Le collectif de parents du quartier du Petit-Bard Pergola à Montpellier a organisé, les 24 et 25 mars, les Etats généraux de l’éducation dans les quartiers populaires, les premiers du genre. Pusieurs collectifs de parents militant pour la mixité sociale dans les écoles, venus de toute la France, avaient fait le déplacement, ainsi que les chercheurs Choukri Ben Ayed, Fabrice Dhume et Samir Hadj Belgacem. Fatima, du collectif montpelliérain, dresse un bilan de ces deux jours.
Le collectif de parents du Petit-Bard Pergola s’est fait connaître par son combat en 2015 pour la mixité sociale. Il dénonçait alors la ghettoïsation du collège de ce quartier peuplé en grande majorité d’habitants d’origine marocaine. Il mettait notamment en cause la sectorisation qui aggravait l’entresoi.
Depuis, le collectif a essaimé à travers la France avec des collectifs de parents qui se crèent pour réclamer une vraie mixité. Il compte un noyau dur d’une quarantaine de personnes, des mères essentiellement. Lorsqu’il organise des réunions dans les écoles, il réussit à rassembler 100 à 200 parents.
Fatima, membre de ce collectif qui refuse la personnalisation, a répondu aux questions du Café samedi, juste avant le concert des Motivés qui clôturait les états généraux. En première partie, les enfants d’une école du quartier ont interprété le chant des Partisans arrangé par Les Motivés.
Votre bilan à l’issue de ces deux jours ?
Cela a été très riche, avec les regards croisés des chercheurs, des collectifs, des institutionnels, des citoyens. Nous avons atteint notre objectif : ouvrir un espace de réflexion, de partage, de co-construction dans une démarche égalitaire. Nous avons traité les thèmes qui nous tiennent à coeur : la mixité sociale à l’école, la ségrégation sociale et scolaire et la place de l’expertise citoyenne. Il aurait fallu que cela dure une semaine tellement c’était riche !
Réjouissant
Pourquoi ces états généraux ?
Il existe une réalité sociale violente dans les quartiers populaires. Et l’école est le lieu où nos enfant grandissent et apprennent. Si on ne traite pas cette problématique, si cet espace-là n’est pas protégé et si on ne met pas plus de moyens, cela risque d’être très compliqué pour le devenir de nos enfants.
Quand on entend les parents de Marseille, de Créteil, de Toulouse, de Saint-Denis, de Montpellier, de Béziers ou encore de Nîmes, on voit combien la situation est dégradée. Il est urgent d ‘agir, pour les enseignants qui se démotivent et pour les citoyens de demain que sont nos enfants et qui évoluent dans de telles conditions.
On parle de réductions budgétaires. Mais quelle est la priorité ? Le malaise dans les écoles de la République est clair. En même temps, ce qui est très réjouissant, c’est de voir qu’il y a la volonté de faire changer les choses.
Quel est déjà le principal acquis de ces états généraux ?
Nous avons démontré la capacité à organiser un événement où la démarche égalitaire est respectée. On construit. On n’est pas dans la plainte ni dans la victimisation. On se demande : maintenant qu’est-ce qu’on fait ?
On ne dit pas que l’Education nationale est coupable. On est tous responsables et nous, les parents, voulons prendre nos responsabilités pour agir et co-construire. Nous regardons devant et nous refusons que nos enfants se heurtent à un mur. Nous avons acquis une expertise, des compétences. Nous sommes en capacité de faire des propositions.
Tournée
Vous êtes devenus une référence pour d’autres parents…
Ce que l’on fait ici à Montpellier, tous les parents peuvent le faire, dans tous les quartiers. Seul, on se sent impuissant. Avec la médiatisation de notre mobilisation de 2015, des parents ont voulu nous rencontrer. On a fait un peu la tournée. Le fait d’aller à Béziers, à Nîmes, à Toulouse, à Saint-Denis, à Créteil, au Blanc-Mesnil, à Paris dans le 18ème arrondissement, cela nous a permis de créér des liens. On s’est enrichi les uns les autres.
Que va-t-il sortir de ces états généraux ?
Pour nous, parents des quartiers populaires, la question de l’école est centrale. Je peux vous dire déjà qu’on entend la poser chaque année, dans une région différente, pour faire la lumière sur tous les quartiers de France.
Chaque année, on organisera les Etats généraux de l’éducation dans les quartiers populaires. On arrêtera quand la situation se sera améliorée et qu’on n’aura plus de craintes pour nos enfants. Rendez-vous donc l’année prochaine !
Les échanges ont par ailleurs été enregistrés et des universitaires bénévoles ont tout pris en note. Nous allons publier des actes.
Allez-vous faire des propositions ?
On va faire un relevé de toutes les propositions. On va les retravailler puis on les présentera. Je peux déjà vous donner un exemple de ce que l’on propose pour développer la mixité et régler la question de l’entresoi social qui a tendance à s’aggraver : l’Etat doit récupérer la compétence de la sectorisation. Il ne faut pas que cela reste dans les mains des mairies, des départements.. On se heurte à des blocages mairie-Etat ou département-Etat, et cela se fait au détriment de nos enfants.
Devoir de réserve
Des acteurs institutionnels ont-ils participé à ces rencontres ?
Le maire et le préfet ne sont pas venus. Ils nous ont expliqué qu’ils avaient un devoir de réserve à cause de la campagne électorale. L’adjoint au maire à l’Education était là, lui. Il y avait aussi un élu du département et un de la région.
Le DASEN (l’inspecteur d’académie) a aussi décliné à cause du devoir de réserve. L’inspecteur de circonscription avait dit qu’il passerait. Mais on ne l’a pas vu. Il y avait toutefois de nombreuses personnes de l’éducation nationale.
Beaucoup de choses se décident sans nous. Nous, on a voulu que toutes les institutions soient présentes. L’idée est : comment fait-on tous ensemble pour garantir l’accès à une éducation de qualité à nos enfants qui ne demandent qu’à être des citoyens de notre République ?
Avez-vous été aidés pour organiser ces états généraux ?
Non. Ils se sont faits sans un euro de financement public. Et pourtant des demandes ont été faites, dans les temps, au contrat de ville, au CGET (Commissariat général à l’égalité des territoires). C’est une honte lorsque l’on promeut le pouvoir d’agir, la mixité, lorqu’on en fait des enjeux, des priorités, des notes de cadrage…
Pour trouver une aide, nous sommes allés solliciter les artisans, les commerçants du quartier. Beaucoup ont fait un don, la pharmacie par exemple. La Fondation Abbé Pierre a aussi fourni un financement, un motif de fierté pour nous.
Trafiquants
Qu’attendez-vous d’une éventuelle alternance ?
Quelque soit le gouvernement, on fera entendre nos revendications : une éducation de qualité pour tous les enfants de la République et la fin des injustices criantes dans les écoles des quartiers populaires.
Imaginez qu’à Toulouse, les enfants jouent aux trafiquants de drogue à l’école ! Et les parents ont été obligés d’interpeller l’inspecteur pour dire que ça n’était plus possible. Avec notre mouvement, depuis trois ans, on a bien vu le traitement discriminatoire des habitants des quartiers populaires. En France aujourd’hui, on peut fermer 17 jours des écoles et mettre 600 enfants à la rue, comme cela a été le cas lors de nos actions de blocage en 2015, sans que ça gêne personne.
Que pensez-vous de la campagne électorale ?
On n’entend pas parler de l’éducation et de la société de demain. Les politiques ne sentent-ils pas un climat de haine et de défiance ? Nous, nous sommes prêts à recevoir l’ensemble des candidats et voir ce qu’ils nous proposent pour l’école dans les quartiers populaires.
Il ne faut pas attendre qu’un politique de droite ou de gauche bouge, il faut agir tous ensemble pour qu’ils prennent leurs responsabilités. La situation a trop duré, les choses doivent changer !
Recueilli par Véronique Soulé
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La contribution du sociologue Choukri Ben Ayed sur la mixité à l’école