Emilie Lecatre : « Je ne suis plus devant eux mais avec eux »
Entre trois lycées, entre 4 projets, pas facile de faire parler Emilie Lecatre de son projet ! Pourtant le jury du Forum des enseignants innovants a récompensé cette jeune professeure d’anglais. Son site cache bien son jeu. Mais en cherchant bien on trouve des échanges entre lycéens menés en classe et poursuivis après les cours sur tel ou tel thème, de documents réalisés en classe et postés par les élèves. Le site Bysy Vees est devenu un espace de dialogue entre la professeure et ses élèves, une sorte de cahier de texte tenu en commun, et un espace de rencontre entre des lycéens classiques, des jeunes en micro lycée et des adultes du lycée municipal. Les petites abeilles vont dans tous les sens mais font leur miel…
Comment est né le site Buzzy Bees ?
Le site est né d’un besoin très terre à terre: je ne pouvais plus transporter mes documents d’un établissement à un autre et les élèves ne faisaient pas leurs devoirs ou oubliaient leur documents.
J’avais besoin d’apporter ma pierre à un enseignement qui soit en accord avec mes convictions politiques avant que les conditions de travail n’épuisent ma créativité et mon affection pour ces élèves un peu laissés pour compte. Mon défi: les rendre curieux, les remotiver. Primo arrivant, dyslexiques ou hyperactifs qui se refugient dans les marges des cahiers, c’est l’attention de ceux là que je voulais, peut-être pour me sentir utile ou bien donner un sens à mes trajets éreintants d’un établissement à un autre, les sortir de leur isolement et me sortir du mien.
En réponses aux activités et à la pédagogie de projet mis en place en cours, il me fallait une antenne de diffusion qui rassemble mon travail et celui des élèves, mais aussi une béquille, un support créatif. J’ai donc consulté les élèves et ils m’ont dit passer leur temps sur les réseaux sociaux et internet. J’ai alors créé ce blog wordpress libre d’accès et très simple d’utilisation pour leur laisser un espace d’expression et de travail où ils pouvaient consulter librement et quand ils le souhaitaient, les travaux réalisés en cours.
Comment utilisez vous le site en cours ?
Il s’agissait ensuite de rendre cette plate forme interactive et certains avaient beaucoup de difficultés à prendre des notes. Leurs interventions orales en cours se sont vite transformées en petites phrases notées par chacun d’entre eux les uns après les autres, en s’écoutant et se corrigeant à mesure que ces phrases s’affichaient au tableau grâce au vidéo projecteur. Les interventions s’enrichissaient pas à pas et les élèves des autres établissements se confrontant aux travaux des autres essayaient de faire mieux ou plus long.
Ces travaux donnent lieu aujourd’hui à des débats ouverts et oraux auxquels chaque élève apporte sa pierre en cours ou à la maison.
Plus de copies papier à transporter, les élèves lisent, parlent, écrivent et poursuivent les travaux à la maison presque sans effort . Des parents d’autres élèves utilisent nos ressources pour aider leurs enfants et les collègues des quatre coins du monde peuvent commenter et récupérer les documents, activités et vidéos sur le site. Cette plate forme garde un lien précieux au delà de la classe entre mes élèves d’aujourd’hui et les précédents, elle me permet de vider les cartables mais pas les cerveaux!
En quoi est-ce une aide pour l’apprentissage de l’anglais ?
En incluant des Webquest, recherches guidées et relevés de détails dans plusieurs types de documents mis en ligne, les élèves travaillent à plusieurs et confrontent leurs trouvailles pour pouvoir s’exprimer en cours et verbaliser des arguments regroupés en cours sous forme de cartes mentales. Les copier coller honnis des profs sont ici autorisés car les travaux sont collectifs et fruits d’écriture d’élèves à plusieurs mains. Les commentaires me sont communiqués avant d’être publiés en ligne, je suis modérateur et empêcheur de tourner en rond, j’invite à réfléchir.
Cette démarche s’inscrit dans un effort de différencier les apprentissages tout en travaillant collectivement, c’est une réussite aussi en pédagogie ‘continue’ plus qu’inversée, un antidote aux docs perdus et devoirs non faits. Un poème écrit par des élèves raccrocheurs de Vitry, mis en voix par des élèves de seconde plus favorisés a Savigny au lendemain du 13 novembre: très précieux.
Quel avenir pour Busy Bees ?
Busy Bees est un projet perfectible qui fluctue bien sûr en fonction des besoins des élèves, certains écrivent pour la classe, d’autres communiquent leurs réponses aux exercices dans les commentaires qui suivent les posts mais si l’intervention des élèves n’est pas toujours revendiquée, les contenus sont le résultat des travaux des groupes et support de cours d’expression orale, c’est aussi une vraie fierté pour toutes les classes de voir publier chacun des cours qu’ils construisent ensemble sur un outil à leur portée, comme si le tableau blanc du prof leur appartenait et s’inscrivait une bonne fois pour toute dans le temps et les esprits.
Pour moi c’est un lien précieux avec les élèves qui peuvent communiquer leurs difficultés auxquelles tous les autres peuvent remédier.
En poste fixe au lycee Jean Baptiste Corot à Savigny depuis septembre 2015, je vais repenser Busy Bees pour des projets en dehors de la toile entre mes élèves et les élèves du Micro Lycée de Vitry et au lycée d’adultes de Paris où je suis (hyper)active aussi en mettant à profit les contacts pour faire des projets de plus longue haleine, un journal collaboratif par exemple, la réalisation de podcast par et pour les élèves.
Que les élèves se rencontrent en dehors de la toile, dans les musées parisiens comme je l’ai déjà fait auparavant serait une encore plus grande réussite.
Qu’avez vous appris avec ce projet ?
J’ai ainsi appris à m’inspirer du potentiel des élèves, à mettre à leur disposition les clefs d’un apprentissage personnalisé, à distinguer et mettre à contribution les intelligences de chacun, j’ai repensé ma façon d’être en classe, je ne suis plus devant eux mais avec eux, j’ai appris à leur faire deviner la consigne au lieu de la leur dicter.
Propos recueillis par François Jarraud