Quels programmes en EPS ? Continuité avec les programmes actuels, ou ruptures ? La question est posée ! Mais avant de se tourner vers les nouveaux programmes, quel regard peut-on porter sur l’histoire de la construction des programmes en EPS? Quels bilans faire des programmes actuels ? Quelle liaison proposer avec le socle commun ? Et enfin, dans une démarche curriculaire quelle cohérence globale proposer entre programmes et évaluations ? Vaste chantier que nous ouvrons aujourd’hui, en proposant un dossier relatif à ces nouveaux programmes en EPS. Chaque semaine, nous vous proposerons une rencontre avec différentes personnalités du monde de l’EPS. Il s’agira d’identifier les obstacles, les freins des programmes actuels, mais aussi d’évoquer les leviers et ressources de ces derniers, au service de la réussite de chaque élève. L’idée étant de proposer une vision des plus larges, multiples et d’éviter toute pensée unique.
Le SNEP, regard sur hier, pour proposer demain…
L’histoire de l’EPS est indissociable de celle son syndicat majoritaire et du rôle de ce dernier dans l’écriture des différents textes réglementaires depuis de nombreuses années. Logiquement, nous avons posé nos questions à Christian Couturier, secrétaire national du SNEP, responsable du secteur éducatif pour proposer un regard sur l’histoire de la construction des programmes. Selon lui est passé d’une « EPS en miettes dans les années 70 », à aujourd’hui, une « EPS « quatre quart » en collège ». Dans une prochaine rencontre nous évoquerons avec le syndicat leurs propositions. Bonne Lecture.
Le SNEP est un syndicat de métier qui s’implique depuis de nombreuses années dans la réflexion autour des programmes de la discipline. En quoi l’histoire, celle des programmes scolaires qui nous occupe ici, peut-elle lui servir ?
L’idée que l’histoire « serve » au professeur d’EPS n’est pas une nouveauté. Le principe d’un écrit aux concours reposant, pour une part ou en totalité, sur cette dimension n’a pas été remis en cause depuis une trentaine d’année. Le législateur considère que cela fait partie de la culture d’un enseignant pour « savoir d’où il vient ». Idée largement partagée, qui a aujourd’hui évolué. On ne parle plus simplement de culture générale, mais, à travers cette épreuve, d’un élément de professionnalisation. Le rapport du jury du CAPEPS « rénové » 2014 déclare que « Les épreuves doivent permettre d’apprécier la capacité des candidats à mobiliser des savoirs académiques dans une perspective professionnelle ».
L’histoire de l’EPS a été longtemps une histoire dont la fonction était plus politicienne qu’autre chose : démontrer par exemple que le rôle du SNEP a été négatif, qu’il a empêché la modernité de se mettre en place… C’est une approche qui date et qui, je pense, j’espère, ne correspond plus à la réalité. Les programmes ne sont pas des objets inertes qu’il faudrait « appliquer ». Ce sont des objets en mouvement dont il faut comprendre le sens. Cela donne une grille de lecture pour la suite des événements car la perspective de nouveaux programmes pointe son nez. Une nouvelle phase institutionnelle, depuis la nouvelle loi de « refondation de l’école, s’est ouverte et devrait déboucher à la rentrée 2015 sur de nouveaux textes.
Quel regard portez vous sur cette histoire ?
On a beaucoup expliqué et raconté l’histoire des programmes en EPS sur 2 registres essentiellement : un rapport de force entre, pour allez vite, le SNEP et l’inspection générale, pour instaurer un leadership sur l’EPS. Qui gagne, qui perd à tel ou tel moment est alors le moteur de l’intrigue ; et un rapport de force entre différents courants : culturaliste, développementaliste, etc. (1) Ces 2 formes de « combats » pouvant se superposer ou se croiser à telle ou telle période. Mais on oublie ici que les programmes sont signés par le ministre de l’Éducation Nationale. Ce sont des objets politiques. Et le « jeu » dans lequel le SNEP se situe est plus avec le pouvoir politique qu’avec l’IG (les corps d’encadrement, aujourd’hui encore plus qu’hier, sont des fonctionnaires d’application de la politique scolaire) : en 95-96 c’est avec François Bayrou que se joue le bras-de-fer (qui se termine en notre faveur avec notamment la création de la 4ème heure en sixième), en 99 c’est avec Claude Allègre (qui chute pour être ensuite remplacé par J. Lang), et en 2008 c’est avec le gouvernement Sarkozy qui demande aux programmes de se conformer au « socle commun », dans lequel l’EPS est totalement exclue.
Par ailleurs on peut aussi voir apparaitre des contresens. Par exemple on dit souvent que le SNEP s’est opposé de façon plus ou moins systématique. Or si l’on regarde ses votes au conseil supérieur de l’éducation (organisation paritaire consultative) sur les programmes, le SNEP a acté, en s’abstenant ou en votant pour, les programmes en 1996, 1997, 1998, 2000, 2001, 2002, 2008. Le vote contre a eu lieu uniquement en 1999, sur la première proposition sur les programmes lycée, puis récemment en 2009 (programmes LP) et 2010 (lycées). Et si l’on comparait par exemple les raisons du vote contre en 1999 (voir contrepied n°17), avec celui de 2010 (articles dans les bulletins, sur le site du SNEP, courriers à L’IG…), les deux portant sur les programmes pour les lycées, on verrait qu’elles ne sont pas de même nature. En 1999, c’est toute la conception des programmes et la nature du texte qui est critiquée. Elle sera revue l’année suivante. En 2010, c’est clairement la fonction que l’on fait jouer aux « compétences » propres pour imposer à tout le monde l’obligation de passer, pour au moins deux cycles, par les activités dites d’entretien, ce qui revient, dans la grande majorité des lycées par des effets mécaniques de programmation, à l’imposer aussi au Bac et à supprimer dans le même temps les sports collectifs…
Nous venons de réaliser un document (supplément bulletin n°911 : « l’EPS et sport scolaire, c’est notre histoire ») dans lequel nous proposons une entrée thématique pour comprendre une période donnée : celle qui va de 1997 à 2007 en l’occurrence (le précédent couvrait la période 1969-1996). Ce n’est pas un travail d’historiens, mais c’est un témoignage historique d’acteurs engagés pour la défense et la promotion de l’EPS et de ses enseignants. Ce témoignage, comme je peux le faire ici, croise des faits, irréfutables, et des analyses, discutables par essence. C’est le but… discuter, faire réfléchir, pour enrichir sa culture professionnelle…
Nous proposons par exemple une grille de lecture de l’histoire des programmes sur 4 points dont le poids varie selon les moments de l’histoire : la conception de ce que doit être un programme, le rapport à la culture, les notions utilisées, et le rapport à la profession. Chaque débat sur les programmes porte des zones de fractures sur un de ces points, voire la totalité…Je vais prendre un seul exemple ici, une thématique qui n’apparait pas ou peu dans les travaux historiques est pourtant centrale dans la compréhension de l’évolution des programmes : quelles ont été les divergences sur, non pas le contenu d’un programme en EPS, les finalités de l’EPS, etc., mais sur la nature même de ce que peut ou doit être un programme ? Il y a alors deux moments clés dans cette histoire : 1997 avec la publication des documents d’accompagnement des programmes de 96, et 2000, avec les programmes pour la classe de seconde. De ce point de vue, pour commencer par le premier épisode, ce qui est intéressant à analyser, c’est, non pas le programme de 96 en soi, mais la publication de couple programme/documents d’accompagnement.
Donc ce qui serait déterminant serait de prendre en compte non pas seulement le programme, mais programme plus documents d’accompagnements. Qu’est-ce que ça change ?
Les modèles explicatifs de la période qui précède jusqu’à la publication des textes reposent sur plusieurs aspects : l’identité de l’EPS, son rapport au sport, aux pratiques sociales, au développement des élèves et les luttes politiques (droite/gauche, PS/PC, etc.), traduites sur le terrain par les luttes syndicales. C’est bien entendu pertinent. Mais dans le cas qui nous occupe, ça n’explique pas tout, loin de là. Je fais par exemple l’hypothèse qu’un problème, non posé explicitement à l’époque, continue à perturber les débats d’aujourd’hui. C’est un problème qui aurait dû se poser en amont, avant même de rentrer dans le contenu du programme : peut-il y avoir un programme en EPS, comme dans les autres disciplines, c’est-à-dire une programmation ordonnée, planifiée, la plupart du temps cumulative, des savoirs ? Ce qui revient à se poser la question : si nous avions des Instructions Officielles, et non des programmes stricto sensu, est-ce seulement parce que nous n’étions pas à l’Éducation Nationale de 1958 à 1981 ? Il me semble que l’on n’a pas véritablement discuté cette question.
Il est indéniable que l’intégration à l’EN, après 1981, a déclenché le processus institutionnel d’écriture des programmes en EPS, d’abord avec les travaux de la « commission verticale » qui annonçait la perspective de véritables programmes en EPS, puis avec la mise en place du Conseil National des Programmes mis en place après la loi « Jospin » de 1989. Il a fallu attendre 2001, 20 ans, pour que la totalité du cursus soit couvert par des programmes. Jusqu’en 96 donc, pour les collèges et jusqu’en 2000 pour les lycées, l’EPS a vécu sans programmes, au sens classique du terme. Leur avènement a t-il changé l’enseignement de l’EPS et la réussite des élèves ? La seule chose qui a changé véritablement, ce sont les programmations d’APSA, contraintes plus ou moins fortement par ces textes. Les autres transformations (manière d’enseigner…) ne sont pas passées par les programmes mais par les formations initiale et continue, les échanges professionnels, etc.
Au final à quoi sert donc un programme ?
En fait, les programmes d’EPS sont des textes qui organisent l’EPS. Ce qui renvoie directement à la conception même des programmes qui a opposé deux visions différentes, dès le début, mais qui n’ont pas toujours été explicites : une vision « organisationnelle », dans la lignée des instructions officielles, et une vision « programmatique » des savoirs. Alain Hébrard, après son expérience très enrichissante de la « commission verticale », ne s’est jamais caché de défendre la première option : les programmes doivent dire simplement et clairement ce qu’est l’EPS. Ils ont une fonction de « communication » et d’organisation. Pour le reste, il y a tellement de différences concrètes d’un établissement à l’autre qu’il est illusoire d’imaginer des contenus communs. Le SNEP a défendu une autre vision, s’est très clairement exprimé dans les bulletins syndicaux de l’époque : les programmes doivent définir très précisément ce qu’il y a à apprendre, dans chacune des APSA, que ça s’appelle d’ailleurs compétence ou savoir…L’institution pédagogique étant donc sur la première version, tout le monde a travaillé sur des projets qui répondaient à cette exigence. Au bout du compte, le « compromis » de 96 n’a pu se faire que parce que la sortie des programmes (qui tendaient vers des instructions officielles) était assortie d’une promesse de documents d’accompagnement (qui tendaient vers des programmes version SNEP). Et lorsqu’on interrogeait, par la suite, les collègues sur l’utilisation des programmes, immanquablement c’étaient les documents d’accompagnement qui étaient cités.
Compte tenu de la nature du texte programme, dont la fonction était un affichage public de la discipline et non un « contrat didactique », les débats se sont engagés évidemment sur la conception (culturaliste, développementaliste, etc.) qui était présentée. Si le choix avait été fait de suivre nos propositions et concevoir les programmes comme l’identification concrète des savoirs et compétences devant faire culture commune, nous aurions discuté « contenus » et efficacité des apprentissages. La centration quasi exclusive sur la bataille des « courants » est donc une conséquence des choix (ou des non-choix) faits sur la nature même de ce que peut et doit être un programme d’EPS.
Après les programmes collège, il y a eu ceux du lycée. Peut-on y revenir ? Continuité ? Rupture ?
La même histoire s’est répétée en 99. Le projet de programme lycée répondait à un cahier des charges « simple et lisible », commandé cette fois par le Ministre de l’époque, Claude Allègre. Donc sur un affichage centré sur la « commande ». Le programme publié fait à peine 2 recto-verso. Impossible alors, une nouvelle fois, de discuter « contenus ». Dans l’année qui suit, on se retrouve sur le registre de la bataille des courants, évidemment, mais très rapidement nous mettons au cœur du débat : que faut-il apprendre, concrètement ? Résultat, les programmes revotés en 2000 intègrent, pour la première fois dans l’histoire, les « compétences attendues » par APSA dans le texte « officiel » qui ne sont ni plus ni moins que les « compétences spécifiques » non décrites dans les programmes collège de 96.
Les documents d’accompagnement du programme paraissent en 2001. Mais ils n’ont pas du tout la même fonction que ceux de 97. Ils visent essentiellement à « expliquer », développer ce qui est écrit dans les programmes. Ils donnent des pistes pédagogiques. Ils ont surtout cette fonction de justification des choix et de compréhension des APSA pour des enseignants novices. Il n’en reste pas moins que ces programmes marquent l’entrée officielle des compétences attendues, spécifiques aux APSA. Cet acquis n’a plus été remis en cause depuis. L’essentiel de la réflexion aurait dû donc porter par la suite sur la pertinence ou pas de ce qui est « attendu », un travail au cœur du savoir et des compétences.
Justement concernant les programmes de 2008, c’est ce qu’il s’est passé ?
Ce n’est pas ce qui s’est passé. En 2008, et par la suite, aucun bilan sur « ce qui est attendu », aucune discussion didactique, aucun regard sur les effets. On est reparti sur le mode ancien et bien connu : Lisibilité, visibilité… pour aboutir aux « compétences propres », une chose qui se veut tout à la fois définir l’EPS, classer les APSA, et contraindre leur programmation. Nous entrons dans l’ère culinaire de l’EPS, celle du « quatre quart ». L’idéal, et donc l’obsession, de l’Inspection, est de contraindre les enseignants à découper l’EPS en parts égales : CP1, CP2, CP3, CP4. On avait l’EPS en miettes dans les années 70, on a aujourd’hui l’EPS « quatre quart » en collège. C’est pour le coup très lisible et très visible, le discours de l’Inspection ne prête pas à confusion. Cette obsession repose sur de mauvaises analyses qui refusent, une fois encore, le principe d’un travail au cœur des savoirs. Les programmes restent fortement marqués par la logique des Instructions Officielles. Il n’y a pas de « documents d’accompagnement » comme précédemment, mais ce qu’on appelle des « fiches ressources ». Ce qui a perturbé ce travail est une nouvelle fois ce qu’on appelle « lisibilité », à travers la déclinaison du cadre imposé par le socle commun de 2006 : une distinction connaissances-capacités-attitudes. Ça donne alors une sorte de patchwork, ou pour rester dans la métaphore culinaire, une liste d’ingrédients que l’on a essayé de ranger tant bien que mal dans des cases et qu’on appelle pompeusement « référentiel ».
Quel bilan tirez vous de tout ca dans la perspective de l’écriture de nouveau programme?
Il reste à faire. Car je n’ai pris là qu’un seul mode d’entrée dans l’histoire des programmes. Mais on voit, en prenant cet angle-là, qu’on aborde des questions qui peuvent être invisibles mais très actives. Il faudrait bien sûr développer, documents à l’appui, pour étayer cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, pour comprendre les programmes dans la période récente, il faut continuer à débattre à propos de la fonction des programmes. Or, de ce point de vue, les tout derniers (lycées 2010) sont assez clairs. Les programmes, complétés par les textes sur la certification (BAC, DNB), sont des outils au service du corps d’encadrement pour contraindre l’organisation de l’EPS, et non des outils au service des élèves et des enseignants pour enseigner et apprendre. Qui va expliquer aux élèves que le judo et le volley, c’est la même compétence ?
Un mouvement est à nouveau enclenché pour « refonder » les programmes. C’est en cours, avec le socle commun, puis avec les programmes collège. Mais par rapport à tout ce que je viens de développer, on risque à nouveau de passer à côté du débat. La charte des programmes parle, comme les médias dans la quasi totalité des articles sur le sujet, de « lisibilité », de lourdeur… Rien n’exclut qu’alors, même avec l’envie de retenir les leçons du passé, on rentre dans le sujet en recherchant du clair, simple, léger, lisible… sans s’interroger sur le pour quoi faire ? Un argument trivial, quoique rempli d’intentions louables, est toujours avancé : pouvoir dire « simplement » au chef d’établissement, au recteur, en quoi l’EPS est importante. Est-ce là la fonction d’un programme ? Selon nous clairement non. Saurons-nous livrer aux enseignants qui œuvrent quotidiennement, des choses plus intéressantes ? Le SNEP a des propositions et organise d’ailleurs un colloque au mois de novembre sur ce sujet.
Propos recueillis par Antoine Maurice
Nous retrouverons prochainement C. Couturier pour évoquer les propositions du Snep.
Note :
1 « Au fil des propositions, les conflits entre les partisans d’une EPS formaliste et ceux favorables à une logique culturaliste se multiplient pour révéler progressivement des enjeux de pouvoir ». Attali et Saint-Martin, L’EP de 1945 à nos jours. Armand Colin, 2004. Page 273.