Par François Jarraud
« Monomaniaques ». C’est Jean-Yves Rochex lui-même qui qualifie ainsi son équipe (et lui-même !) dans leur approche du système éducatif. Le chercheur n’est pas là pour faire plaisir mais pour observer, au regard de son expérience et de son savoir, ce qui se passe en classe sous l’angle qu’il étudie. Et pour JY Rochex, c’est celui de la construction des inégalités scolaires. Un sujet qui intéresse forcément les membres de l’OZP. Mais qui fait passer les pratiques des enseignants sous le microscope voir le scalpel du savant. Et ça, c’est pas plaisant…
Ce qui distingue l’Observatoire des zones prioritaires des autres cercles de réflexion du monde éducatif c’est ce rapport distancé et étroit entre le terrain et son analyse. Les membres de l’OZP sont face aux difficultés scolaires et c’est par la réflexion collective qu’ils essaient de les surmonter. D’où des prises de position pas faciles, par exemple quand ils ont approuvé le profilage de certains postes de zep. Jean-Yves Rochex est à sa place dans cette assemblée.
Pendant une heure il va pouvoir expliquer les thèses développées dans son livre » La construction des inégalités scolaires ». Basé sur l’observation de pratiques de classe en grande section de maternelle et en CP, il montre que l’influence des vulgates « modernistes » ne vont pas toujours, loin de là, dans le sens souhaité ou affiché et que l’innovation peut aller contre la démocratisation de l’éducation. A partir d’exemple il développe sa thèse : la mise en activité des élèves peut se faire au détriment de la conceptualisation et des savoirs. Il donne des exemples de processus passifs quand, par exemple, on fait retrouver les mots d’une phrase en maternelle certains enfants ne voient pas la finalité (c’est une activité d’apprentissage de la lecture). Il y a aussi des processus actifs : l’enseignant veut adapter son enseignement à des élèves hétérogènes alors il confie des tâches différentes aux enfants. Aux bons élèves des tâches riches en contenus cognitifs, aux faibles des exercices qui en sont presque dépourvus. Par exemple dans un exercice sur l’imparfait en CP, les plus faibles doivent reconnaitre un verbe à l’imparfait dans un paragraphe… où il n’y a qu’un verbe. L’enseignant peut aussi utiliser des vocabulaires différents : angle pour les uns, coin pour les autres par exemple. Ainsi se développent les inégalités scolaires.
Une vision sociale. Pour lui cette nouvelle « vulgate » pédagogique se fait sous l’influence des bons élèves issus des classes moyennes. Elle participe d’une « moyennisation » de la société qui se fait au détriment des couches populaires.
Après cette charge il revient à la trentaine de membres de l’OZP présents, jeunes étudiants et jeunes enseignants, cadres de l’éducation nationale, de réagir. Sur la question de la formation des enseignants et de la diffusion des recherches, JY Rochex estime qu’il faut une formation sur les objets qui sont enseignés.
Et le socle ? Pour JY Rochex, il est « consternant » et le livret personnel de compétences est « un outil consternant de bêtise ». « On instrumentalise les compétences », estime-t-il. « C’est l’outil qui définit les compétences ! Plus les enseignants veulent bien faire, plus ils sont gênés dans l’évaluation des compétences ». Il y voit aussi un risque politique de dualité des objectifs : le socle pour les plus faibles, le brevet pour les autres. Au total, « un chantier bien mal engagé faute de travail conceptuel ».
Quel accueil pour ce livre ? Difficile pour JY Rochex de faire un bilan. Il renvoie dos à dos les traditionnalistes et les modernistes;, les partisans de la transmission et du constructivisme. Une position qui lui vaut bien des critiques. Mais pour lui, « le débat sur l’école ne peut pas faire l’économie du détail », comprenez les observations. Sinon il sombre « dans la désinvolture ». Les politiques utilisent les experts pour soutenir leur politique. Alors pour diffuser les travaux des chercheurs, il faut des pédagogues qui acceptent les empêcheurs de penser en rond.
François Jarraud
Le livre : Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon (dir), La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et dispositifs d’enseignement, Presses universitaires de Rennes, coll. Paideia, 2011.
Lien :
La construction des inégalités scolaires : Dans la classe aussi ?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/01/231220[…]
Sur le site du Café
|