMS – ST2S |
13 |
18 |
22 |
23 |
professionnel |
67 |
93 |
162 |
183 |
En clair, les rénovations introduites depuis 2005 dans la voie technologique n’ont pas eu les effets escomptés sur son avenir.
Déprofessionnalisation et déspécialisation
Pourtant les réformes ont été profondes. En STI, par exemple, la réforme aboutit à une modification complète de l’équilibre entre l’abstraction et la concrétisation. On passe de la machine à la simulation par ordinateur. A partir de 2010, les séries technologiques intègrent aussi des éléments de la réforme du lycée comme les enseignements d’exploration et l’accompagnement personnalisé.
Les réformes ont installé une pédagogie spécifique, adaptée aux élèves. » La démarche de projet est au coeur des pratiques de la voie technologique », note le rapport. « Elle permet de développer l’autonomie, la socialisation et la créativité des élèves à travers une démarche pragmatique et inductive. C’est l’occasion pour eux d’appréhender une situation réelle et complexe, d’apprendre à travailler en équipe (en réglant les questions de constitution de groupes, de modalités d’adhésion de l’ensemble des membres du groupe au projet, etc.) et à respecter les contraintes et les délais. Dans l’ensemble des séries, le projet est jugé très positivement par les enseignants et les élèves. Les enseignants constatent que les élèves s’investissent beaucoup dans cette activité qui constitue une vraie plus-value pour les apprentissages. Le projet, dans la mesure où il oblige à recourir aux outils numériques, contribue à développer des savoir-faire dans ce domaine. Les enseignants indiquent qu’il permet de mobiliser des compétences relationnelles assez rarement valorisées dans notre système : l’autonomie, le sens de l’engagement et de la responsabilité ». Cela même si le projet perçu différemment selon les séries.
Globalement les réformes introduites à partir de 2010 se sont traduite spar une déprofessionnalisation et une déspécialisation. Le nombre d espécialités a diminué et les choix se font plus tard. Et c’est plus ou moins bien accueilli. » Les enseignants rencontrés semblent plutôt favorables à l’existence d’un tronc commun et aux enseignements transversaux, qui permettent une spécialisation progressive. Pour autant, les avis des enseignants sur le caractère progressif de ce choix sont partagés et parfois contradictoires d’une série à une autre. En effet, certains considèrent que l’orientation progressive est positive, y compris lorsque le choix se fait en terminale ; d’autres, au contraire, pensent que retarder la spécialisation des élèves peut constituer un handicap pour aborder le projet et pour la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur », note le rapport.
La déprofessionnalisation a suscité de véritables crises. » La déprofessionnalisation dans les séries technologiques concerne l’abandon d’enseignements à visée professionnelle, caractéristiques de la filière professionnelle correspondante. La rénovation de la voie technologique industrielle est profondément marquée par l’abandon des apprentissages liés à la réalisation opérationnelle de produits ou systèmes dans des environnements analogues à ceux des entreprises… Le changement de paradigme n’en est pas moins profond, et la logique inversée. L’accent est mis davantage sur la conception que sur la réalisation : il s’agit désormais de concevoir, sans nécessairement réaliser, et non plus de réaliser pour apprendre à concevoir. Cet aspect peut expliquer les difficultés rencontrées par les enseignants de STI à appréhender le changement profond des programmes et leur sensation « de perte d’identité » », note le rapport. En fait elle a été vécue comme un véritable traumatisme, des enseignants se sentant totalement dévalués. Et elle s’est accompagnée de reconversions imposées et menées à la hache, passées sous silence dans le rapport…
L’accompagnement personnalisé en échec
En même temps ces nouveaux programmes ont été introduits sans grande cohérence. » Parmi les enseignants interrogés, nombreux sont ceux qui considèrent que les programmes sont mal calibrés et ne permettent pas d’approfondir les notions abordées. Ils sont également nombreux à regretter le manque de cohérence et de complémentarité entre le contenu des programmes de l’enseignement technologique et celui des enseignements généraux », note le rapport.
Mais le grand échec semble, là aussi, être l’accompagnement personnalisé. » Aujourd’hui chacun est conscient, des équipes de direction aux enseignants, que la mise en oeuvre de l’accompagnement personnalisé n’a pas encore trouvé sa place ni son statut. En l’état, celui-ci ne correspond pas aux exigences des textes ». Les auteurs e rendent responsables les chefs d’établissement et les enseignants « réticents » à pratiquer un enseignement personnalisé… en classe entière, plutôt que s’interroger sur la conception même de ce dispositif.
Un dernier aspect des réformes pédagogiques concerne l’enseignement de slangues avec l’enseignement technologique des langues vivantes (ETLV) introduit en Sti2d, Stl et Std2a.
Une réduction constante des moyens
Ces réformes se sont faites avec une baisse de moyens particulièrement en STMG et ST2S, les deux principales filières. » Il est important de souligner que ces deux séries, alors qu’elles contribuent fortement à la démocratisation scolaire en accueillant une proportion importante d’élèves de milieux sociaux peu favorisés, ont été nettement moins bien dotées en matière de volume horaire que les séries industrielles et de sciences de laboratoire. Les premières bénéficient d’une maquette de 32,5 heures en première et en terminale soit 65 heures sur l’ensemble du cycle, alors qu’un élève scolarisé en STMG ou en ST2S ne bénéficie que de 58 heures. En ce qui concerne l’enveloppe des heures à effectif réduit, l’écart est encore plus flagrant : les séries STI2D, STL et STD2A bénéficient d’un volume horaire de 16 à 18 heures pour 29 élèves, contre 10,5 heures en ST2S et seulement 7 heures en STMG », note le rapport. Et la réforme va permettre encore des gains en rationalisant les enseignements grace à des regroupements d’élèves entre sections. » Le coût horaire de la voie technologique s’est ainsi rapproché de celui de la voie générale, surtout dans la filière tertiaire », note avec satisfaction el rapport. Ainsi une voie populaire a d’une certaine façon payé le prix de la réforme des filières plus nobles…
La filière la plus malade aujourd’hui semble être la série STMG. » Cette filière accueille de nombreux élèves peu motivés, parfois au bord de la rupture avec le système scolaire, qui perturbent les cours et contribuent à sa mauvaise réputation. L’attractivité de cette série reste faible et son image ne s’améliore pas auprès des élèves, des parents et des professeurs », note le rapport. » La série fonctionne également comme une filière de « délestage » de la voie générale, lors de l’orientation en fin de seconde. Il n’est pas rare non plus qu’elle constitue une solution par défaut pour des élèves qui n’ont pas été admis dans la voie professionnelle en fin de troisième ou en fin de seconde ». En ST2S, la filière la plus populaire, les inspecteurs regrettent la disparition des préparations aux concours d’infirmer et d’éducateur spécialisé.
Adapter les enseignements
Les recommandations de l’inspection ne vont pas jusqu’à clairement recommander la fusion avec l’enseignement général. Elles se bornent à une amélioration de la voie technologique.
Globalement ils demandent « un plan national de communication sur la voie technologique » et le développement d elycées polyvalents pour donner davantage de visibilité à la voie.
Les auteurs recommandent de revoir les programmes des enseignements généraux pour mieux les aligner sur les besoins des enseignements technologiques. Ils recommandent de développer la co intervention enseignements généraux et technologiques dans les projets. Ils souhaitent un « réinvestissement » de l’accompagnement personnalisé. Ils recommandent aussi de » prescrire à l’ensemble des acteurs (enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs) l’objectif de réalisation régulière d’un travail personnel pour chaque élève de la voie technologique dans chaque discipline ».
Sur le plan plus disciplinaire, ils veulent aussi généraliser l’ETLV dans toutes les séries de l’enseignement technologique. En STL ils demandent une fusion des programmes et épreuves de physique chimie. Ils demandent la révision des épreuves du bac de français.
S’agissant de l’orientation, le rapport a constaté un piètinement dans l’accès en STS et IUT et une hausse du nombre d’élève en université. Le rapport demande de « veiller au maintien de la capacité d’accueil des STS vis-à-vis des bacheliers technologiques » et « d’augmenter les capacités d’accueil des bacheliers technologiques en IUT, en particulier dans les spécialités tertiaires ». Enfin ils souhaitent » encourager et systématiser les dispositifs d’accompagnement pédagogique pour assurer la transition entre le baccalauréat technologique et l’IUT ». De la même façon « créer des parcours adaptés en licence ». En ST2S offrir systématiquement la préparation aux concours d’infirmier et d’éducateur spécialisé.
Faut-il maintenir la voie technologique ?
Faut-il maintenir la voie technologique ? Les inspecteurs relèvent d’abord qu’il n’y a pas eu de discours officiel sur son maintien. Ensuite, ils observent en Europe des situations contrastées selon les pays; Dans la plupart des pays européens, la voie technologique, tout comme la pédagogie de projet, s’intègrent dans une voie générale modulaire. » Les descriptifs de formation au niveau secondaire en Europe font apparaître des enseignements « technologiques » dispensés dans des lycées « mixtes » ou dans des établissements spécialisés. C’est le cas au Danemark : sous l’appellation « programmes d’enseignement général », qui conduisent à une poursuite d’études, on distingue quatre branches, dont deux associent aux enseignements généraux une spécialité « commerce » ou « technologie ». Dans cet exemple danois, la pédagogie de projet, puisqu’elle est commune à tous les programmes d’enseignement, n’est pas un élément distinctif entre le « général » et le « technologique ». De la même manière, en Suède, des modules spécifiques, à caractère général ou professionnalisant, s’ajoutent à un tronc commun ».
Se pose donc la grande question de l’avenir de la voie technologique. Les auteurs envisagent deux scénarios possibles. D’abord « une recomposition globale du lycée général et technologique ». « Le modèle le plus répandu en Europe est celui de deux voies de formation, une voie générale et une voie professionnelle, avec différentes possibilités de passerelles entre les deux. La plupart des pays européens organisent la fin des études secondaires avec un système plus ou moins complexe de modules ou d’options permettant de faire une place aux enseignements technologiques », notent -ils. « Au-delà de ses caractéristiques propres, la voie technologique repose sur une palette d’enseignements généraux proches, dans leurs contenus et leurs modalités d’évaluation, de ceux de la voie générale… Cette remise en cause des distinctions entre les voies générales et technologiques devrait prendre la forme d’un lycée modulaire avec un tronc commun d’enseignement fondamental et de culture générale complété par des modules de spécialisation et des options de personnalisation de la formation de l’élève. Il faudrait envisager de renoncer au système des séries en tant que principe d’organisation cloisonnée ».
Mais les inspecteurs voient aussi l’écueil de cette démarche: » la dilution des enseignements technologiques risque de faire disparaître la spécificité de la démarche technologique, qui permet de faire réussir un vivier non négligeable d’élèves qui ne s’épanouissent pas dans la voie générale. Le risque serait grand que la fusion entre la voie générale et la voie technologique aboutisse, en raison de l’« idiosyncrasie » de notre système scolaire, à une dissolution de l’enseignement technologique au lycée ».
Aller plus loin dans la déspécialisation
Ils concluent donc sur l’autre scénario : la déspécialisation plus poussée. » Au niveau du lycée, les formations seraient plus nettement conçues en fonction des acquis nécessaires et certifiés (grâce à une nouvelle organisation du baccalauréat) pour la poursuite d’études dans les filières technologiques et d’un cursus visé de cinq années à partir de la classe de première. Ce lien avec l’enseignement supérieur permettrait une déspécialisation plus affirmée au niveau du lycée, au sens où le choix de spécialisation pourrait être fait à l’entrée dans l’enseignement supérieur ».
L’impact serait particulièrement important en Stmg et en Sti2d. Ce nouveau saut devrait déprofessionnaliser davantage les formations. Il aurait aussi sans doute un impact sur la réussite des élèves les plus fragiles. Mais, et le rapport ne le dit pas, il permettrait aussi des économies importantes sur une filière déjà saignée les années précédentes.
François Jarraud