Une école où les murs sont recouverts d’œuvres d’art, cela existe. Et dans le public qui plus est. « Une école-musée » comme aime à la nommer Jérémy Rousset, le directeur. L’école Chappe de Saint-Étienne a reçu plus de quarante-cinq artistes, plus de 100 œuvres sont présentes dans chaque recoin du bâtiment. Un projet initié voilà sept ans par Jérémy directeur de l’école maternelle.
Enseignant depuis 2007, après un petit détour par une école française de Sydney en Australie « dans un contexte très anglophone, pas très éloigné des enjeux d’acquisition du français que je connaissais en REP+ », c’est en éducation prioritaire que Jérémy atterrit, sur un poste de direction d’école. « J’ai été directeur de maternelle dans le quartier de Montreynaud en REP+ de 2009 à 2011 et cette expérience m’a passionné. A mon retour, je souhaitais poursuivre et approfondir l’expérience entamée en 2009. J’ai, ainsi, intégré l’école Chappe en 2013 ». L’école maternelle des Frères Chappe – inventeurs du télégraphe – compte sept classes pour 165 élèves. En plus de la direction Jérémy est chargé d’une classe de TPS/PS. L’enseignement, Jérémy n’y est pas venu par hasard. Le choix d’un métier qui fasse sens, s’articulant dans un collectif. « Enseigner en éducation prioritaire revêt par ailleurs une dimension particulière à mes yeux : je crois qu’il me serait difficile d’aller enseigner ailleurs. Notamment pour la qualité des relations école-famille qui sont bien loin des clichés qui sont régulièrement véhiculés ».
Une école-musée
Alors, dès 2013, Jérémy et ses collègues « profitent » des compétences de deux parents d’élèves de leur école, Ella et Pitr, célèbre couple de Street art stéphanois. Un travail de sensibilisation à l’art est initié et c’est le déclic. La culture pour tous, une valeur que porte l’enseignant stéphanois, y familiariser ses élèves, un véritable enjeu pour lui. Alors, si ses élèves ne vont pas à la culture, ne vont pas à des expos, ne vont pas au musée, ne vont pas à des concerts, alors ce sera la culture qui viendra à eux. L’équipe pédagogique s’engage tête baissée dans l’exploitation pédagogique de ces rencontres artistiques. Jérémy n’a pas eu à beaucoup argumenter pour les convaincre. En janvier 2016, ce sont ainsi quatre artistes qui se succèdent dans l’école : Bocse, Oak Oak, Bulbe et Big Ben pour les connaisseurs.
De là naît le concept d’école-musée. « L’idée de l’école-musée tient son origine de plusieurs constats. Il est extrêmement difficile pour un élève de maternelle – le projet a commencé en cycle 1 – de comprendre que derrière une reproduction d’œuvre, il y a un pinceau, un artiste, une technique et un propos artistique. La rencontre fait tomber les malentendus, on peut observer l’artiste préparer sa fresque, pointer un repentir et surtout échanger avec lui pour connaitre sa mécanique interne. Une œuvre qui parle de colère ou d’amour, qui pose de grandes ou de petites questions percute inévitablement l’histoire de l’enfant qui les reçoit. C’est la beauté de l’art. Nos élèves sont parfois en colère, surement amoureux et les sujets qu’importent les artistes sont à chaque fois âprement débattus ! Autre constat, c’est la conviction que la question du sens des apprentissages est essentielle, a fortiori en éducation prioritaire. Des projets de ce type mobilisent, à mon sens, des compétences de haut niveau. Apprendre à cerner les différents niveaux de lecture d’une œuvre, parvenir à se les approprier pour produire un travail artistique. S’engager dans un débat interprétatif et faire évoluer une opinion en s’enrichissant d’autres points de vue, les applications pédagogiques sont nombreuses et l’implication des élèves ne trompent pas, ils prennent tout cela très au sérieux. Enfin, nous avions la volonté de développer une culture commune. Nous accueillons des élèves sont les cultures, les points de vue sur le monde sont très différents et c’est une grande richesse. Mais nous avions aussi besoin d’un creuset commun. La classe permet cela, ce projet permet de développer cette culture commune à l’échelle de l’école ». Très vite, Jérémy et son équipe embarquent l’école élémentaire dans le projet. En tout, ce sont vingt-quatre classes de la toute petite section au CM2, soit 415 élèves, qui sont concernées.
Cette ambition que porte Jérémy pour ses élèves tient aussi de sa fréquentation, dès le début de sa carrière, du groupe départemental de ICEM-Pédagogie Freinet. « J’y ai rencontré des collègues qui m’ont littéralement scotché par l’ambition qu’ils portaient à leurs élèves, leur regard sur l’école et par la cohérence de leurs propositions pédagogiques. D’une certaine façon, je pense avoir compris à ce moment que la liberté pédagogique n’était pas une parole en l’air et que nous pouvions faire jouer à plein notre rôle de passeur culturel dans le cadre des programmes scolaires ».
Des artistes dans l’école
La recette pour inviter de grands artistes à venir dans une école publique, sans budget spécifique, tient à un mot : l’audace. Et, Jérémy n’en manque pas lorsqu’il s’agit d’aider, d’accompagner ses élèves. « Nous avons été un peu audacieux, certes, mais surtout assez francs et précis. Nous avons d’emblée expliqué aux premiers artistes nos moyens financiers limités et les objectifs que nous poursuivions. Par la suite, tout a été plus simple, les multiples photos et vidéos de nos collaborations parlent toutes seules. Je crois que les artistes ont compris qu’enfants et enseignants prenaient ce projet très au sérieux et qu’il ne s’agissait pas d’égayer l’école à moindre frais. Alors, tout s’est très vite accéléré… ». Liu Bolin, artiste emblématique de l’art contemporain, a marqué les esprits des écoles Chappe. Cet artiste chinois n’hésite pas à utiliser son art pour passer un message politique, ses peintures mettent en scène une sorte d’individu caméléon qui se fond dans le décor, qui s’efface. Un concept que même les élèves les plus petits ont compris. « La puissance de son message artistique a été parfaitement compris, même par les élèves de maternelle. Jarol, un élève de petite section, avait résumé l’œuvre de l’artiste par ces quelques mots : plutôt que répondre par la violence, il a utilisé sa tête… On ne saurait mieux dire ! ». Les peintures de Rero et Kouka ont, elles aussi, « déclenché des débats intenses, dans des proportions que nous n’aurions pas imaginées ». Récemment, la collaboration avec Antoine Repessé, photographe dont l’œuvre a pour objet de dénoncer la consommation, a eu des résultats retentissants. « Pendant un an, élèves et enseignants ont conservé tous leurs déchets plastiques. Nous avons littéralement rempli une classe avec ces déchets. Une classe de CE1 a posé dans ce décor, le résultat est bouleversant ».
L’école-musée Chappe s’appuie sur de nombreux artistes issus de l’art urbain, mais pas seulement. « Nous choisissons les artistes avec beaucoup de soin ! Soit parce que leur technique, leur esthétique sera percutante dans le regard d’un enfant, soit parce que le propos artistique qu’ils développent est original. Le lien avec la culture classique est régulier. Comme en littérature, les liens entre les œuvres sont faciles à tisser et on peut plonger dans l’histoire de l’art pour faire résonner les œuvres que nous avons sous les yeux. Par exemple, récemment, Kashink a réalisé le portrait d’une femme dans la cour de récréation. Les échanges avec les élèves ont achoppé sur la représentation des femmes chez Ingres, à travers la grande Odalisque ».
Un projet accessible de la PS au CM2
Contrairement aux idées reçues, parler et éveiller à l’art est possible même pour des petits minots de deux ans à peine. Les élèves de Jérémy, de TPS et PS, participent aux différents projets avec les artistes. Il suffit juste d’adapter contenu et attentes à leur niveau. « Pour tous, la préparation en amont est essentielle, il faut créer de l’attente, affuter l’œil des élèves pour qu’ils sachent où regarder quand l’artiste arrivera. Parler de sa technique, des invariants de son travail. On observe ensuite l’artiste à plusieurs moments lorsqu’il créé, et les élèves peuvent l’interpeller pendant et après. Les échanges sont essentiels. Enfin, avant ou après cette intervention, les enfants créent. Sans singer l’artiste, mais en suivant une contrainte technique que l’artiste met en jeu. Bien entendu, pour les tous petits, nous sommes plutôt dans une forme de sensibilisation » explique Jérémy. Chaque année plusieurs projets sont lancés et les enseignants choisissent ceux dans lesquels ils se retrouvent. « Le tri se fait naturellement, ne restent que ceux qui font consensus. Si l’équipe ne souhaite pas le rééditer l’année d’après, c’est qu’il ne fait pas sens dans leur pratique quotidienne. Pour le projet École-musée, nous fonctionnons sur cette base. J’annonce aux 24 collègues les collaborations à venir. S’y joint qui veut. Cette liberté est essentielle, chaque classe a ses propres urgences, chaque enseignant ses propres sensibilités. Mais in fine, le parcours est identique, chaque élève de l’école se frotte au projet de la Petite Section au CM2 ».
Des élèves totalement investis
Les restitutions, à l’école Chappe, les élèves y sont habitués. A l’attention des parents, avec des élèves de maternelle qui « tirent leurs parents par la manche pour leur montrer les œuvres, dès qu’elles sont terminées. Ils sont souvent très fiers… Ensuite, des écoles nous rendent visite régulièrement pour découvrir notre école-musée ». Les élèves de cycle 2 et cycle 3 s’improvisent alors en guide, un costume d’expert qu’ils semblent avoir beaucoup de plaisir à endosser… « À ce jour près de 1000 élèves visiteurs ont franchi le portail de l’école ». Et cerise sur le gâteau, chaque année, 6 à 700 personnes parcourent l’école dans le cadre des journées du patrimoine. Les productions des élèves sont affichées et, là encore, ils sont mobilisés pour guider les adultes.
Le projet de l’école-musée a un réel impact sur les élèves, « il est difficile de le mesurer objectivement sans outil scientifique mais les médiateurs culturels du musée d’art moderne – que nous visitons régulièrement – semblent dire que les élèves affirment plus volontiers leur point de vue sur les œuvres. Les collégiens qui ont fréquenté l’école nous parlent souvent du projet avec nostalgie, on les sent attachés aux œuvres. Certaines ont d’ailleurs dû être effacés pour permettre des travaux : nous avons eu des retours hérissés de leur part ! ».
Côté institution, même si le Street art ne semble pas encore avoir une place dans la culture légitime, selon le concept de Bourdieu, le projet semble plutôt soutenu. « L’administration a souhaité obtenir un bref détail des objectifs poursuivis au tout début du projet. Depuis, je pense qu’ils nous laissent avancer en confiance. C’est précieux, car la masse de travail pédagogique et organisationnelle du projet est importante, s’il avait fallu ajouter des contingences administratives, nous n’aurions pas pu aller si loin ».
Alors, si vous faites un tour à Saint-Étienne, n’hésitez pas à aller visiter l’école-musée Chappe. Cela vaut le détour, et la qualité de l’accueil, c’est la cerise sur le gâteau. Et si Invader est un lecteur du café pédagogique, il est attendu par les élèves et l’équipe de l’école qui cherchent à le joindre depuis de nombreux mois…
Lilia Ben Hamouda