Ne pas réduire la science à des schémas simplistes, telle est l’invitation du physicien Roger Balian, académicien des sciences, lorsqu’il commente la définition restrictive du protocole expérimental sur le site de l’académie de Paris concernant les expériences destinées à tester une hypothèse. L’enjeu fondamental est de ne pas créer une représentation erronée ou réductrice des sciences chez les élèves.
Une diversité d’expériences trop souvent oubliée
Il existe certes des expériences tests visant à vérifier une hypothèse, comme celles illustrées en SVT par l’académie de Paris. Mais il est crucial de rappeler qu’il existe bien d’autres types d’expériences, toutes pratiquées dans le cadre scientifique et ayant des buts différents.
Les expériences exploratoires : elles s’effectuent “à l’aveugle” pour l’expérimentatrice ou l’expérimentateur pour découvrir de nouveaux phénomènes, de nouveaux objets. Sans hypothèse initiale. Sans hypothèse initiale, le ou la chimiste peut, par exemple, mélanger des substances « pour voir » s’il apparaît un nouveau corps. « L’objectif n’est pas de tester une hypothèse, c’est une exploration. Bien des découvertes sont dues au hasard, explique le physicien. »
Les expériences de collecte de données : en étudiant des phénomènes connus, le ou la scientifique accumule des données pour les exploiter par la suite. Par exemple les physiciens des particules enregistrent dans leurs détecteurs une énorme masse de collisions, les glaciologues carottent les glaciers polaires de plus en plus profondément, les astronomes dressent d’immenses catalogues. « Il n’y a pas d’hypothèse à tester, on accumule des données pour les exploiter plus tard » décrit Roger Balian.
Les expériences de mesure ou de métrologie : l’expérimentateur ou l’expérimentatrice explore quantitativement un phénomène connu. C’est ainsi qu’Eratosthène mesure la circonférence de la Terre, déjà reconnue comme sphérique à l’époque.
Les expériences de démonstration : l’objectif ici est de diffuser des résultats scientifiques établis. C’est le but des expériences de cours des collèges et lycées, ou celles du Palais de la Découverte. C’est ainsi que Faraday illustrait ses conférences par des expériences devant le grand public.
Comment définir expérience et protocole expérimental ?
La définition la plus adaptée semble celle de L’Académie française : « document qui décrit une procédure, qui énumère avec précision l’ensemble des règles, des principes et des actes présidant à la réalisation d’une opération donnée. Protocole expérimental, protocole d’expérimentation, qui indique précisément les conditions et le déroulement d’une expérience scientifique, afin qu’elle puisse être reproduite. »
Elargir la définition
La méthode transmise par l’académie de Paris considère qu’un protocole expérimental serait défini par cinq points. Selon le premier, une expérience reposerait sur « une hypothèse », selon laquelle il faudrait tester un certain paramètre ayant un effet sur un phénomène étudié. Le deuxième point affirme qu’une expérience doit être constituée par au moins « deux dispositifs » différant uniquement selon le paramètre à tester.
Ces deux points ne sont pertinents que pour certains types particuliers d’expériences. Ainsi, les préconiser comme normes qui gouverneraient un protocole est fortement réducteur. En effet, il existe bien d’autres sortes d’expériences, qu’il s’agisse de celles pratiquées par les chercheurs ou de celles que l’on propose aux élèves. La plupart ne font intervenir ni « une hypothèse » ni « au minimum deux dispositifs ».
Selon le chercheur, les élèves doivent apprendre qu’il existe différents types d’expériences. Ainsi, « même une observation sérieusement faite est une expérience », affirme-t-il. Il prend l’exemple d’un exercice pédagogique, le sujet 0 proposé pour une classe de seconde sur la pollinisation du pommier. On demande à l’élève de « justifier que l’ensemble constitué par les manipulations A et B est bien une expérience ». Pourtant, si le but, pour une classe plus élémentaire, est de découvrir les parties constitutives d’une fleur en la disséquant, la manipulation A constitue à elle seule une expérience.
Les dangers d’une vision biaisée des sciences
Les conséquences d’une vision restreinte de l’expérience ne sont pas anodines, elle risque de fausser le rapport des élèves à la science elle-même. Pour Roger Balian, « si on croit que la science, c’est toujours vrai ou faux, on finit par ne plus lui faire confiance, car la vérité scientifique n’est pas la vérité mathématique. Une expérience donne une certaine probabilité d’un résultat, jamais une certitude absolue »
C’est aussi pour cela que l’erreur fait partie intégrante de la méthode scientifique. « C’est en se trompant qu’on apprend ». L’Académie des sciences a d’ailleurs récemment consacré un colloque à l’erreur.
Renaud Gosset
