Ce soir, à Lyon, sept écoles mettront à l’abri 26 enfants Sans Domicile Fixe scolarisés à Lyon. Les membres du collectif « Jamais sans toit » sont au taquet depuis la rentrée scolaire. En tout, ce sont dix-sept écoles qui sont mobilisées à Lyon, Villeurbanne, Vénissieux et Vaulx-en-Velin. Dix écoles ont servi d’hébergement d’urgence et ont accueillies 47 enfants et leurs parents. Aujourd’hui, 171 enfants de 74 familles sont dénombrés SDF dans la métropole Lyonnaise. À Lyon seulement, ce sont 34 familles et 72 enfants qui sont concernés.
Un collectif né d’un engagement citoyen avant tout
Enseignant à l’école élémentaire Gilbert Dru depuis 2012 et directeur depuis la rentrée 2020, Allan Maria s’est investi dans le collectif Jamais Sans Toit dès sa création. « Je suis impliqqué en tant que citoyen dans ce collectif car je suis confronté chaque année à des situations d’élèves SDF. Je ne peux accepter que des familles, des enfants n’aient accès à ce droit fondamental qu’est un hébergement. Chacun et chacune mérite de vivre dans la dignité. Les discours des politiques et des institutions, les campagnes, comme la journée de refus de la misère, la campagne fraternité générale de l’EN, la journée mondiale des droits de l’enfant, la semaine de l’hospitalité sur la métropole de Lyon sur les valeurs portées par la république… me sont inaudibles s’ils ne sont pas accompagnés d’actes. En tant que citoyen, nous agissons ainsi pour dénoncer et palier les manquements de l’état ». Parent d’élève et délégué syndical à SUD éducation, pour Allan, des élèves qui dorment dehors, c’est juste impensable.
Une position que partagent les membres du collectif. Composé surtout d’enseignants, de parents d’élèves mais aussi des voisins, citoyens interpellés par ces situations d’enfants à la rue, le collectif Jamais Sans Toit, en lien avec la FCPE, c’est donc, comme le souligne Allan, « un ensemble hétéroclite de personnes qui se mobilisent avant tout sur des situations concrètes ».
C’est à la suite de mobilisations communes à la fin du plan froid en, 2013 que Jamais Sans Toit voit le jour. « Nous réclamions alors que les familles hébergées l’hiver ne soient pas remise à la rue au printemps. Mais concrètement l’acte fondateur du collectif est la mobilisation du 20 novembre 2014. Les écoles Gilbert DRU, dans le septième arrondissement de Lyon, Michel SERVET, dans le 1er, Jean GIONO, dans le 8ème, Painlevé et Mazenod, dans le 3ème, Ampère à Oullins et Jean Vilar à Vaulx-en-Velin avaient été occupées pour mettre à l’abri des familles et dénoncer la situation de 194 enfants SDF dans la métropole lyonnaise. Quatre autres écoles s’étaient aussi mobilisées, Veyet, Berthelot, Chavant dans le 7ème et Gagarine à Vaulx-en-Velin. Nous avions organisé un campement devant la préfecture et une manifestation en mars à la fin du plan de renfort hivernal ».
Une occupation d’école pour empêcher que les enfants dorment dans la rue
Cette année, Allan a inscrit sept familles SDF sur 234 enfants. Dès le 21 septembre, il alerte sur l’absence de solution d’hébergement pour une mère seule avec six enfants. « La métropole avait refusé de prendre en charge cette famille bien qu’un des enfants avait moins de trois ans à l’époque, qu’il était suivi par la PMI et qu’un dossier MDPH était en cours. Cette mère avait réussi à se faire héberger jusqu’aux vacances de Toussaint puis s’était retrouvée à dormir dehors. Les parents d’élèves et notre collectif se sont alors mobilisés, ont mis à l’abri dans un hôtel cette mère et ses enfants la deuxième semaine des vacances pour un coût de 1200 euros. Elle a ensuite été mise à l’abri dans l’école 3 semaines, week-end compris, avant que la Maison de la Veille Sociale lui propose un hébergement le 26 novembre dernier ». Les six autres familles sont demandeurs d’asile en attente d’une place en CADA – Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile. Depuis la rentrée, l’école a été occupée deux fois pour plus de 25 jours. Du 11 au 15 octobre pour une famille avec deux enfants et depuis le 8 novembre pour trois enfants, une de six enfants, une de deux et une de trois. « À ce jour, deux familles dorment encore dans l’école » explique Allan.
Pour ne pas gêner le bon fonctionnement de l’école, les occupations se passent en dehors du temps scolaire. En fonction des infrastructures dont disposent les écoles, les familles dorment dans des salles inoccupées, dans des logements de fonction vide ou dans le gymnase. Les repas sont généralement partagés dans les lieux accueils parents ou les salles des maitres. « Une chaine de solidarité est mise en place et un agenda collaboratif définit qui apporte ceci ou cela, dort dans l’école avec les familles. Ça c’est le côté humanitaire de notre action. Sur le plan politique, nous interpellons les élus et les autorités compétentes, communiquons dans la presse, organisons des actions devant l’école ou des mobilisations communes comme la manifestation du 20 novembre, par exemple ».
Une demande simple et juste : la stricte application de la loi
Pour Allan et les membres du collectif, ces situations de détresse sont inacceptables, d’autant plus dans une commune disposant de 18000 logements vacants selon leur estimation. « Nos mobilisations ont le mérite de rendre visible la situation des enfants SDF et de mettre cette question dans le débat public. Par le passé, ces mobilisations ont payé et ont permis d’aboutir à la mise à l’abri par la préfecture des familles que l’on suivait ». Et lorsqu’ils sont interrogés sur la finalité de ces mobilisations, leur réponse est simple : « tout simplement que la loi soit appliquée ».
« L’hébergement d’urgence est un droit inconditionnel pour toute personne en situation de détresse, c’est dans le Code de l’action sociale et des familles. Le CESEDA – code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile- prévoit l’hébergement des demandeurs d’asile pendant tout le temps de l’étude de leur dossier. Par ailleurs, M. Macron s’était engagé le 27 juillet 2017 puis le 31 décembre 2017 à ce que tous les migrants soient logés. La France a signé la convention de Genève sur les demandeurs d’asile et la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Ces textes nous engagent. Or chaque année, nous constatons sur la métropole de Lyon que 200 enfants environ sont privés du droit fondamental à un hébergement.
Pourtant « La mise à l’abri des enfants constitue un objectif majeur des politiques publiques » selon le Plan de lutte contre la pauvreté. Alors, Mesdames et messieurs les élus, nous, parents, associations, citoyens, sommes fatigués des promesses, des déclarations et de pallier les manquements de l’état. Un toit c’est un droit. Il est temps que l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte réellement dans les politiques publiques. Comme le rappelle le défenseur des droits et l’UNESCO, « ignorer les droits d’un enfant constitue déjà une violence : il est temps d’agir ». Que répondre aux camarades de nos enfants, à nos élèves qui nous questionnent sur leur copain et copine qui dort dehors ? À leur pourquoi, nous n’avons pas de réponse. Mais nous avons choisi de leur montrer que comme eux nous n’acceptons pas de laisser des enfants dormir dehors. C’est pour cela que nous occupons les écoles et mettons à l’abri ces familles » conclut Allan.
Ce soir, sept écoles, les écoles Philibert Delorme, Gilbert Dru, Michel Servet, Jean-Pierre Veyet, Audrey Hepburn, Alix et Johanne Masset serviront de refuge à 26 enfants qui sinon dormiraient à la rue. En France. En 2021. Alors oui, il ne fait cesser de le marteler « Un toit, c’est un droit ».
Lilia Ben Hamouda