
Suffrage universel en 1848 et droit de vote des femmes accordé en 1944 : le vote des femmes apparaît « à la sauvette » en 1945 et peine à entrer dans l’Histoire. L’historien Claude Lelièvre met en lumière le traitement – discret – de l’histoire du vote des femmes.
Il y a tout juste quatre-vingt ans, les femmes votent en France pour la première fois, aux élections municipales du 29 avril 1945. Une ordonnance du Gouvernement provisoire de la République française avait confirmé le 5 octobre 1944 le droit de vote des femmes accordé par le Comité français de la Libération nationale le 21 avril 1944.
Deux manuels seulement mentionnent l’événement
Ce qui est proprement sidérant, c’est que la quasi-totalité des manuels d’histoire de l’école élémentaire qui paraissent ensuite sous la IV° République font totalement le silence sur ce qui devrait être pourtant un événement historique et politique de première importance : pour la première fois les deux « moitiés » du « genre humain » (de nationalité française) ont pu voter.
Deux manuels seulement mentionnent l’événement. Est-ce un hasard si, pour l’un d’entre eux, une femme à l’autorité reconnue se détache parmi les auteurs (Mme Vidal de la Blache) ? Encore est-ce d’une grande sobriété : « Depuis la Libération, la France est redevenue une République ; les Françaises votent comme les Français ». Tous les manuels d’histoire de l’école élémentaire, y compris celui-là, continuent d’évoquer sans problème l’instauration du « suffrage universel »… en 1848.
Il faut attendre le début des années 1980 (et un arrêté ministériel du 12 juillet 1982 contre les « préjugés sexistes »), pour que tous les manuels d’histoire de l’école élémentaire qui paraissent alors signalent l’instauration du vote des femmes à la Libération. Mais cela ne les amène pas tous ipso facto à remettre en cause la formulation de l’instauration du suffrage « universel » en …1848.
On arrive ensuite, peu à peu, à des formulations plus claires telles que « En 1848, l’égalité politique entre tous est réalisée par le suffrage universel (pour les hommes seulement). Pour la première fois, en 1945, les femmes votent » (Colin, 1985). Dans les toutes dernières années du XXIème siècle, et seulement à ce moment-là, cela devient la règle générale, et dans des formulations plus nettes : « Au XIX° siècle, le droit de vote n’est accordé qu’aux hommes. Les femmes n’obtiendront le droit de vote qu’en 1945 » (Hachette, 1996).
3 lignes pour évoquer l’extension du droit de vote aux femmes
La place fugitive qu’occupe la relation de cet « événement historique » dans les Mémoires du général de Gaulle est non moins remarquable et significative. Alors qu’il consacre pourtant six pages à la création de l’Assemblée consultative d’Alger, à sa composition, à ses objectifs (dont en particulier l’organisation des pouvoirs futurs), le général de Gaulle se limite à trois lignes, en passant, pour évoquer l’extension du droit de vote aux femmes : « En outre les droits de vote et d’éligibilité étaient attribués aux femmes, mettant un terme à de controverses qui duraient depuis cinquante ans ». Et c’est tout.
Il y a eu, de fait, une quasi-conspiration du silence au moment même où s’est exercé pour la première fois le suffrage vraiment universel masculin et féminin (cf mon livre L’histoire des femmes publiques contée aux enfants, PUF, 2001). Il est vrai, comme l’ont souligné Albert et Nicole du Roy, que l’instauration du suffrage universel a été « le fruit d’un concours de circonstances plus qu’une volonté. Comme s’il fallait le séisme le plus profond [la Deuxième guerre mondiale ] pour que cette révolution intime, passant inaperçue, soit accomplie. A la sauvette » (« Citoyennes ! Il y a 50 ans le vote des femmes », Flammarion, 1994). Et cela n’a pas été sans conséquences, durables…
Claude Lelièvre
