Avec la fermeture des lieux potentiels de stage, la formation dans les filières de restauration est bien chahutée par la pandémie et les mesures sanitaires. Pourtant les enseignants font preuve de grandes capacités d’adaptation, comme en témoigne Benjamin Milloux, professeur de sciences et technologies des services au lycée hôtelier de Dugny (93).
Quelles sont les exigences actuelles pour votre enseignement?
Au lycée hôtelier, les élèves de série STHR (Sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration) viennent acquérir non seulement toute la culture et la méthodologie nécessaire à l’obtention du baccalauréat mais aussi les fondamentaux des métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Cette filière offre un enseignement riche orienté vers la découverte puis l’analyse de questionnements relatifs aux situations professionnelles en cuisine, en restaurant et en hébergement. Cette polyvalence doit conduire l’apprenant à acquérir des bases solides pour engager et réussir un BTS Management en Hôtellerie-Restauration. Au-delà des ateliers technologiques que nous réalisons à raison de quatre heures hebdomadaires, nous transmettons des valeurs de savoir-être fortes comme le port d’un uniforme professionnel (les jeunes sont en costume-cravate, en présentiel comme à distance), la discrétion du maquillage et des bijoux, l’utilisation d’un vocable distingué, etc. Il est vrai que pour certains cela fait comme un électrochoc au début. Mais force est de constater que l’adolescent prend assez rapidement possession de cet univers et y évolue comme dans un rôle qui lui serait donné.
Car au final, les épreuves de spécialités auxquelles je les prépare, sont exigeantes et conditionnées dans un environnement professionnel marqué comme une réception ou une chambre d’hôtel, un bar ou une salle de restaurant. Le candidat doit être en capacité de réaliser, d’expliciter et de commenter des situations professionnelles variées comme l’accueil différencié d’une clientèle handicapée, la valorisation d’un mocktail (un cocktail sans alcool) à destination des enfants ou encore l’analyse sensorielle d’un vin.
Le format des épreuves génère stress et fatigue. Le candidat donne tous les aspects scientifiques et technologiques en liaison avec la situation et maintien une posture professionnelle face à un jury attentif et bienveillant.
Mais vos élèves, malgré la situation sanitaire, sont heureux au lycée, pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
Ils sont heureux dès lors qu’ils peuvent sortir de chez eux et avoir une activité ludo-éducative surtout en cette période ponctuée de mesures plus ou moins contraignantes et parfois oppressantes. En effet, malgré les exigences, les séances d’ateliers sont souvent perçues comme une soupape de décompression dans leur semaine plutôt chargée. L’acquisition du savoir et des techniques se fait lors de mises en situations professionnelles telles que des scénarios de prise de réservation au téléphone, de remise en état des chambres de l’hôtel d’application ou encore de la mise en œuvre d’un service au restaurant pédagogique. L’apprenant est au cœur de la formation et se construit en expérimentant des situations diverses et variées parfois en autonomie et régulièrement en groupe de réflexion. Les intervenants, les mises en situations contextualisées, les événements organisés en interne et parfois à l’extérieur de l’établissement induisent indéniablement une rythmique et une énergie positive.
Cette année, j’ai mis en place un nouveau programme d’accompagnement à la réussite de l’examen avec notamment des séances de sophrologie pour les amener à se projeter et à lâcher prise. Au démarrage, certains étaient plutôt fermés et perplexes car la demande ne venait pas d’eux. Désormais, à l’issue du bac blanc qui s’est déroulé la semaine dernière, je remarque que les exercices de respiration et de concentration font effet et leur permettent de gérer davantage leur stress.
La question des stages est incontournable dans ces formations, comment vous y prenez-vous?
L’annonce de la fermeture des restaurants jusqu’à nouvel ordre a été un coup de massue pour tous les acteurs du secteur. Les élèves l’ont aussi mal vécu car leur avenir professionnel s’est terni très rapidement. En effet, alors qu’ils commençaient à s’épanouir dans un secteur dynamique dans lequel tout un chacun se plaisait à dire qu’il y aurait toujours du travail, la situation sanitaire a brisé de nombreux rêves. Heureusement, nous avons réussi à maintenir nos travaux pratiques en interne permettant ainsi de conceptualiser des restaurants éphémères et leur offrant la possibilité de conserver une activité professionnelle.
Alors que nous avions dû les annuler l’année dernière à cause du confinement, les stages cette année revêtent un caractère spécial. Toute la profession se réinvente au quotidien, se remet en question et fait des efforts considérables pour perdurer. Cette profession qui aujourd’hui s’adapte en proposant plus que jamais une offre en room-service pour les hôtels et en vente à emporter pour les restaurants. Grâce à cette dynamique, nous avons réussi à placer nos élèves dans des établissements où l’adaptation aux mesures sanitaires leur offre la possibilité de consolider leurs savoirs-faires.
Peut-on dire que la réforme du bac et ses « ajustements » actuels soient favorables aux apprentissages? Comment vos élèves vivent-ils cette année ?
Cela fait presque un an que nous vivons une situation sans précédent qui ne nous a pas vraiment laissé la possibilité de mettre en œuvre les examens tels qu’ils devraient être. Une nouvelle épreuve est apparue : le grand oral. Cependant, la réforme du bac s’est appliquée et nous élaborons de nouvelles perspectives dans nos enseignements. Nous sommes encore en phase d’expérimentation. Cette épreuve consiste à présenter oralement, face à un jury, un questionnement relatif aux enseignements de spécialités.
Nous ne pouvons pas dire que les ajustements induits par la situation sanitaire soient favorables à l’acquisition des notions nécessaires. Cependant, comme tous, nous nous adaptons et cherchons divers moyens d’atteindre nos objectifs tout en gardant à l’esprit que l’intérêt de la démarche est de permettre à l’apprenant de se construire personnellement. Pour cela, j’ai fait appel à une coach pour m’aider à amplifier les capacités de chaque candidat tout en nous adaptant aux différentes mesures appliquées. Et c’est bien finalement cette notion d’adaptabilité qui est retenue par tous. Ils ont bien compris que demain ne sera pas comme hier et qu’il est important de trouver son équilibre. Nous prenons le temps de discuter de ce que nous vivons au quotidien pour s’en défaire et avance. Ces élèves, malgré tout, font preuve de résilience et cela est admirable.
Propos recueillis par Line Numa-Bocage
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université.