Annualiser les services, regrouper les écoles primaires avec les collèges dans des « écoles du socle » avec un chef d’établissement évaluant seul les enseignants et ayant une large autonomie, uniquement tempérée par des évaluation et un pilotage par les résultats : voilà résumées les nouvelles propositions de la Cour des Comptes. Douze jours après un rapport sur le remplacement des enseignants qui n’est pas passé inaperçu, la Cour relance le débat sur l’Ecole. Elle le fait en pleine campagne électorale. Chargée de vérifier les comptes et de conseiller le pouvoir, la Cour des Comptes entend maintenant peser sur les élections et faire le pouvoir. Le désordre au sommet de l’Etat ?
« En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne de l’OCDE, la performance du système scolaire français tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés… Pourtant, les pistes d’une meilleure adaptation de l’école aux besoins des élèves existent ». Quelques jours après un rapport sur le remplacement des professeurs, la Cour des Comptes publie une nouvelle note qui demande une réorganisation complète de l’Ecole et du métier enseignant. Alors que la campagne des présidentielles démarre, la Cour agit pour faire passer ses idées dans le débat politique. Nul doute qu’à droite, et peut-être au gouvernement, certains s’emparent du sujet…
Des résultats pas en rapport avec le coût de l’Ecole
En charge du contrôle des deniers de l’Etat, la Cour aborde la question éducative sous l’angle comptable. Mais c’est pour mieux défendre une conception de l’Ecole, celle qu’elle défend depuis des années. Pour la Cour, « en dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne de l’OCDE, la performance du système scolaire français, qu’il s’agisse de sa réactivité aux besoins des élèves ou du niveau de leurs connaissances, tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés ». La note s’appuie sur le point le plus faible du système éducatif français : les mauvais résultats à Timms en maths pour affirmer que la part des élèves faibles est passée de 15 à 25%. A noter que les résultats en maths et en sciences des jeunes français dans Pisa sont dans la moyenne européenne.
Diminuer le nombre d’enseignants
Autre faiblesse du système éducatif aux yeux de la Cour, « une adaptation trop lente de la structure de la dépense à l’évolution de la démographie des élèves… L’Education nationale n’utilise pas suffisamment des outils comme les heures supplémentaires pour anticiper les effets d’une démographie scolaire en déclin ». l’idée de la Cour, que l’on tend aussi à droite au Sénat, c’est que le ministère devrait réduire plus énergiquement le nombre de postes dans le second degré car le nombre d’élèves va diminuer dans quelques années. Et remplacer ces professeurs par des heures supplémentaires. Evidemment dans les établissements, face aux classes à 36, on voit les choses autrement. Le ministère n’arrive déjà pas à caser les heures supplémentaires qu’il ouvre alors que la baisse du nombre d’élèves dans le second degré ne sera sensible que dans quelques années. Pour le moment c’ets le trop plein en lycée. La Cour estime que le ministère devrait remplacer les HSA (heures annuelles) par des HSE (heures effectives) pour plus de « souplesse d’utilisation ». Ce serait en effet une belle économie…
Les 4 leviers de la Cour
Troisième constat de la Cour : les réformes pédagogiques « ne suffisent pas à améliorer la performance » de l’Ecole. Il faut s’attaquer à l’organisation de l’Ecole. « Les réformes pédagogiques ont besoin d’une refonte des modes d’organisation du système scolaire, touchant notamment l’autonomie des établissements et les prérogatives des chefs d’établissement… L’école, le collège et le lycée ne disposent pas d’une autonomie suffisante ». Il faut donc déconcentrer l’Ecole et accorder davantage d’autonomie aux établissements et à leurs chefs. Et pour cela il faut que les écoles primaires intègrent un établissement : la Cour ressuscite l’idée de « l’école du socle » associant école élémentaire et collège.
Nous voilà dans les 4 « leviers » de transformation de l’Ecole que la Cour propose d’utiliser. Le premier c’est « l’établissement public local des savoirs fondamentaux », autrement dit l’école du socle. Un concept hérité de la loi Fillon de 2005 et que l’amendement Rilhac à la loi Blanquer a repris (en vain). Le deuxième levier c’est « l’autonomie des établissements » en lien avec l’autorité du chef d’établissement. La Cour déplore que dans le second degré « sa légitimité et son autorité (soient) partagées avec celles des inspecteurs » et propose qu’ils puissent noter seuls les enseignants. « L’amélioration de la qualité de l’enseignement passe bien par le renforcement de la fonction d’encadrement pédagogique au sein des établissements », affirme la Cour. Sur ce point elle est en accord avec le ministre, comme le montre la loi Rilhac.
Annualiser et revoir les obligations de service
Ces chefs d’établissement devraient avoir des « marges de gestion » accrues. Et pour cela il faut revoir le métier d’enseignant. « Une définition globale annuelle des services des enseignants permettrait ainsi de prendre en compte, non seulement les heures d’enseignement, mais aussi les missions annexes, qui peuvent nécessiter des temps de disponibilité des enseignants dans les établissements ». On retrouve l’idée de l’annualisation des services émise dans le rapport sur le remplacement des enseignants. Dans les nouvelles obligations de service il y aurait les remplacements mais aussi la formation continue et « l’implication » des enseignants vis à vis du projet d’établissement. Idée qu’E. Macron vient d’annoncer à Marseille pour le premier degré.
Dernier étage de cette réorganisation : des évaluations nationales « à d’autres niveaux et disciplines » que les évaluations existantes. Ces évaluations généralisées alimenteront « le dialogue de gestion » des établissements », c’est à dire que les moyens donnés seront en fonction des résultats : c’est le pilotage par les résultats.
Avec cette nouvelle Note, la Cour est amenée à se répéter. L’annualisation des services, l’autorité des chefs d’établissement sur les enseignants, l’autonomie des établissements, l’école du socle ont déjà été avancés dans des rapports précédents de la Cour dès 2013 et 2015. On trouvera tous ces rapports cités dans cet article.
Le retour du New Public Management
Le modèle promu par la Cour des Comptes, sous l’inspiration de l’OCDE, est bien connu. C’est celui du New Public Management (NPM) : des établissements autonomes avec des managers à leur tête, le tout contrôlé par des évaluations nationales à tous les niveaux et pour tous les « fondamentaux », capables d’évaluer la gestion des établissements et donc permettant de « récompenser » ou de « punir » en fonction des résultats. Là où il a été appliqué en premier, aux Etats-Unis, on n’a pas démonté les outils informatiques d’évaluation. Mais on en est revenu en ce qui concerne le pilotage par les résultats. La plupart des états américains sont revenus sur les conséquences de ces évaluations sur les établissements et les enseignants. Car les évaluations nationales permettent également de mesurer « l’efficacité » de chaque enseignant.
En Europe les pays qui ont appliqué le modèle s’en sont mordu les doigts. L’exemple le plus abouti est la Suède où l’autonomie des établissements et les pouvoirs des chefs d’établissement sont allés tellement loin que l’OCDE elle-même a conseillé à la Suède un pas en arrière. Les établissements ne trouvaient plus ni professeurs ni chefs d’établissement. Et les résultats scolaires sombraient. Florence Lefresne et Robert Rakocevic ont montré les impasses du NPM dans 3 pays européens. Dans un entretien donné au Café pédagogique, Christian Maroy a montré ce que veut dire le « nouveau métier enseignant ». Dans un ouvrage récent il montre les effets de son application.
Un débat dépassé
Le débat sur la gouvernance de l’Ecole ne se nourrit plus des préconisations du NPM. Comme le montre le dernier colloque du Cnesco, ce qui fait débat aujourd’hui c’est la façon d’accompagner le changement dans le système éducatif. Le pilotage par les résultats et les appareils statistiques, avec l’appui d’un renforcement hiérarchique, a clairement montré ses limites. On ne peut pas éviter les accommodements dans la mise en place des réformes. Quand on veut le faire avec des systèmes d’encadrement statistiques, on arrive à des fraudes et au teaching for the test. La vraie question est l’accompagnement. C’est une dimension où la Cour semble moins à l’aise que dans l’évaluation de l’efficacité comptable.
La privatisation de l’Ecole publique
Mais pas besoin d’en appeler aux modèles étrangers. Des chefs d’établissement ayant toute autorité, y compris sur le temps scolaire, et recrutant directement leurs enseignants, cela existe en France : c’est le privé sous contrat. Les évaluations nationales et internationales montrent que sa plus value est faible. Ses bons résultats reflètent un recrutement privilégié. C’est pourtant ce modèle de l’école privée, ou de la privatisation de l’Ecole, qui est proposé par la Cour comme, dans ses livres, par le ministre.
L’Ecole coute-elle trop cher en France ?
Mais les bases mêmes de la Note de l’OCDE doivent être débattues. D’abord sur les résultats du système éducatif. On les aimerait meilleurs mais le graphique même publié dans la Note page 10 montre que l’école française, selon PISA, obtient des résultats moyens en lecture, maths et sciences. On est en dessous des objectifs que nous nous sommes fixés mais dans la moyenne européenne.
Surtout il est faux de dire que la France dépense plus que les autres pays pour l’éducation. Nous avons pu montrer dans cet article que des moyennes peuvent être trompeuses. La France dépense un peu plus que la moyenne OCDE pour chaque élève : 11 201 $ contre 10 454 $ pour l’OCDE en 2018. Mais un seul grand pays développé dépense moins : le Japon (10 185$). Tous les autres grands pays développés dépensent plus. Ainsi l’Allemagne consacre 12 791$ par élève, le Royaume Uni 12 245, l’Italie 11 202 (un dollar de plus !), les Etats Unis 14 009$. Les pays qui dépensent nettement moins que la moyenne sont le Mexique, la Turquie ou encore en Europe la Hongrie et la Pologne. Et on fera grâce du coût des enseignants pour qui la Cour souhaite alourdir le travail et rogner sur leurs heures supplémentaires alors que leurs salaires sont très inférieurs à ceux des états européens équivalents.
Il est faux aussi de donner à entendre que la dépense d’éducation augmenterait trop vite en France. Selon Regards sur l’éducation (OCDE), la France fait partie des pays où la dépense d’éducation a le moins augmenté tout au long des années 2010. De 2012 à 2018, sa dépense par élève du primaire à la fin du second degré a augmenté de 0.5% par an. C’est trois fois moins que la moyenne de l’OCDE (1.6%) ou que la moyenne européenne (1.4%). En Allemagne, la dépense d’éducation augmente deux fois plus vite (0.9%), au Royaume Uni et aux Etats-Unis trois fois (1.3%), en Italie 4 fois plus vite.
Un certain désordre au sommet de l’Etat
Que retenir finalement de cette Note ? Elle ne contrarie pas le gouvernement. Au contraire elle reprend les projets de JM Blanquer qu’elle souhaite voir aboutir. Surtout il faut retenir du récent rapport et de cette Note leur date. Jusque là la Cour des Comptes publiait ses rapports après les élections pour influer sur le gouvernement élu. Maintenant, la Cour des Comptes publie ses rapports avant les élections. Elle ne vise plus à conseiller le pouvoir démocratiquement élu. Elle intervient dans la campagne électorale et vise à faire élire ses idées. Un certain désordre semble régner au sommet de l’Etat.
François Jarraud