Plus d’un élève sur deux dans le second degré adhère à un préjugé antijuif
« Force est de constater le caractère insuffisant des dispositifs existants » lit-on dans le rapport « Assises de lutte contre l’antisémitisme ». Entre décembre 2024 et février 2025, 466 actes antisémites ont été commis dans le milieu scolaire. 42% des personnes mises en cause pour des faits d’antisémitisme ont moins de 35 ans. L’enquête du rapport révèle qu’« en milieu scolaire, 54% des élèves adhèrent au moins à un préjugé antijuif selon l’enquête CRIF-IPSOS, dont 50% chez les lycéens et 59% parmi les collégiens. » Il souligne également que « les préjugés sont plus enracinés au sein des filières professionnelles que dans les filières générales ou techniques, et plus répandus dans l’enseignement privé que public ».
Une géographie sociale des préjugés
Suit : « C’est en REP et en REP+ que les élèves sont le plus susceptibles d’entendre des propos antisémites, constat renvoyant au lien inversement proportionnel entre le niveau de revenu et les préjugés antisémites, comme plus largement avec les préjugés racistes. » Le rapport pointe que l’enquête sur l’antisémitisme en milieu scolaire montre un lien entre densité urbaine et préjugés anti-juifs : « si 18% des élèves ont observé des manifestations d’hostilité envers les Juifs au cours de leur scolarité, la proportion s’élève à 24% pour les élèves de l’agglomération parisienne et à 37% en REP et REP+ ».
« La formation et l’enseignement sont les leviers essentiels pour combattre l’antisémitisme »
Le rapport relève aussi le lien entre la situation économique ressentie et les préjugés antisémites : le sentiment d’une dégradation de niveau de vie comme la baisse de revenu est propice au développement de sentiments antisémites. Le niveau d’étude est un facteur important : « plus le niveau de diplôme est élevé et moins les opinions antisémites sont présentes, comme c’est le cas, d’ailleurs, pour les autres formes de racisme » précise le rapport.
Des préconisations pour l’Éducation nationale : d’abord la formation
« Les enseignants doivent être davantage et mieux formés » dès les deux années de formation initiale souligne le rapport. Il y est précisé que cette formation « devrait être confié à des professeurs et des enseignants-chercheurs spécialistes du sujet ».
Il évoque une deuxième piste « la transformation des programmes scolaires » : « dans les programmes scolaires, l’antisémitisme est évoqué au prisme quasi exclusif de l’histoire de la Shoah. Il convient d’inscrire l’histoire de l’antisémitisme dans une perspective de longue durée qui ne ferait pas l’impasse sur ses racines religieuses en introduisant une présentation de l’histoire des mondes juifs » et de « recontextualiser l’histoire des antisémitismes et des racismes dans les programmes scolaires ».
Les rapporteurs proposent de créer une structure de formation adossée à la recherche sur le racisme et l’antisémitisme et de former les chefs d’établissements à qualifier précisément les faits antisémites et racistes. Le rapport identifie « la formation des personnels de l’Éducation nationale […] comme un point faible de la lutte contre l’antisémitisme ». Si elle existe déjà, il est précisé que « le déploiement de ces formations est très inégal (la mise en œuvre du plan laïcité varie beaucoup d’une académie à l’autre, par exemple) et ne présente, pour l’heure, pas de caractère systématique ».
Une obligation de formations, approfondies et renouvelées
Dans le rapport, l’historienne Marie-Anne Matard-Bonucci et le conseiller d’Etat Richard Senghor préconisent l’obligation de formation pour les IEN du 1er degré, les personnels de direction, les référents racisme-antisémitisme, les formateurs des équipes académiques Valeurs de la République, les référents lutte contre les discriminations et mémoire-citoyenneté. Pour les auteurs du rapport, ces formations doivent être approfondies, élargies et régulièrement renouvelées. Ils préconisent une formation continue obligatoire durant toute la carrière tous les 5 ans, pour tous les personnels du système éducatif, y compris les contractuels.
Des réflexions et actions pédagogiques et éducatives
Le constat est lourd : « de fait, plus de trente ans d’une pédagogie antiraciste dont le socle demeure le paradigme mémoriel axé sur ce que l’on pensait être la connaissance de la Shoah, mais qui ne l’était que dans des considérations victimaires, n’ont pas permis la disparition, ni même le recul de l’antisémitisme, y compris dans les jeunes générations. » Si le rapport souligne une « approche renouvelée [qui] porte ses fruits », il précise au détour d’une phrase entre parenthèses qu’« il s’agit de formations sur la base du volontariat ».
Le rapport souligne également que beaucoup d’enseignants d’histoire et EMC montent des projets pédagogiques dans le temps long qui dépassent le cadre disciplinaire et celui des murs de la classe. Là aussi, le rapport mentionne un écueil : « la pédagogie de projet peut aussi comporter des limites : lourdeur administrative, volontariat, moyens financiers, etc.» et « ne permet pas de faire l’économie des préconisations formulées par ailleurs en termes de programmes et de formation, sur lesquels elle pourra d’ailleurs s’appuyer judicieusement ». L’approche pédagogique est ainsi questionnée tout comme mentionnée la nécessaire formation, non seulement initiale, mais aussi continue.
De même, le rapport évoque la question de la désinformation, des fausses informations et de l’éducation aux médias et à l’information (EMI). L’augmentation des temps d’enseignement et des parties du programme est aussi préconisée, tout comme la mobilisation des autres disciplines que l’histoire-EMC et le développement de l’éducation aux médias et l’information sur les enjeux de racisme et d’antisémitisme. Tout un réseau est déjà mis en place : semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme organisée en partenariat avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), visites d’un lieu de mémoire, Concours National de la Résistance et de la Déportation (CNRD) depuis1961, formations du Mémorial de la Shoah (suivies en 2024 par 6784 professeurs,1515 du Premier degré et 5268 du Second degré).
Ce rapport suggère également de « rendre obligatoire l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre d’élèves auteurs de violences verbales à caractère raciste ou antisémite à l’égard d’un membre du personnel ou d’un autre élève en introduisant une disposition réglementaire adéquate dans le code de l’éducation ».
Le rapport préconise de mieux recenser, catégoriser archiver les faits antisémites dans l’application « faits établissements » qu’il propose de qualifier « atteintes aux valeurs de la République » avec trois items : personnes, établissement, idées et des entrées transversales racisme/antisémitisme, radicalisation, laïcité.
Djéhanne Gani
