Il est vendredi soir, les parents arrivent, on partage un repas. Puis ils quittent l’école et les enfants restent dormir avec leur maîtresse, papas et mamans reviendront le lendemain matin ! En effet, il s’agit d’une classe transplantée avec nuitée unique mais sans quitter la classe. Mathilde Gilloire invite ses élèves de CP à un voyage immobile dans l’espace mais qui emporte loin l’imagination et les émotions des élèves. Ces CP s’approprient ainsi la grande école en détournant l’usage habituel de ses murs l’espace d’une nuit. Un projet qui a fait rêver aussi le Forum des enseignants innovants.
Quelle a été la genèse de votre projet ?
L’idée principale est : « pour bouger pas besoin de se déplacer. » En 2007-2008, j’ai effectué un échange de poste en Allemagne où les enseignants suivent leurs élèves du CP au CM2 et tissent des liens forts avec eux. En fin d’école élémentaire, les enseignants organisent une nuit de la lecture. Les enfants lisent et restent dormir à l’école. C’est un moment magique. D’autre part, ce projet répond à une envie personnelle qui remonte à mon enfance. J’étais dans une école de campagne et j’ai toujours rêvé d’y rester la nuit, d’entendre le bois craquer.
Habilitée en allemand, j’ai organisé à mon retour une « nuit allemande » avec mon groupe d’élèves germanistes de CM1 et de CM2 qui restaient du coup dormir à l’école. Cette nuit avait une forte dimension interculturelle, par exemple on mangeait un repas allemand et on fabriquait une lanterne de Saint-Martin. Ensuite, n’enseignant plus l’allemand, j’ai voulu poursuivre cette action. Depuis 3 ans j’ai des CP. L’action a lieu en début d’année, pour se connaître et rencontrer l’école autrement. C’est un moment convivial et non une réunion parent-élève.
En plus j’ai la chance d’être soutenue par mon inspectrice et surtout par mes collèges. Ainsi une collègue qui a quelques élèves de CP dans sa classe et la collègue qui effectue ma décharge de direction participent à la préparation et restent même dormir. Enfin, c’est un projet simple, reproductible et qui fait bouger les lignes en même temps. Les inégalités sociales ne constituent pas un frein : tout le monde peut le faire.
Ce projet ouvre l’école aux familles dans un rapport inédit. Comment les parents s’en emparent-ils ?
La première fois, je l’ai annoncé aux enfants en premier. Le lendemain des parents sont venus me dire « mon fils m’a raconté n’importe quoi » ou bien « je voudrais savoir si c’est vrai ! » La surprise passée, toutes les familles s’investissent et participent. De nombreux élèves de la classe appartiennent à la communauté des gens du voyage et des barrières culturelles existent bien-sûr. Si ces enfants ne restent pas dormir, ils viennent avec leurs familles partager le moment des préparations et du repas et cela crée un authentique mélange socio-culturel. De ce fait, les parents tissent des liens très personnels avec l’école, cela leur laisse aussi des souvenirs. Ensuite, les rencontres et les réunions avec les parents se font dans un climat de grande confiance.
Quelle est l’étape clé de ce projet ?
Avant la nuit à l’école ! On l’attend cette nuit et « le meilleur c’est l’attente ». Il y a un certain climat d’excitation. Les enfants comptent les jours à rebours. Les élèves posent de nombreuses questions. Par exemple, la maîtresse va se mettre en pyjama ? En arrivant « dans la grande école » ils se rendent compte que la maîtresse a une vie et ça nous rend encore plus humain pour eux.
Comment se projet favorise-t-il le vivre ensemble ? Qu’apporte-t-il aux élèves ?
Certains élèves se connaissent depuis la maternelle mais pas tous, ce projet soude les élèves entre eux. Surtout, on voit les élèves comme on ne les voit jamais. Nous créons ainsi une intimité forte, un rapport différent. Attention, il s’agit d’un petit moment éphémère qui n’est pas dans le registre de la fusion. Cela montre qu’on peut avoir une réelle affection sans mélanger les genres.
Les rapports entre les enfants se modifient. Même s’ils se connaissent déjà, les lignes bougent : celui qui pleure n’est pas celui auquel on s’attendait et les plus réservés habituellement viennent soutenir. Les enfants ont beaucoup de compassion et d’empathie pour les autres. Les rôles s’inversent et cela développe l’esprit de solidarité dans la classe, renforce le collectif en plaçant les qualités individuelles au service d’un groupe. Le vendredi soir, lorsque les couchettes arrivent, mes anciens élèves devenus « les grands » éprouvent une petite nostalgie, et disent « on le referait bien ».
Mais l’intérêt de cette nuit à l’école ne se limite pas uniquement au vivre ensemble. En octobre, donc très tôt dans l’année scolaire pour mes apprentis-lecteurs, les élèves rédigent les invitations, dressent les listes du matériel nécessaire, veulent lire le mot donné aux parents dans le cahier de correspondance, etc. Ils sont très investis dans des activités de lecture et d’écriture inscrites dans un projet concret qui les touche. Du fait de leur forte motivation, les enfants repoussent leurs limites. Par exemple, lorsqu’il s’agit de rédiger l’invitation à l’inspectrice, je la présente comme « la chef des maîtresses » ! Alors là, ça devient important, Les enfants s’appliquent particulièrement !
Quelles sont vos attentes pour votre projet ?
Qu’une fois grands, les élèves puissent dire « j’ai dormi à l’école quand j’étais petit. » et leur laisser ainsi un souvenir unique.
Un moment marquant ?
Les élèves et moi essayons de constituer un menu équilibré mais c’est un casse-tête parce qu’on ne peut pas faire cuire les aliments. Un jour une élève m’a suggéré du foie gras et des huitres. J’ai partagé cette anecdote avec les parents qui l’ont prise au sérieux. Des parents qui tiennent une poissonnerie ont emmené des bourriches d’huitre et des langoustines. Et là à l’école, au dîner, les gens du voyage et les autres familles ont partagé les huitres et les langoustines ensemble. L’alimentation fédère beaucoup, on mélange et on fait des rencontres.
Propos recueillis par Ange Ansour
Sur le site du Café
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