« Avant d’être égorgé Samuel Paty a été abandonné par sa hiérarchie ». Pour avoir posté ce message sur Pronote, Jean-Christophe Peton, un PLP Lettres histoire du lycée du bois de Mouchard (Jura) est suspendu depuis octobre. Le rectorat de Besançon plaide que ce n’est pas le contenu du message mais l’expression personnelle sur un espace numérique public qui est sanctionnée.
Des propos personnels sur un outil professionnel
« Avant d’être égorgé Samuel Paty a été abandonné par sa hiérarchie, l’Education nationale et ses sbires, et même tancé pour avoir montré des caricatures qui pouvaient heurter X ou Y ou Z. Aujourd’hui la même hiérarchie nous intime une minute de silence pour lui rendre hommage. Cette minute de silence il faut la faire pour lui, évidemment. Mais ne soyons pas dupes de l’hypocrisie de l’institution et de ses relais ». Le message de JC Peton sur Pronote risquait d’autant moins de passer inaperçu qu’il est répété sur Twitter avec une interpellation du recteur de Besançon le 14 octobre 2021.
La réponse ne se fait pas attendre. JC Peton est convoqué le 22 octobre au rectorat où on lui signifie sa suspension pour 4 mois à titre conservatoire et une procédure disciplinaire est ouverte. Pour JC Peton il est clair que ce sont ses propos qui sont visés.
L’association des professeurs de lettres (APL) où il a des responsabilités, juge de même. « La loyauté du professeur envers l’Institution scolaire ne saurait être pervertie en appartenance, ni l’Éducation nationale en clergé ; celle-ci ne saurait inquiéter un collègue pour avoir usé, hors de chaire, de sa liberté d’expression. Dans ces circonstances en effet, la critique des mesures ministérielles comme celle du fonctionnement de l’Institution – critiques d’ailleurs souhaitables pour leur amendement – ne saurait davantage être réprimée que restreinte à des consultations sous contrôle », dit l’APL.
Interrogé, le rectorat de Besançon se défend d’avoir sanctionné des propos. Ce qui est sanctionné c’est « le fait d’avoir utilisé un outil professionnel afin de diffuser un message personnel », déclare le rectorat interrogé par le Café pédagogique. « Il ne nous appartient pas de le commenter. L’ENT n’est pas fait pour faire de la propagande ». Mais comme de nombreux enseignants utilisent les ENT pour des messages personnels, le rectorat précise que « ça dépend de la teneur des propos, s’ils aident ou pas à comprendre une situation pédagogique ».
L’institution a t-elle soutenu S Paty ?
La question du soutien de l’institution à Samuel Paty est au centre du rapport réalisé pour le ministère après l’assassinat du professeur. Le rapport montre à quel point toute la machine Education nationale s’est agitée la première semaine après le cours. Notamment, mais pas seulement, avec l’envoi d’un inspecteur auprès de S Paty qui lui signale son « erreur » : celle d’avoir fait sortir des élèves musulmans de son cours. On lui reproche d’avoir « froissé » les familles. La réunion donne lieu à un compte rendu envoyé au Dasen et au cabinet de la rectrice. La visite de l’inspecteur référent laïcité est présentée dans le rapport comme une aide. Mais le rapport reconnait que « le statut d’inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional établissements et vie scolaire a pu le cas échéant donner lieu à des malentendus sur le sens et la portée de sa démarche ».
Deux jours plus tard que l’affaire prend une autre tournure avec la publication de la vidéo qui donne le nom de S Paty. Durant la semaine du 12 au 16 octobre il ne se passe plus rien coté administration. L’administration ne s’agite plus alors que l’affaire devient plus grave sur les réseaux sociaux. Au final le rapport officiel décharge l’Education nationale de ses responsabilités et pointe la police qui a pourtant nettement renforcé sa présence sur les lieux. Le 16 octobre S Paty a bien été seul face à son assassin.
Pour avoir interpellé l’institution, JC Peton est poursuivi. Il a osé poser la question que le rapport de l’Inspection générale n’a pas eu le courage de poser. Pourquoi l’institution a fait si peu quand le risque montait entre le 12 et le 16 octobre 2020 ?
François Jarraud