« Gréviculteurs » patentés, l’image colle à la peau des enseignants. Sont-ils vraiment les champions de la grève ? Après l’échec de la grande grève de 2003, celle-ci a-t-elle un avenir ? Ces questions c’est la FSU qui (se) les pose dans un petit livre qui alterne regards de sociologues et témoignages de militants. Au lendemain d’une grève dont on mesure encore mal les conséquences politiques, l’ouvrage sort à point pour sonder les coeurs des militants FSU et lire ce que les sociologues proches du syndicat pensent de l’avenir de la grève.
Les enseignants sont-ils maîtres es grèves ? La réputation d’être le corps de métier le plus souvent en grève est-elle justifiée ? Pas d’ambiguité. La réponse est positive. En 2006, le pays a connu 1 421 000 journées de grèves dans le privé. L’éducation nationale a gentiment fait don au pays de 688 133 journées à elle toute seule… Ainsi 3% de la population active française produit 28% des journées de grèves. C’est bien un record. En moyenne chaque salarié de l’éducation nationale fait 0,7 jour de grève par an contre 0,1 pour un travailleur du privé.
Pourtant longtemps la grève fut rejetée par les enseignants. Elle fut longtemps interdite. Surtout de nombreux enseignants refusaient de la faire, la considérant comme indigne de leur rang social. Ils ont donc construits tout au long du 20ème siècle un usage de la grève, se l’appropriant sous des formes originales. Au point qu’aujourd’hui elle fait partie des rites d’initiation pour entrer dans le métier. La grève est devenue un élément de l’identité enseignante.
Quelle efficacité pour la grève ? L’ouvrage revient sur les grands mouvements nationaux ou locaux qui ont marqué l’histoire de l’Ecole depuis 1947. C’est sans doute la partie la plus riche où les anciens militants témoignent de la construction de la grève et des conditions de son succès. Dans la mémoire collective enseignante, 2003 est incontestablement une date tournant. La grande grève pour le régime de retraite à été poussé jusqu’aux extrêmes du blocage du bac avec la consigne de ne pas le corriger. L’échec de ce mouvement particulièrement opiniatre interroge les syndicalistes comme il interpelle les enseignants à chaque mouvement. G. Aschiéri montre comment la Fsu n’a pas réussi à étendre le mouvement et à quel point le blocage du bac s’est révélé une arme à double tranchant.
Eclairer la situation actuelle ? Ces expériences et ces réflexions tombent à pic au lendemain de la grève du 12 février. La FSU, à travers ce livre, s’interroge sur l’efficacité de la grève. Des grèves fortes et réussies peuvent se transformer en défaite durable. Si la grève est un élément identitaire du corps enseignant elle est aussi une violence à la représentation de serviteur de l’Etat et des enfants que les enseignants ont d’eux-mêmes. Alors que la grève a disparu de l’action sociale dans nombre de métiers, elle est à nouveau remise en question chez les enseignants qui cherchent d’autres moyens d’action. Enfin la capacité de blocage de la société dont disposent les enseignants avec la grève en fait une arme à double tranchant.
François Jarraud
Laurent Frajerman (dir), La grève enseignante en quête d’efficacité, Syllepse 2013.