« La laïcité c’est la liberté. Il ne faut pas l’oublier ». La remarque d’Emilie Trigo, secrétaire nationale de l’Unsa, résume assez bien la position des syndicats face à une loi séparatisme qui concerne par bien des points l’Ecole, touche à beaucoup de libertés et modifie plusieurs textes fondateurs de la République. Les députés LREM, parfois agacés, ont du entendre que la loi n’est pas nécessaire et « qu’elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout » (pour la Fsu). Des lignes rouges ont été fixées. Pas sur que la majorité parlementaire ait entendu le message.
Un texte punitif
Mercredi 13, ils étaient tous invités à débattre avec les députés sur la loi séparatisme , devenue « loi confortant le respect des principes de la République ». Devant la commission spéciale de l’Assemblée, tous les syndicats sont là pour donner leur avis sur le projet de loi séparatisme. Et finalement leur analyse n’est pas si différente.
Pour Emilie Trigo, secrétaire nationale Unsa, la loi oublie la cohésion sociale et est prise sous le coup de l’émotion. Pour Benoit Teste, secrétaire général de la Fsu, la loi doit être rééquilibrée et devrait réfléchir avant de modifier des textes fondateurs (lois de 1882, 1901 et 1905 par exemple). « Elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout ». Le secrétaire général des fonctionnaires FO, C Grolier s’inquiète aussi des libertés fondamentales attaquées par ce texte. Cyril Chabanier, de la Cftc, la juge trop répressive. Nathalie Verdeil, secrétaire confédérale Cgt, dénonce un texte fourre tout et punitif. Frédéric Sève, secrétaire national Cfdt, partage les principes de la loi mais pas toujours l’application.
Le sondage IFOP contesté
Pourquoi cette levée de boucliers ? Particulièrement après la publication du sondage Ifop qui a brossé un tableau désastreux de la laïcité à l’Ecole. C’est qu’en fait personne ne semble savoir s’il y a une recrudescence des problèmes posés par l’irrespect de la laïcité. Les syndicats enseignants présents (Fsu, Unsa, Cfdt) ont vivement critiqué les conclusions du sondage Ifop, ses questions biaisées et ses à peu près. La fameuse censure des enseignants a été l’objet de critiques vertes. Les rapporteurs LREM du texte, le président de la commission, F de Rugy, auraient aimé savoir si les agressions ou les désordres liés à la laïcité augmentent dans les entreprises. Là aussi les syndicats ne le pensent pas. Ils pensent que l’opinion est plus sensible à ces questions mais qu’iln’y a pas plus de cas. Enfin FO remarque que les données de la Fonction publique montrent que le nombre de cas est stable dans ce secteur. C’était ouvrir la voie à un démontage des principaux articles du projet de loi.
Une loi de privatisation ?
L’article 1 prévoit que les agents des entreprises privées exerçant un service public devront respecter la neutralité que doivent déjà respecter les agents de l’Etat. Les syndicats soulignent qu’il y a déjà toute une jurisprudence et que le problème n’est pas de faire un article de loi mais de faire connaitre la jurisprudence à l’encadrement et aux agents. La FSU et FO soulèvent les arrières pensées de ce texte. « Attention à ne pas revenir sur des équilibres délicats », explique B Teste (Fsu) en retenant un amendement concernant les accompagnatrices voilées dans les écoles. C. Grolier (FO) voit dans cet article la suite logique de la loi de transformation de la fonction publique qui prévoit de passer au privé des pans entiers des missions du public, avec les fonctionnaires (qu’ils le veuillent ou non) en prime.
Activer la protection fonctionnelle pas la loi…
L’article 4 crée un délit de menaces sur les fonctionnaires. Là aussi les syndicats rappellent que la loi l’interdit déjà. « Le problème c’est la mise en oeuvre », rappelle B Teste. « La protection fonctionnelle n’est pas assez activée. Il faut protéger plus les agents plutôt que créer un nouveau délit ». « Il s’agit de faire appliquer la protection fonctionnelle », estime E Trigo (Unsa). « On est loin du compte. Il y a des disfonctionnements avec la hiérarchie » , estime C Grolier (FO).
L’article 21 qui impose la scolarisation à 3 ans et autorise sous conditions l’instruction en famille reçoit le soutien de l’Unsa. La Cfdt se demande comment l’école pourra absorber 30000 enfants supplémentaires.
Les articles sur les associations cultuelles, soumises à de nouveaux controles voire à un nouveau régime, sont critiqués par la Fsu qui rappelle que le concordat s’applique sur une partie du territoire de la république laïque. B Teste voit dans ces articles, qui mettent les cultes sous le controle du préfet, une « dérive concordataire ».
« L’équilibre de ce texte n’est pas trouvé », juge B Teste. « Légiférer est dangereux. Il faut être très prudent dans les amendements », déclare E Trigo. La majorité l’est elle ?
François Jarraud