« La question de la note ne doit pas cannibaliser les débats sur l’évaluation », prévient Benoît Hamon. Dans sa présentation de la Conférence nationale sur l’évaluation des élèves, le Ministre a insisté sur l’importance de ne pas focaliser les passions sur la notation, qui n’est qu’un élément parmi d’autres de l’évaluation scolaire. Ni sans notes, ni toute en notes, l’évaluation doit évoluer pour éviter de renforcer les effets d’inégalité au sein de l’école, liés à une stigmatisation des faibles résultats chiffrés. La conférence lancée le 24 juin, sous la présidence d’Étienne Klein assisté de Michel Quéré et de Florence Robine, recueillera les avis de tous les protagonistes avant de rendre, en décembre, les conclusions qui permettront au Ministre de statuer. Benoît Hamon, qui a prévenu qu’il « serait là » au moment des choix et des décisions, a expliqué son recours à des personnalités ouvertes au dialogue et à la coopération, pour obtenir un réel consensus. Avec une incertitude : les enseignants parviendront-ils à changer leurs pratiques professionnelles, ancrées dans la culture collective ?
Une évaluation bienveillante mais pas laxiste
Réfléchir aux modalités d’évaluation, est-ce forcément renoncer aux exigences scolaires ? « Ma conviction, affirme le Ministre, c’est qu’aujourd’hui, l’évaluation peut contribuer à accentuer les difficultés de ceux qui ont le moins de capital culturel, ceux qui ne maîtrisent pas toujours les codes de la réussite scolaire. » Prenant l’assistance à témoin, il souligne à quel point la connivence sociale, ce « délit d’initié », reste déterminante dans la réussite. Comment compenser ces inégalités ? En travaillant à mettre les évaluations au service des progrès et des apprentissages. L’évaluation doit être utile pour les usagers de l’école, et pas un simple mode de classement des élèves, explique-t-il. Pour être bienveillante, l’école doit apprendre à utiliser la notation à « bon escient » : la formule, souvent reprise, souligne l’intérêt possible d’une notation pensée en un sens pédagogique, et non de simple sanction. Contre la mécanique d’un niveau mesuré, parfois jusqu’à l’absurde, en moyennes à plusieurs décimales, il entend rendre sa place à une évaluation pondérée par le souci d’appréciation qualitative du travail de l’élève. Au risque d’une dérive laxiste ? Le Ministre s’en défend : que signifie un zéro en dictée, pour un élève qui se donne du mal, qui fait énormément d’efforts et auquel on dit qu’il a progressé… mais qu’il vaut toujours zéro ? Loin d’un déni de l’échec, il s’agit de permettre à l’élève de s’en emparer pour y remédier le mieux possible, quelle que soit sa situation. A contrario, affirme Benoît Hamon, ce n’est pas être exigeant, ni être vraiment ambitieux pour l’école que d’exiger un système qui se contente de « ventiler » les élèves selon des résultats chiffrés.
Un changement utile aussi aux meilleurs élèves
Ce travail ne vise pas seulement les élèves en difficulté, souligne le Ministre, mais aussi l’amélioration de nos élites. Ceux qui réussissent scolairement aussi ont besoin d’autres formes d’évaluation : les études internationales montrent le gain de performance à gagner pour les meilleurs élèves aussi. Il ne s’agit pas de remettre en cause les mauvaises notes des élèves en échec, ou de tirer l’ensemble des élèves vers le bas, prévient-il, s’amusant des éditoriaux qui feraient leurs choux gras de l’image du thermomètre que l’on brise pour ne pas voir la fièvre. Prenant exemple des nouvelles modalités d’évaluation en anglais LV, il affirme qu’on peut évaluer autant les progrès déjà accomplis que ceux qui restent à faire, noter les connaissances en appréciant les compétences acquises. Mais rien ne changera si on ne donne pas des indications claires sur ce qui doit être acquis et connu. En particulier concernant les attendus du socle commun :on ne peut pas laisser à l’enseignant la charge de faire, à lui tout seul, de ses 24 élèves, « 24 surhommes, au sens nietzschéen » ! L’évolution des modes d’évaluation ne manqueront pas d’avoir par ailleurs une incidence sur les examens, bac ou brevet, qui vont devoir évoluer aussi : la manière dont on note aux examens, rappelle Benoît Hamon, en dit long aux enseignants sur la manière dont ils doivent préparer leurs élèves à réussir.
La liberté pédagogique encadrée
En ce sens, si la liberté pédagogique de l’enseignant est importante, reconnaît le Ministre, cette liberté devient vite une solitude, au moment d’évaluer ses élèves, dans l’incertitude de ce qui doit être attendu en termes de connaissances et de compétences acquises. Une solitude qui peut conduire à la tentation de répéter ce qui se fait, se faisait avant ou se fait à côté, pour donner un contenu de sens à cette liberté qui ne sait trop comment se régler. S’il se défend de vouloir « normer » la liberté de l’enseignant, le Ministre entend bien l’encadrer, la réguler, lui donner un cadre avec des points de repère précis, pour rendre le travail de l’enseignant plus intelligible aux yeux des parents et des élèves. Répondant aux questions du Café pédagogique, le ministre affirme qu’il « sent une vraie demande chez les enseignants » sur ce point. « Il y a des syndicats qui s’engageront derrière les propositions du jury », affirme-t-il.
Un comité d’ouverture et de dialogue
Rechercher la fabrique de consensus ne garantit pas de le trouver, remarque le Ministre, qui ne veut pas voir la question de l’évaluation sombrer dans les sempiternelles querelles qui rassemblent toujours à peu près les mêmes belligérants sur les mêmes champs de bataille au prix des mêmes défaites. La conférence n’est pas «un « truc », dit-il, pour contourner les institutions et les syndicats, afin d’avancer sur un sujet qu’on sait d’expérience être conflictuel. Évoquant le reproche qu’on lui oppose de vouloir apaiser l’école, voire acheter la paix sociale, Benoît Hamon fait le pari que le choix des personnalités retenues pour mener le jury de la conférence permettra de surmonter sans les fuir les réticences et les clivages. Réaffirmant sa confiance à Michel Quéré, président du comité d’organisation, recteur de l’Académie de Rennes, à Étienne Klein, président du jury, physicien et docteur en philosophie des sciences, et à Florence Robine, vice-présidente du comité d’organisation, directrice de la DEGESCO, ainsi qu’à l’ensemble des membres du Comité : Jean-Yves Daniel, doyen de l’IGEN, Jean-Richard Cytermann, de l’IGAENR, Catherine Moisan, directrice de l’évaluation, prospective et performance, Michel Lussault, directeur de l’IFE, ainsi que le futur président du CSP, pas encore nommé, Benoît Hamon attend de cette équipe d’ouverture et de dialogue qu’elle crée un ensemble de propositions partagées, en vue de la semaine sur l’évaluation, du 8 au 12 décembre 2014, au terme de laquelle il statuera.
Un chantier considérable en perspective, dont on augure que les travaux se heurteront à de lourdes contradictions, tant entre les « usagers » (élèves et parents) et les « prescripteurs » (enseignants) qu’entre les membres de la société civile ou de l’enseignement entre eux. Les enjeux de l’évaluation scolaire dépassent en effet de très loin le cadre de la réussite ou de l’échec aux exercices ou aux examens : ils jouent un rôle de marqueurs symboliques puissants, par-delà les clivages sociaux et en dehors de l’école : quand les métaphores de la note, de la récréation, de la copie ou du bachotage sont à ce point omniprésentes dans l’univers extra-scolaire, la « crise de nerfs permanente » qui entoure les questions relatives à l’Éducation nationale est peut-être à interroger comme le symptôme d’une angoisse sociétale profonde plutôt qu’une simple réticence corporatiste.
Jeanne-Claire Fumet
Une précédente conférence de consensus
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/12/16122011_consens[…]
Du bon usage de la notation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/05/02052014Article63[…]
Pourquoi Peillon veut changer la notation ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2014/01/24012014Article63[…]
Les pratiques d’évaluation sont-elles contestables ? Sans aucun doute. D’ailleurs elles sont de plus en plus souvent mises en doute par les enseignants eux-mêmes. Une véritable révolution silencieuse a eu lieu déjà au primaire et des pratiques nouvelles apparaissent au collège. Est-ce pour cela que Benoît Hamon lance sa campagne nationale sur l’évaluation ? Si c’est le cas, la machine politique mise en place par le ministre est-elle capable d’accompagner voire de guider les évolutions ? On peut en douter. En faisant de l’évaluation un enjeu politique le ministre rend-il réellement service à l’éducation ? Encore une fois l’art d’accompagner le changement a-t-il déserté la rue de Grenelle ?
En proposant une « conférence de consensus » sur l’évaluation des élèves, Benoît Hamon sait-il qu’elle a déjà eu lieu ? En décembre 2011, déjà l’évaluation faisait l’actualité et les IUFM de la région parisienne avaient organisé une conférence de consensus sur ce sujet. Sa conclusion mérite pourtant d’arriver jusqu’au ministère : les incantations officielles ne sont rien sans effort de formation. La remarque est particulièrement valable pour une activité enseignante aussi basique et identitaire que l’évaluation.
Une activité identitaire
Parce que la correction de copies est l’activité qui identifie le mieux le métier d’enseignant. Quand on entend les enseignants on pourrait croire que c’est la part la moins appréciée du métier. En fait c’est celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d’avenir de l’Ecole. C’est aussi l’activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. La durée des corrections a à voir avec la hiérarchie symbolique des métiers enseignants. Le certifié corrige 6h40 par semaine, le professeur des écoles 4h09. Evidemment le professeur de français y passe plus de temps que celui de mathématiques. Mais l’essentiel c’est qu’aucun corps d’enseignant n’y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d’EPS 1h49. Pas de correction , pas de professeur… En s’attaquant directement à l’évaluation, Benoît Hamon attaque le coeur du métier.
Quelles sont les pratiques d’évaluation des enseignants ?
Mais quelles méthodes d’évaluation sont utilisées aujourd’hui par les enseignants ? Permettent-elles de faire progresser les élèves ? L’Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur « la notation et l’évaluation des élèves » coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux des pratiques d’évaluation de l’école au lycée. Son principal apport c’est de montrer un système éducatif coupé en deux par l’évaluation. A l’école primaire l’évaluation chiffrée a pratiquement disparu même si le Livret personnel de compétences n’a pas trouvé sa place. Par contre dans le secondaire, les notes sont toujours là et ce sont les autres modes d’évaluation qui dérogent. Le rapport souligne que toute modification de l’évaluation a des conséquences sur l’organisation des établissements et la charge de travail. Au final, les inspecteurs généraux estiment que « dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l’évaluation n’a guère abouti… Le constat d’une absence d’objectivité est quasi constant : on ne sait pas ce qu’on évalue ». Des tentatives ont eu lieu pour faire avancer les choses.
Des tentatives antérieures
Une réforme aboutie de l’évaluation a eu lieu au début des années 1970. Initiée par le terrain dans la foulée de mai 1968, elle s’est traduite par une évaluation sur 5 (ABCDE) qui a duré un certain temps avant un retour aussi tendanciel que son arrivée à la notation sur 20. En 2000, l’évaluation est revenue dans l’actualité avec une circulaire de Claude Allègre. Le texte s’aventurait sur un terrain clandestin : la fonction répressive de l’évaluation. Le ministre entendait qu’on distingue bien évaluation des travaux et sanction disciplinaire. Sa circulaire, qui est toujours en usage, a été immédiatement présentée en salle des profs comme « interdisant le zéro ». En se focalisant sur le zéro, le débat a illustré que l’évaluation renvoie aussi au pouvoir du professeur et pas uniquement à sa mission. En 2008, 2009 et 2011, c’est l’évaluation au bac qui ramène le thème dans l’actualité. Là aussi l’évaluation est utilisée pour faire passer un autre message. Soulever la question de la justesse de l’évaluation au bac c’est un moyen de tenter de changer le fonctionnement du bac et sa place dans l’accès au supérieur. Là aussi la question a largement fait débat. Et là aussi, exceptées des aigreurs, rien n’est sorti de cette agitation.
Le projet Hamon
Et puis arrive le projet Hamon. Selon un schéma peu original, une commission impartiale mais nommée par le pouvoir politique aboutit à des recommandations. Le ministre les suit s’il ne les a déjà précédées. Il dit aux enseignants comment ils doivent noter. Les corps d’inspection sont mobilisés pour faire la chasse aux contrevenants. Fermez le ban.
Ce beau scénario imaginé rue de Grenelle est il susceptible d’impulser un changement ? On peut fortement en douter. Pour une raison simple : tout ce qui se passe dans la classe est pris au sérieux par les enseignants et devrait être pris au sérieux par l’institution. Or il n’y a pas consensus dans la profession sur cette question. Est il vraiment nécessaire de dire que ce n’est pas un comité ministériel, même bien médiatisé, qui peut faire bouger des convictions et des pratiques ? Toute évolution passe au minimum par un réel effort de formation continue. Or celle-ci est hors de portée budgétaire pour B. Hamon. Mais elle ne suffirait pas. Pour que de réelles évolutions existent il faut qu’il y ait une demande sociale. Celle-ci n’existe pas d’une façon générale chez les enseignants. Il n’y a pas plus de consensus et de demande chez les parents. La formation peut accompagner la demande et la soutenir quand elle faiblit. Elle ne peut pas la remplacer. La prise de décision par en haut sur des sujets qui tiennent au coeur du métier c’est probablement ce qu’on peut faire de pire en terme d’accompagnement du changement.
Enfin, ce qui manque a la démarche ministérielle c’est de poser le pourquoi. Pourquoi faudrait il changer l’évaluation ? Pourquoi faut-il changer les rythmes scolaires ? Benoit Hamon répond que c’est pour lutter contre les inégalités sociales à l’école. Voilà un sujet qui relève du pouvoir politique. Voilà un cap pour l’Ecole. Que le ministre s’en empare vraiment. Que son ministère s’organise vraiment pour lutter contre elles. Que la formule « priorité au primaire » par exemple prenne sens. Que l’éducation prioritaire le soit vraiment. C’est le préalable politique au reste. A défaut, il est à craindre que l’action ministérielle ne fasse que jeter le discrédit sur le métier d’enseignant, diminuer encore la confiance dans l’institution et bloquer les évolutions nécessaires.
François Jarraud
La conférence de consensus
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2011/12/16122011_conse[…]
Le rapport de l’inspection
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/98/7/Rapport-IGEN-201[…]
Les notes sont-elles justes ? La réponse est non. Pourtant les enseignants continuent à passer beaucoup de temps avec beaucoup de sérieux sur l’évaluation. Comment faire passer les acquis de la recherche tout en respectant le travail enseignant ? C’est l’objectif des ces articles…
Notes au primaire : Qu’en est-il chez nos voisins ?
En 2010, Nathalie Mons analyse les pratiques françaises d’évaluation continue à la lumière des expériences étrangères et le débat à l’étranger sur l’évaluation numérique. Pour elle, la France est dans une position particulière par rapport à la fois aux législations et aux pratiques des enseignants à l’étranger. Dans une grande partie des pays de l’OCDE, les enseignants ne sont pas totalement libres en ce qui concerne la forme que peut revêtir l’évaluation continue. Dans les autres pays de l’OCDE, dans le primaire, la notation sur forme numérique était déjà exclue ou fortement encadrée
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Les notes sont-elles justes ? Entretien avec Pierre Merle
Les notes sont-elles justes ? Certes, s’il est bien une activité que les profs font sérieusement, c’est la notation. Ils en connaissent les conséquences dans un système qui se focalise sur les moyennes. Pourtant quand on compare sa notation à celle de ses collègues, souvent on est très surpris. Pierre Merle révèle les résultats de nombreuses études docimologiques (la science de la notation). Au risque d’affronter les tabous.
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L’évaluation est-elle une menace ?
On pourrait s’étonner de la partialité des recherches présentées ici, qui montrent toutes les effets délétères des notes, sans présenter en contrepartie les recherches qui montrent des effets positifs. En réalité, si on reste dans le domaine des apprentissages et de la motivation, on ne trouve pas de recherches qui montrent des effets positifs ». Ce passage extrêmement dur donne une bonne idée de l’ouvrage dirigé par Fabrizio Butera (Université de Lausanne), Céline Buchs (Genève) et Céline Darnon (Clermont-Ferrand). Durant 186 pages on assiste à un démontage terrible et ravageur de l’évaluation sommative. Si vous préférez, des notes.
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Ces collèges qui ont supprimé les notes
Critiquées de toutes parts, les notes n’ont plus la cote. Mais ce n’est pas pour autant que l’approche par compétences séduise les enseignants. D’autant que le premier contact, qui rompt avec une tradition d’évaluation plus que centenaire, prend la forme du livret personnel de compétences (LPC), un fastidieux pensum bureaucratique, un vrai antidote au plaisir d’enseigner. Pourtant des collèges ont spontanément sauté le pas. Ils expérimentent la suppression des notes. Et ils s’en trouvent bien. Mieux : ils y trouvent du plaisir !
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