Un peu d’histoire de la place des femmes
Ainsi dans l’enseignement était-il considéré en 1922 que les femmes ne pouvaient devenir agrégées et enseignantes de manière pérenne et instituée du fait de l’assignation des rôles de mère et de femme au foyer comme modèle social. L’auteure ajoute : « Maintenant que les métiers de l’enseignement ont été considérablement déclassés, on trouve tout à fait rationnel que les femmes y soient nombreuses : ces métiers sont présentés comme parfaits pour les mères de famille. » (p.73-74). Dans l’informatique le phénomène est inverse en particulier à partir des années 1980, lorsque l’informatique sort des salles blanches ou salles machines et devient visible et lisible dans l’ensemble de la société. Ainsi entre 1980 et 2000 avec les pratiques familiales de l’informatique et le monde professionnel en évolution, l’auteure écrit « ce que ces adolescents étaient venus chercher avec les ordinateurs, c’est un pouvoir sur le monde. Et ils l’ont trouvé. » (p.76).
Comparer les pays ainsi que les métiers : un éclairage important
Les comparaisons multiples permettent d’approfondir la question des différences de genre dans les métiers. Isabelle Collet étudie ainsi l’exemple de la Malaisie ainsi que celui du métier d’infirmier(e) pour montrer que, sur le fond des arguments employés, la représentation de la femme reste la même tout en montrant des trajectoires différentes dans la société : les arguments se retournant selon les types de métiers…
« Aujourd’hui, les savoirs numériques font partie de la masculinité hégémonique. » Ainsi faudrait-il conseiller à Madame Borne (actuelle ministre de l’Education) de lire attentivement cet ouvrage pour prendre en compte les dimensions « essentielles » de cette question de la place des femmes dans l’informatique et plus largement la science. D’autant plus que l’ouvrage aborde la question de la manière dont se « fabriquent » les inégalités de genre dans l’enseignement scolaire et universitaire (p.97 et suivantes). Il l’aborde dès les premières années de la scolarité. Les analyses proposées ici, fondées scientifiquement, renvoient, pour les anciens, à un ouvrage de 1973 : Du côté des petites filles (Elena Gianini Belotti, éditions des femmes, 1973) qui rapporte la manière dont se construisent les stéréotypes de genre dans l’éducation dès le plus jeune âge. On ne peut qu’être étonné de voir que, à lire l’ouvrage d’Isabelle Collet publié plus de cinquante années plus tard, peu de choses ont réellement évolué.
Tout commence à l’école, mais ne s’arrête pas là
Le travail présenté se termine par des propositions pour l’action qui soient davantage dans l’« action affirmative », et non dans la « discrimination positive ». Le mot discrimination, tout comme celui de quota employé ici ou là, entérine et renforce même l’idée d’inégalité. L’étude des actions qui ont été menées est instructive. Ainsi la tentative de « repeindre en rose » les métiers du numérique pose question sur le sens car cela renforce l’idée que ces métiers sont masculins « par définition » ! (voir p.128). Lutter contre les stéréotypes de genre ne vaut que si ceux-ci sont mis en système avec l’organisation sociale ancienne (qui les a générés) et actuelle (qui les entretient). L’auteure propose alors plusieurs pistes d’action : représenter des femmes scientifiques dans l’espace public, changer les critères pour mettre en avant des femmes scientifiques, Efficacité des « role models » et du soutien par les réseaux de femmes. Elle met en lumière des actions menées qui parfois posent problème et méritent d’être problématisées : les mesures de rattrapage, les quotas, la préférence à l’embauche.
Trois axes principaux sont proposés : « Intéresser, recruter, socialiser, Une action d’inclusion réussie comporte nécessairement trois étapes qu’il faut enchaîner pour que le changement s’installe : Intéresser les femmes pour qu’elles postulent ; recruter les candidates avec des critères qui les prennent en compte ; socialiser l’institution ou l’entreprise afin qu’elles puissent s’y maintenir. Ces propositions ne s’entendent que si par ailleurs il y a une lutte contre « les violences sexistes et sexuelles » qu’elles soient verbales ou physiques.
Certes il y a des évolutions, mais d’une grande lenteur
Cet ouvrage qui est une version très transformée de l’ouvrage de 2019 : Les oubliées du numérique, montre une évolution des débats. Malheureusement l’histoire du féminisme que nous avons vu émerger et vécue à l’université entre 1968 et 1976 en France montre que les actions menées n’ont pas obtenu les résultats escomptés à l’époque. Il y a une forte résistance aux transformations culturelles, surtout lorsqu’elles sont issues d’une histoire de la domination et du pouvoir. Car ceux qui détiennent ces pouvoirs savent bien le risque qu’il y aurait à les partager ou à s’en défaire. Peu nombreux sont ceux qui veulent réellement transformer l’ensemble du système et préfèrent, peut-être en est-il ainsi de l’actuelle ministre de l’Éducation, tenter d’actionner tel ou tel levier, mais sans trop transformer l’ensemble.
L’école, l’auteure nous le rappelle, est un terreau, mais il n’est rien si l’ensemble de la société reste telle qu’elle est, malgré les mouvements sociaux et les procès récents qui montrent que le problème est profond.
Bruno Devauchelle
Isabelle Collet, Le Numérique est l’affaire de toutes, LE BORD DE L’EAU 2025.
On peut lire la notice biographique de l’auteure ici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Collet
https://www.unige.ch/fapse/grire/equipe/isabelle-collet
