« Des inégalités au berceau »
Les enfants « vivent au même moment dans la même société, mais pas dans le même monde », écrit le sociologue Bernard Lahire dans Enfances de classes. On pourrait ajouter qu’ils ne fréquentent souvent même pas les mêmes écoles. Le système éducatif, avec ses codes sociaux et culturels, favorise principalement la réussite des élèves issus des classes sociales privilégiées. La France se distingue comme le pays européen où les inégalités liées au milieu de naissance influencent le plus le parcours scolaire, pénalisant la réussite des enfants des classes populaires et défavorisées dès l’entrée en maternelle. Les réformes actuelles aggravent les dérives du système éducatif. Les résultats des évaluations internationales et nationales montrent les écarts de réussite selon le milieu mais aussi le genre, comme en mathématiques et sciences. La réponse adéquate serait-elle du côté de la formation des professeur.es des écoles plutôt que de préparer l’orientation des élèves en maternelle ?
Orientation précoce et déterminismes
Orienter tôt, c’est enfermer et condamner les élèves à l’assignation sociale. C’est dans la veine des groupes du niveau.
Orienter et préparer une orientation précoce, c’est organiser le tri en amont.
C’est aussi assigner une fonction à l’école, celle du travail. Et particulièrement pour les plus fragiles, et plus tôt pour ces derniers. La réforme du lycée professionnel a déjà supprimé des heures d’Ecole au profit de stages en entreprises. C’est moins d’École pour un tiers des lycéens, majoritairement issus des familles défavorisées.
Le projet et la vision de l’Ecole à la sauce libérale, c’est un projet inégalitaire qui rompt brutalement la promesse républicaine. C’est un projet qui répond à des besoins d’entreprise, dans lequel l’Ecole devrait former pour un métier et non pas former un citoyen pour comprendre le monde. Aujourd’hui, c’est pourtant peut-être le défi : s’orienter dans le monde, éduquer à l’esprit critique, former des esprits éclairés. Et non orienter les esprits. Former et non formater. Il est urgent et nécessaire d’interroger collectivement les finalités de l’Ecole, et de remettre en question un modèle séparatiste qui non seulement creuse les inégalités mais les entérine. Les inégalités, leurs reproductions tuent l’espoir et les rêves d’une jeunesse populaire. Elles sont un creuset de colère pour les «perdants» du système scolaire.
Djéhanne Gani
