« Nul ne peut prétendre avoir, définitivement et une bonne fois pour toutes, séparé en catégories complètement étanches le « savoir » et le « croire » ». Partant des travaux de Jérôme Fatet et Romuald Josserand, Philippe Meirieu réfléchit à la séparation entre science et croyance et à la façon de transmettre la laïcité. « Ce que nous savons à enseigner, c’est moins une catégorisation qu’une démarche de désintrication permanente et sans cesse inachevée. Nous avons à impulser, par un travail inséparablement expérimental et historique, concret et épistémologique, une quête qui évite au sujet de s’enkyster, de s’enfermer, de s’identifier à un moment donné de son évolution et de sa configuration entre « savoir » et « croire » ».
En déplacement à Limoges pour donner une conférence organisée par l’ESPE et travailler avec les enseignants du SNUipp, j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir longuement avec mon collègue Jérôme Fatet, maître de conférences en histoire et épistémologie des sciences, qui, avec Romuald Josserand, enseignant spécialisé au Centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, a mis en place un module d’enseignement scientifique pour les mineurs détenus… Le hasard veut que le jour de cet entretien, L’OBS soit paru avec une couverture dont le titre ne pouvait passer inaperçu : « L’école défiée par la religion » (1). L’hebdomadaire faisait état des résultats « exclusifs » d’une enquête menée auprès de 9000 collégiens des Bouches-du-Rhône entre avril et juin 2015, par une équipe du CNRS et de l’Institut d’Etudes politiques de Grenoble sous la direction de Sébastian Roché. Quoiqu’on puisse discuter le caractère représentatif de cette enquête et certaines de ses formulations (comme, par exemple, la question : « Quelle est l’origine des espèces vivantes ? » qui – contrairement à la question « Comment sont apparues chacune des espèces vivantes ? » – peut parfaitement être interprétée par des collégiens comme relevant de la croyance et non de la connaissance scientifique), il reste que les résultats de cette recherche montrent l’emprise du « religieux » sur les jeunes, la prégnance de représentations issues de traditions religieuses et contraires aux principes républicains, la confusion entre le registre de la foi et celui du savoir, avec une forte prééminence chez les jeunes musulmans mais une présence très significative aussi chez les jeunes catholiques… Dans le même numéro de L’OBS, la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud Belkacem, rappelle, en écho, certains principes sur lesquels on ne peut qu’être d’accord : « L’école doit précisément rappeler [ aux jeunes ] que la laïcité garantit leur liberté de croire, ou de ne pas croire, en étant assurés d’être traités de manière égale. (…) Par ailleurs, l’école qui a pour mission d’émanciper les individus, transmet des savoirs vérifiés qui ne peuvent être mis en cause par des croyances, qui, elles, relèvent de la conviction personnelle. » (2) Oui, bien sûr… Mais comment faire ?
L’expérimentation scientifique et l’histoire des sciences en prison
C’est sur cette question, précisément, que les recherches de Jérôme Fatet et Romuald Josserand apportent, sinon des réponses, du moins des perspectives prometteuses. Ils travaillent, en effet, avec des mineurs incarcérés, pour la plupart, fortement imprégnés de culture religieuse (musulmane pour beaucoup, catholique pour les « enfants du voyage ») et, donc, évidemment tentés par le repli intégriste qui leur garantit la sécurité des certitudes, leur fournit une identité dans laquelle ils n’ont qu’à se lover, leur promet la protection du clan et l’inscription dans une histoire dont la promesse – contrairement à notre méritocratie « républicaine » – leur paraît accessible.
Deux fois par an, Jérôme Fatet et Romuald Josserand organisent pour ces jeunes, d’âges et de niveaux différents, une semaine consacrée à la découverte de la physique : chaque jour, ils proposent deux modules d’une heure trente, en veillant soigneusement à ce que l’ensemble des modules constituent une véritable unité et à ce que chacun d’entre eux puisse aussi être suivi de manière indépendante (il arrive que, pour une raison ou une autre, des jeunes détenus ne puissent assister à l’ensemble). Cet enseignement – car cela en est véritablement un – permet d’aider les jeunes concernés à « passer d’un temps contraint et morcelé à un temps construit », un « temps projeté », articulé autour d’objectifs annoncés, où les événements s’enchaînent de manière à permettre la perception d’une progression, l’identification d’une acquisition, bref une « vectorisation » qui rompt avec la répétition et l’impulsivité qui dominent leur vie par ailleurs (3).
Mais – et c’est ce qui nous intéresse surtout ici – cet enseignement de « sciences et d’histoire des sciences » a aussi une finalité pédagogique essentielle dans l’apprentissage de la distinction fondatrice entre le « savoir » et le « croire ». Car il s’agit bien, ici, d’un apprentissage. Alors qu’un polémiste toujours en quête d’anathèmes et de provocations, affirme qu’il « faut clouer dans la tête [ des élèves ] la différence entre une croyance et un savoir » (4), la pédagogie sait que la contrainte, dans ce domaine, ne produit que durcissement chez les uns et dissimulation chez les autres… pire encore : « clouer dans la tête des élèves » quoi que ce soit, c’est se mettre en contradiction avec ce que l’on prêche, c’est imposer comme une « croyance » ce qu’on prétend être un savoir libérateur. Pas étonnant, alors, que l’autre se cabre en face : croyance contre croyance, face à face, voire corps à corps, violences verbales et sociales, affrontements en tous genres jusqu’à la « soumission » d’une des deux parties.
C’est pourquoi la démarche scientifique et la réflexion épistémologique dont le travail de Jérôme Fatet et Romuald Josserand montre qu’elles sont accessibles à toutes et tous, dès lors qu’on met en place une démarche rigoureuse et différenciée tout à la fois, constituent une alternative constructive aux vaines injonctions des spécialistes du « y a qu’à ».
En cheminant avec Galilée
En s’attachant en particulier à Galilée et à la rupture épistémologique qu’il constitue, ils amènent, en effet, les élèves à réaliser eux-mêmes des expériences, à isoler des paramètres pour en interpréter les résultats, à émettre des hypothèses, à les vérifier ou à les invalider, etc. C’est ainsi que les élèves en viennent à observer des phénomènes qui contredisent radicalement leurs représentations et sont totalement « contre-intuitifs » : ils conviennent même que tous les objets, quelle que soit leur masse, tombent à la même vitesse ! Ces résultats sont systématiquement repris dans un écrit individuel, qui engage l’élève dans une tâche et permet, tout à la fois, la mise à distance à l’égard de la manipulation (souvent ludique) et la formalisation nécessaire pour pouvoir envisager le moindre transfert…
Bien sûr, l’enseignant joue, pour cela, un rôle essentiel et guide fermement et sereinement les élèves dans leurs activités ; mais il ne s’interdit pas, non plus, de raconter l’histoire de Galilée (qui fut, lui aussi emprisonné !), en s’appuyant sur ses « carnets d’expérience » afin de faire comprendre aux élèves qu’on peut réaliser des « expériences de pensée » qui, quoiqu’effectuées en imagination, peuvent être reproduites dans des environnements différents, et validées ensuite expérimentalement… comme les astronautes d’Apollo 15 ont pu le faire pour la chute des corps (5). De même l’enseignant n’hésite pas à varier les supports en faisant représenter aux élèves à la craie le système solaire dans la cour de la prison. Il prend aussi le temps nécessaire à la métacognition, afin que chacun explique comment et quand il a compris, découvrant ainsi que « comprendre » fonctionne comme un « déclic », une « mise en ordre » qui permet d’appréhender un ensemble de phénomènes jusque là séparés et inintelligibles qui deviennent, tout à coup, saisissables et permettent d’éprouver le plaisir d’apprendre (6).
Et Dieu dans tout ça ?
Mais, bien évidemment, au cours de cette démarche, explique Jérôme Fatet, « Dieu ne manque pas de surgir » ! S’engage alors un travail essentiel : c’est dans l’expérimentation elle-même qu’on découvre que la science, si elle veut pouvoir continuer à chercher, doit refuser, méthodologiquement mais systématiquement, « l’hypothèse Dieu ». « Méthodologiquement mais systématiquement » : tout est là ! Il ne s’agit pas, en effet, d’entrer dans le domaine de la croyance ni d’en interroger la légitimité, mais bien de ne pas y recourir dans le cadre de la démarche scientifique. Car « l’hypothèse Dieu » interromprait immédiatement toute investigation quand, précisément, les élèves manifestent leur volonté de la poursuivre… Et c’est ainsi qu’ils peuvent accéder à la distinction fondamentale entre la structure de la pensée scientifique et celle de la pensée religieuse : la science n’interdit pas de « croire en Dieu », mais propose de « se mettre d’accord » sur des phénomènes et des théories qui, parce qu’ils ne font appel qu’à la démonstration rationnelle acceptable et partageable par tous, sont stabilisés comme des « savoirs », tandis que les croyances relèvent de la sphère privée.
Nous sommes, ici, au cœur de la « pédagogie de la laïcité », telle qu’on la trouve exposée, dès les années 1880, par Ferdinand Buisson et ses collaborateurs du « Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » (7) : ainsi, Élie Pécaut écrit-il dans l’article « Préjugé » de ce dictionnaire : « Il ne s’agit rien de moins que de fonder dans l’enfant ce que nous appelons l’esprit scientifique, c’est-à-dire l’habitude du libre examen, cette pratique du doute préalable et de la recherche personnelle ». Démarche évidemment essentielle quand veut « former des citoyens ».
Une démarche jamais achevée
J’ai dit « démarche » et ce mot n’est pas innocent pour moi : il indique que nul ne peut prétendre avoir, définitivement et une bonne fois pour toutes, séparé en catégories complètement étanches le « savoir » et le « croire ». À bien y regarder et aux dires des scientifiques les moins suspects de verser dans la religiosité, il y a même toujours un « reste » de croyance dans les savoirs, comme, symétriquement, on trouve toujours des bribes de savoirs dans toute croyance. Heureusement, d’une certaine manière, car, c’est ce « reste » qui permet à la science de se développer et à la quête de savoir de rester vivace. C’est pourquoi ce que nous savons à enseigner, c’est moins une catégorisation qu’une démarche de désintrication permanente et sans cesse inachevée. Nous avons à impulser, par un travail inséparablement expérimental et historique, concret et épistémologique, une quête qui évite au sujet de s’enkyster, de s’enfermer, de s’identifier à un moment donné de son évolution et de sa configuration entre « savoir » et « croire ».
Jérôme Fatet raconte, à cet égard, une anecdote particulièrement significative : un élève, pas particulièrement bien disposé à l’égard du travail proposé, lui demande, à la fin de la quatrième séance, s’il pouvait lui poser personnellement des questions « scientifiques ». Jérôme lui donne rendez-vous le dernier jour de la semaine à la bibliothèque pour en parler avec lui. Et l’élève arrive avec une copie double où sont inscrites des dizaines de questions sur tous les domaines scientifiques possibles. Jérôme lui avoue être incapable de répondre à toutes ces questions. L’élève lui rétorque alors : « Oui, mais il y peut-être des gens qui savent ! ». Affirmation décisive : ce n’est pas parce qu’on ne sait pas expliquer soi-même, ce n’est pas parce que les gens qu’on connaît ne savent pas expliquer… qu’on ne peut pas expliquer, ni chercher à expliquer ! Voilà une belle illustration de la fécondité du travail pédagogique sur l’histoire et l’épistémologie des sciences !
De la démarche scientifique à la pratique du débat du débat argumenté
Reste que l’accès aux connaissances scientifiques ne permet pas systématiquement d’échapper à la radicalisation et au fanatisme dont Edgar Morin a bien décrit les composantes : la réduction du monde et de l’autre à ce que l’on en décide, le manichéisme qui rejette toute altérité dans le « mal absolu », et la réification qui enkyste le sujet dans une vision totalisante dont l’emprise est telle qu’elle peut lui faire commettre les pires exactions (8). L’histoire nous donne de tristes exemples d’hommes de sciences enrôlés par les totalitarismes les plus barbares, incapables de résister à la séduction d’une idéologie mortifère, jouissant même de mettre leurs connaissances et leur pouvoir au service de la terreur. Aujourd’hui encore, nous savons bien que de nombreux cadres djihadistes ont fait des études scientifiques poussées et, même, que certains de nos « bons élèves » peuvent être tentés de s’enrôler dans des groupuscules radicaux.
C’est que les savoirs scientifiques peuvent parfaitement être acquis sans que soit intégré le principe éthique qui constitue, en deçà mais aussi au-delà de leur acquisition, la condition d’une véritable « science à hauteur d’homme » : convaincre sans vaincre. Car, c’est bien cela qui trame toute l’épistémologie des sciences ; c’est bien cela qui permet à la science de progresser et de nous émanciper des pouvoirs arbitraires comme des préjugés archaïques ; c’est bien cela qui fait de la science un vecteur d’humanisation… Or, « convaincre sans vaincre » n’a rien de spontané : cela s’apprend et se construit dans l’éducation, cela se transmet de génération en génération par des éducateurs qui savent montrer qu’il y a là, tout à la fois, un renoncement nécessaire à la violence qui nous habite et une source de satisfactions immenses, individuelles et collectives.
C’est dire que l’apprentissage du débat argumenté, avec un protocole rigoureux et sur des objets précis, doit être pleinement intégré à l’École, non comme un « supplément d’âme » et en dehors des disciplines scolaires traditionnelles, mais au sein de ces dernières et en garantissant l’implication de chacun et de chacune dans le processus. Bien évidemment, les cours de philosophie et les « ateliers philo » sont des lieux privilégiés pour cet apprentissage, mais, outre le fait que tous les élèves n’en bénéficient pas (9), il ne faudrait pas entériner l’idée, chez les jeunes, que l’argumentation est cantonnée à cette discipline, alors qu’ailleurs, ils n’ont qu’à écouter ! S’exprimer et se justifier, expliquer et démontrer représentent, en effet, des apprentissages absolument fondamentaux. C’est par là que l’élève sera amené, dans l’effort même que le groupe et l’enseignant soutiendront avec bienveillance, à élucider le statut de ce qu’il énonce. C’est dans le travail de formulation que se trouve la clé de la compréhension et de la distinction assumée sereinement entre le savoir et le croire. Qui est privé de cette interlocution est condamné à tâtonner sans fin et menacé de confusion mentale : sans étayages psychiques extérieurs, il ne peut se structurer mentalement et reste vulnérable face à toutes les intimidations comme à toutes les emprises.
Mais le débat argumenté est encore bien plus que cela : c’est aussi la reconnaissance de l’autre comme un « autre soi-même » et, pour reprendre la belle expression de Paul Ricoeur, de « soi-même comme un autre ». Débattre avec l’autre, c’est se reconnaître comme faisant partie du même monde. C’est reconnaître l’autre comme un interlocuteur qui mérite d’être convaincu et dont l’adhésion m’importe plus que la soumission parce qu’il est, comme moi, un être de raison. Débattre avec l’autre, c’est accepter aussi que je peux être « affecté » par lui : non seulement, parce qu’il peut me permettre de voir des pans entiers de la réalité qui me sont invisibles, mais qu’aussi parce qu’il peut avoir compris mieux que moi certaines choses et qu’ainsi ses objections sont infiniment précieuses. Comme le dit encore Paul Ricoeur, « la tolérance n’est pas une concession faite à l’autre, c’est l’acceptation du fait que je n’ai pas la vérité tout seul ». Qui peut dire, aujourd’hui, que ce n’est pas là un enjeu pédagogique majeur ?
Se reconnaître comme parties prenantes de « l’humaine condition »
Ainsi la reconnaissance de l’altérité est-elle toujours, simultanément, reconnaissance des différences qui nous spécifient et reconnaissance de la ressemblance fondatrice qui nous unit. Jérôme Fatet et Romuald Josserand en sont tellement conscients qu’ils mettent en pratique, dans des conditions particulièrement difficiles, le débat argumenté et n’hésitent pas à « raconter des histoires » à leurs élèves. C’est que, comme Martha Nussbaum nous le rappelle si opportunément et avec une rare clarté (10), les récits littéraires et l’expérience artistique constituent les moyens privilégiés de l’apprentissage de l’empathie. À travers eux l’enfant et l’adolescent découvrent que les autres sont fondamentalement nos « semblables », dans leurs inquiétudes et leurs angoisses, dans leurs peurs et leurs espoirs. Ils comprennent aussi ce qu’est la souffrance infligée à l’autre et en quoi ils peuvent, eux aussi, la ressentir. Parce qu’ils donnent forme à ce qui les habite et permettent de mettre un peu d’ordre dans leur chaos psychique, les arts représentent un accès privilégié à ce qui fait « l’humaine condition ». Ils ne déclenchent pas mécaniquement la solidarité, mais ils créent ce terreau sur lequel elle pourra émerger et se développer.
Et c’est dans la même perspective que l’on peut s’engager dans une véritable « pédagogie de l’inter-culturalité ». Contrairement aux caricatures qui en sont faites, cette pédagogie n’est pas une sorte de « bouillie culturelle » invitant au relativisme généralisé. Elle est, au contraire, un vrai travail de découverte de l’universalité : non pas une universalité arrogante et qui s’impose au nom de la supériorité d’une « civilisation », mais une universalité modeste qui se construit à partir des convergences qu’on peut entrevoir dans les différents récits fondateurs et rites sociaux, dans les œuvres littéraires comme dans les expressions artistiques des différentes communautés humaines. Il faut, pour cela, les entendre comme des réponses différentes à des questions fondatrices qui nous habitent tous. Et l’on peut se reconnaître alors, malgré les différences considérables de nos réponses, comme fils et filles des mêmes questions…
Ainsi se construisent des projets à proprement parler « fabuleux », et, le plus souvent, en toute modestie, dans des établissements scolaires ordinaires. Ici, ce sont des élèves de cours moyen qui travaillent sur les différents rites associés au solstice d’hiver, pour découvrir l’importance de la lumière dans l’histoire des humains. Là ce sont des élèves de cinquième qui comparent les institutions judiciaires dans plusieurs traditions et en font émerger les rituels invariants ainsi que les principes universels qui les structurent : nul ne peut se faire justice soi-même, nul ne peut être, à la fois, juge et partie. Ailleurs, ce sont des élèves de lycée professionnel qui enquêtent sur la tradition du bijou à travers le monde et s’interrogent sur le sens de ces « objets inutiles ». Plus loin, ce sont des apprentis qui échangent avec leurs homologues de plusieurs continents pour découvrir comment les humains, au quatre coins du monde, protègent leurs habitations de la chaleur et du froid… Dans tous les cas, aucune facilité : un travail précis et rigoureux et une découverte progressive, de ce qui peut nous réunir. Aucun renoncement, non plus : chacun garde la liberté de juger du bien-fondé de ce qui nous différencie, mais avec, à l’horizon, une vision pacifiée du monde et la perspective essentielle, qui se construit petit à petit, de l’égale dignité de tous les humains. Et qui peut dire que ce n’est pas là une démarche qui conduit vers les valeurs fondatrices de notre République comme de notre démocratie : liberté, égalité, fraternité ?
Malgré les railleries, le pédagogue reste consubstantiellement un grand naïf aux yeux des esprits forts. Mais il persiste et signe. Il entend bien, autour de lui, ceux et celles qui lui disent que ses propositions ne pèsent guère face aux enjeux géopolitiques, aux problèmes considérables de sureté intérieure, aux rapports de force économiques et politiques. Il comprend tout cela. Mais il demande une réciprocité minimale : qu’on reconnaisse que rien de ce qui est fait avec les « petits d’hommes » n’est totalement innocent pour notre avenir commun et que « le moindre geste » peut aussi changer bien des choses.
Philippe Meirieu
NOTES
(1) n° 2071, semaine du 3 au 10 février, pages 27 à 38.
(2) Ibid., page 37.
(3) Voir Jérôme Fatet et Romuald Josserand, « “Faire son temps“ au quartier des mineurs : vers une didactique des temps par l’épistémologie des sciences ? », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n°59, 3ème trimestre 2012.
(4) Jean-Paul Brighelli, « L’école saisie par la foi », http://www.lepoint.fr/invites-du-point/jean-paul-brighelli/brighelli-l-ecole-saisie-par-la-foi-08-02-2016-2016169_1886.php
(5) Voir : https://www.youtube.com/watch?v=QlQIPje4FYQ
(6) J’ai développé ce point dans « Le plaisir d’apprendre », Paris, Autrement, 2013 : http://www.meirieu.com/LIVRES/li_plaisir_dapprendre.htm
(7) Une réédition de ce dictionnaire est prévue en 2016 dans la collection « Bouquins », chez Robert Laffont..
(8) Edgar Morin, « Éduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre », Le Monde, 10 février 2016.
(9) Comment peut-on accepter encore aujourd’hui le scandale que représente l’absence d’enseignement de la philosophie dans les baccalauréats professionnels ?
(10) Martha Nussbaum, « Les émotions démocratiques », Paris, Climats, 2011.