Le 7 mai 2022, il y a trois ans aujourd’hui, votre sœur Cécile et son compagnon Jacques Paris, ont été arrêté·es et incarcéré·es pour « espionnage » en Iran : pouvez-vous nous rappeler le contexte de cette arrestation ?
Noémie Kohler : Cécile et Jacques sont partis en Iran pendant les vacances de Pâques de 2022 pour visiter le pays. C’est un pays que Cécile rêvait de visiter depuis des années et que Jacques connaissait déjà un peu. Ils ont suivi un circuit touristique classique et nous ont envoyé des photos sur le groupe WhatsApp familial tous les jours. Leur dernier signe de vie a eu lieu le 7 mai au matin. Les collègues de Cécile, ne la voyant pas arriver au lycée la semaine suivante, se sont inquiétés et nous ont prévenus. Mes parents ont ensuite été contactés par le Quai d’Orsay qui leur a annoncé l’arrestation. Nous sommes ensuite restés pendant près de 7 mois sans le moindre signe de vie, ignorant leur lieu de détention et leur état de santé. Nous ignorions s’ils étaient toujours en vie. À ce jour, nous n’avons toujours aucune information sur les circonstances de leur arrestation. Nous savons qu’ils ont été enlevés par les autorités iraniennes et qu’ils sont otages de la République Islamique d’Iran.
Depuis cette date, tous deux sont incarcéré·es dans la prison d’Evin, à Téhéran, dans des conditions terribles dont vous avez témoigné devant la Commission des affaires étrangères du sénat début mars. Pouvez-vous nous en parler ?
N.K : Cécile et Jacques sont actuellement détenus séparément à la prison d’Evin, au sein d’une section de haute sécurité connue sous le nom de section 209, placée sous le contrôle des services de renseignement. Cette section échappe entièrement à l’autorité pénitentiaire classique. Les personnes qui y sont enfermées subissent l’isolement et la torture, comme le décrit Narges Mohammadi dans son ouvrage Torture blanche.
Cécile est enfermée dans une cellule de 8 m², dépourvue de fenêtres, qu’elle partage de manière aléatoire avec d’autres femmes. La cellule est éclairée et placée sous vidéosurveillance 24 heures sur 24. Leur accès à la lumière du jour est strictement limité à deux ou trois sorties hebdomadaires de trente minutes dans une cour étroite. Cécile vit et dort à même le sol, sur une simple couverture. Elle n’a ni de quoi écrire, ni possibilité de recevoir du courrier, et les livres envoyés par ses proches ne lui arrivent jamais. Privée d’un avocat indépendant, elle ne peut pas non plus communiquer librement avec son ambassade. Placée sous le contrôle total de ses geôliers, elle est soumise à des mauvais traitements et à une torture psychologique quotidienne : interdiction de parler aux autres détenues, confiscation de ses lunettes malgré sa très mauvaise vue, mensonges, intimidations et manipulations répétées. Ces conditions sont les mêmes, voire pires pour Jacques.
Depuis leur arrestation leur isolement est par ailleurs complet ; les échanges que vous pouvez avoir sont très peu nombreux et très surveillés. Le dernier appel date du 14 avril : quelles nouvelles a-t-elle pu vous donner ?
N.K : Les nouvelles ne sont pas bonnes. Au fil des appels, le désespoir et l’abattement de Cécile et Jacques semblent toujours plus grands. Ils se sont battus jusqu’à présent, mais les forces leur manquent. On constate également que la torture psychologique continue : Leurs geôliers leur annoncent depuis des mois que leur jugement est imminent, et que le verdict sera « extrêmement sévère » et ils leur fixent des échéances qui ne se réalisent jamais, ce qui les place dans un état de tension permanente. Lors de ce dernier appel, nous avons également constaté la présence d’un agent filmant la scène, ce qui nous a fait froid dans le dos.
Au lendemain de cet appel du 14 avril, la France a annoncé que face au refus des visites consulaires opposé par les autorités iraniennes, elle allait porter plainte devant la cour internationale de justice pour « violation de la protection consulaire ». Cette décision est-elle pour vous une bonne nouvelle ?
N.K : Les efforts diplomatiques de la France n’ont pas porté leurs fruits. Il est temps de se saisir des outils juridiques dont on dispose pour débloquer la situation et placer les autorités iraniennes face à leurs responsabilités. La saisine de la Cour Internationale de Justice est pour nous une excellente chose.
D’autres otages ont été libérés : Louis Arnaud en juin 2024, Olivier Grondeau en mars 2025. Que faudrait-il pour débloquer la situation de Cécile et Jacques ?
N.K : C’est un des nombreux points qui restent totalement opaques. L’acharnement des autorités iraniennes sur Cécile et Jacques peut s’expliquer par la dimension médiatique qu’elles ont donnée à leur cas.
Elodie Pinel : C’est une idée qui nous est venue il y a à peu près un an. Comme nous ne pouvons plus communiquer avec Cécile librement, nous avons eu l’idée de réunir les lettres que nous aimerions lui envoyer dans un seul recueil. Ce sont les membres de sa famille mais aussi ses amis, ses collègues qui ont pris la plume pour lui témoigner leur affection. L’éditeur LibriSphaera a accepté de nous suivre et s’est engagé avec nous dans la publication de l’ouvrage, que l’on peut commander sur son site. Nous espérons que Cécile pourra recevoir le livre dans les mois à venir, peut-être à l’occasion d’une visite consulaire, et qu’elle y puisera de la force.
Se mobiliser, relayer l’information, signer la pétition en ligne, rédiger des courriers … : comment peut-on aider le comité de soutien ?
E.P : Tout soutien est utile et il n’y a pas de petite action ! Aider Cécile, cela peut consister à signer la pétition et à relayer nos posts sur les réseaux sociaux, mais aussi s’abonner à nos comptes, faire un don au comité de soutien, demander à l’élu de sa municipalité d’afficher une banderole de soutien sur la mairie, dédier à Cécile et Jacques une manifestation culturelle ou sportive… Mais aussi, tout simplement, en parler autour de soi pour faire connaître leur situation ! Pour en savoir plus, on peut consulter le site du comité où nous avons détaillé les actions possibles sur la page « Comment aider Cécile ».
Propos recueillis par Claire Berest
Jamais sans Cécile. Otage en Iran depuis 2022. Sur le site des éditions LibriSphaera.
Comité de soutien de Cécile Kohler. Liberté pour Cécile
Plus de 40 rassemblements sont prévus partout en France ce mercredi 7 mai (les rassemblements de Mende et Nanterre auront lieu le 9 mai).
