La convention sur les temps scolaire sera-t-elle une véritable -énième- réflexion dans la perspective d’un changement ou une – énième – « bulle médiatique et politique » ? Pour l’historien Claude Lelièvre, le sujet est « une entreprise risquée » et complexe, il en rappelle quelques enjeux et épisodes.
Emmanuel Macron vient de lancer une convention citoyenne sur « les temps de l’enfant », portant notamment sur les temps de vacances et sur les horaires scolaires. Une entreprise risquée s’il s’agit vraiment d’aboutir comme le montrent à l’envi divers épisodes de notre passé depuis au moins un demi-siècle. A moins qu’il ne s’agisse que d’une simple « bulle » médiatique et politique.
Dans son article paru dans le rapport du « Comité d’évaluation des aménagements des rythmes scolaires » en 1998, René Mabit proposait déjà une métaphore (dérangeante voire décourageante) à propos de cette question ô combien récurrente : « S’il fallait vraiment faire appel au bestiaire mythologique, c’est l’image du phénix qui s’imposerait. En effet, comme cet oiseau fabuleux, la question du temps de l’enfant et de l’adolescent est très ancienne. Elle se consume périodiquement pour renaître, éclatante, évidente, différente. L’aménagement du temps de l’enfant a donc ce caractère particulier, stimulant, rassurant mais aussi parfois décourageant, d’être à la fois un dossier ancien et une perpétuelle nouveauté ».
René Mabit avait déjà pu prendre la mesure (il y a plus d’un quart de siècle !) des difficultés qui semblent devoir ne jamais être dépassées ou même passées en la matière.
Par-delà le quart de siècle écoulé depuis où il ne s’est guère passé quelque chose de fort et de définitif, ce qui d’ailleurs n’a pas empêché que ce soit parfois dans « le bruit et la fureur », il n’est peut-être pas inutile d’évoquer (dans une certaine sérénité) ce qui avait pu être tenté auparavant.
Le problème de l’étalement des vacances (de leur durée et de leur périodisation) n’est que l’un des aspects de la question des « rythmes scolaires », car le problème de la durée de la journée scolaire et de son organisation s’avère au moins aussi important. Or, dès le début des années 80, on commence à prendre effectivement en compte cette deuxième dimension des « rythmes scolaires ». Et cela sans doute parce que les travaux des médecins pédiatres sur la fatigue ou le « surmenage scolaire » ainsi que les recherches plus récentes des « chronobiologistes » commencent à avoir pignon sur rue.
Que nous révèlent les travaux des chronobiologistes ? D’abord la variabilité de certaines capacités selon le moment de la journée et l’âge. C’est le cas de la vigilance, particulièrement étudiée par François Testu. Chez l’enfant de quatre ou cinq ans, il existe un creux en fin de matinée et un pic au milieu de l’après-midi. Chez l’enfant de six à onze ans, le pic se situe en fin de matinée et les creux aux débuts de l’après-midi. Chez l’enfant de douze ou treize ans, à part un petit creux en début de matinée, la vigilance varie peu au cours de la journée.
Enfin et surtout, les chercheurs estiment que la capacité d’attention en continu d’un enfant de 6 ou 7 ans est de 15 minutes ; elle est de 20 minutes de 7 à 10 ans ; de 25 minutes de 10 à 12 ans et de 30 minutes de 12 à 16 ans. En aucun cas, elle ne peut dépasser 50 minutes. Il faudrait donc, au cours de la journée, faire alterner les activités réclamant une forte concentration d’esprit et celles qui mettent en jeu une observation détendue, l’activité physique ou manuelle, l’expression spontanée.
La plupart des chercheurs considèrent que le total des activités scolaires ne devrait pas excéder 3 heures par jour jusqu’à 8 ans, 4 heures jusqu’à 10 et 5 jusqu’à 11 ans.
Le premier texte interministériel qui s’intéresse foncièrement à l’organisation du temps scolaire et éducatif, et qui offre à des partenaires patentés de l’Ecole ( mouvements associatifs ou collectivités locales ) une coopération institutionnelle est la circulaire du 13 décembre1984 signée par André Calmat (ministre délégué à la Jeunesse et aux Sports ) et Jean-Pierre Chevènement (ministre de l’Education nationale ). La circulaire souligne qu’ « une nouvelle organisation de la journée n’est pas une fin en soi », mais qu’« elle a pour objet de prévoir des horaires et des activités tels que la liaison avec le monde socio-culturel et sportif se fasse de la meilleure manière possible ». Enfin la circulaire donne en annexes deux « schémas d’aménagement du temps », dont l’un fondé très directement sur les travaux de certains chronobiologistes.
Mais René Monory, qui succède en avril 1986 à Jean-Pierre Chevènement à la tête du ministère de l’Education nationale, n’est guère intéressé par la problématique des « rythmes scolaires ».
Après les élections gagnées par la gauche, l’Education nationale et la Jeunesse et les Sports sont réunis sous la même autorité ministérielle. La politique antérieure est redéfinie et dénommée désormais « aménagement des rythmes de vie des enfants » (ARVE). C’est la première fois qu’est affirmée par le ministère de l’Education nationale la volonté d’une politique globale d’aménagement des temps de vie de l’enfant pour lui assurer un développement harmonieux. Elle est exprimée par la circulaire du 2 août 1988, cosignée par Lionel Jospin (ministre de l’Education nationale) et par le secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse et des Sports (Roger Bambuck). Elle traite des temps scolaires, périscolaires et extrascolaires dans le cadre de projets éducatifs globaux. Elle se fonde sur le partenariat le plus large possible regroupant commune, école, associations, et tous organismes ou volontaires pouvant leur accorder leur concours.
La loi d’orientation promulguée le 14 juillet 1989 déclare qu’il convient de mettre l’élève (sinon l’enfant) au centre du système éducatif. En l’occurrence, il s’agit de prendre sérieusement en compte les « rythmes scolaires ». Le temps scolaire doit être réorganisé et le raccourcissement de la journée de classe encouragé ; l’action éducative périscolaire doit prolonger et diversifier l’enseignement ; les activités complémentaires doivent être plus variées, articulées avec les contenus scolaires et occuper une partie du temps disponible.
Bon. Mais, dans les faits, cela a « patiné » pour l’essentiel…
Claude Lelièvre
