Vous avez écrit une enquête « A la recherche des profs perdus ». Qu’est ce qui en a motivé le sujet ?
Il faut dire ce qui est. Il n’y a pas besoin de faire un livre enquête pour se rendre compte qu’il y a un problème à l’Education Nationale. L’école, que ce soit par ses résultats (27% des enfants sortent du collège sans comprendre ce qu’ils lisent) ou par l’absence de candidats (plus de 3000 postes non pourvus l’an dernier) en devient une incarnation de l’échec de nos dirigeants. Ces élites ont fait le choix, depuis plus de dix ans, d’un pilotage au « tableau Excel », un pilotage qui regarde les coûts, les coûts et seulement les coûts. Un pilotage qui de facto, s’interdit d’avoir une vision.
Les politiques au pouvoir ont appliqué le même schéma à l’école qu’à l’hôpital et dans beaucoup d’autres services publics. Est-ce à la hauteur des enjeux ? Est-ce que dans un monde où nous aurons des Intelligences artificielles sur nos téléphones, vous croyez que c’est en regardant des pourcentages de réduction de coûts dans des tableaux Excel que nous allons réussir à relancer une école publique qui donne à tous les enfants du pays ce dont ils vont avoir besoin pour s’épanouir dans cette société ? Et les enfants des riches (pour qui je ne me fais pas tant de soucis que ça) et les enfants des pauvres ? Et ceux des centres-villes, ceux des campagnes, ceux des banlieues et ceux des territoires d’outre-mer ?
Une fois ce constat posé on pourrait en rester là. Mais alors, même très bien rédigé dans un livre, nous tomberions dans un dialogue de sourd avec nos dirigeants et nombres de français qui avec eux pensent « qu’il n’y a pas d’argent magique ». Et pour ne rien vous cacher c’est un peu le ressenti que j’ai, celui d’un dialogue de sourd vu et revu, quand j’entends le ministre de l’Éducation et ses opposants.
Je démarre donc l’écriture de ce livre avec l’envie de prendre le débat autrement, de sortir d’un débat stérile qui tourne en rond. Et pour cela je prends le risque de l’auto-critique, de la remise en question de mon camp politique. Dès le début de mon enquête je fais le constat que la gauche n’a plus le monopole des profs. La ligne de gauche qui dit « engagez vous dans l’éducation nationale car c’est grâce à l’école qu’on va réduire les inégalités » ne fait plus autant recette ; que ni les Français, ni les profs n’y croient plus vraiment. Je pars donc à la recherche d’une nouvelle ligne qui soit porteuse d’une énergie pour relancer l’engouement de la jeunesse pour le métier d’enseignant. Qu’on mette fin à cette statistique dramatique des postes non pourvus. Et cela m’a amené bien plus loin que ce que je pensais. Bien au- delà de la politique j’ai dû m’intéresser à l’histoire, aux sciences de l’éducation, à la sociologie, et même à la pédagogie.
Vous êtes littéralement presque parti à la recherche des professeurs, votre livre comprend une série de bouts de rencontres, d’entretiens avec des chercheurs et des professeurs Quels témoignages ou histoires personnelles sont partagés dans le livre pour illustrer les problèmes rencontrés par les enseignants ?
Je pense que les témoignages les plus marquants sont ceux des job datées (quasi exclusivement des femmes sont recrutées). On sait tous qu’il y a un problème de recrutement. Mais en se renseignant sur le parcours et la vie quotidienne des job datées on se rend compte de ce que « problème de recrutement’’ veut dire : des gens dont le métier est dans la logistique, le social qui se retrouvent lâchés pour une année devant des classes de CE2 avec entre 0 et 12 jours de formations pédagogiques. On se projette à leur place et on se dit « en fait, le prof, il a le même niveau en pédagogie que moi » ou pire on se dit « mais ça pourrait être mes enfants qui tombent devant quelqu’un qui n’est pas prof ». Quand on sait l’importance que les familles donnent à la carrière scolaire, ce n’est pas surprenant qu’on me parle de ces témoignages comme d’un électrochoc. Les gens réalisent que le système est complètement déréglé, qu’en l’état, et même avec toute la bonne volonté de ces recrutées de dernière minute, il ne peut pas faire remonter le niveau des élèves.
Mais je ne voulais pas faire de ce livre un alignement de problèmes, dramatisant la catastrophe. Au contraire je voulais étonner la catastrophe, qu’on se dise, en terminant la lecture, qu’il n’y a pas de fatalité, que nous avons la possibilité de relancer la machine. Je n’ai pas eu beaucoup à chercher pour trouver des témoignages et des théories qui regorgent d’énergie et de solutions, qui redonnent espoir.
Le problème du recrutement ne serait pas une histoire nouvelle. Vous écrivez « l’histoire de l’école française du XIXe siècle est l’histoire d’une école à la recherche de ses instituteurs », « comment faire pour recruter des enseignants compétents » ? question brûlante…, alors ?
Alors, il faut des candidats tout simplement ! La leçon de l’histoire c’est que les politiques sont capables de générer des vagues de candidatures quand ils posent une vision de l’éducation nationale qui fait écho à l’idée politique qui fait vibrer la jeunesse.
On ne trouvera pas de solutions en réformant des détails. Il y a une défaillance massive qui ne se traitera pas sans un remède qui va droit au cœur. Je pense très sincèrement que le cœur du problème tient dans le sens du métier. Enseignant est un métier fondamentalement lié au sens. Tenir toute une carrière et se relancer tous les ans sans une vocation forte c’est mission impossible. C’est en prenant cet angle là, que l’on sortira du dialogue de sourds.
D’autant qu’une autre leçon de l’histoire c’est que les moyens massifs ne sont jamais très loin des vagues de vocations dans l’Education nationale. Et la grande histoire de l’école primaire posée par les Républicains du XIXème siècle s’inscrit totalement dans ce schéma. Alors que sur tout le siècle, une myriade de dirigeants de tous bords n’avait pas réussi à dépasser les 60 000 enseignants, ils arrivent en cinq ans à passer de 60 000 à 100 000. Et ils le font en accolant une seconde vocation à la vocation historique de transmission des savoirs. Ils disent aux jeunes Français qui vibrent avec la République que, s’ils veulent donner aux enfants le minimum d’instruction politique, leur permettre de comprendre par eux-mêmes que la République est le meilleur des régimes, la meilleure façon de le faire est de s’engager dans l’Éducation nationale. Et ça a marché ! Un succès que personne n’a encore réussi à égaler.
Vous ne croyez pas qu’on pourrait retenter le coup dans le contexte moderne ? Ce livre, c’est un peu un « chiche » envoyé à nos glorieux prédécesseurs.
En quoi ce livre peut-il inspirer des décisions politiques ?
Ce que j’espère c’est qu’il donnera à voir le sujet scolaire sous un autre angle aux citoyens français. Les pages que j’ai écrites sont autant de prises de judo où les dialogues de sourds habituels sont renversés. « Moyens contre pas d’argent », « autorité contre pédagogie », « élite contre universel »… Tous ces débats ne sont jamais attaqués frontalement mais dépassés ou pris d’une façon originale qui rassemble autour d’idées où la majorité est gagnante, où la Nation se retrouve, où le peuple progresse.
Car les profs peuvent aussi nous servir de leçon dans la bataille de société contre le RN. Quoi qu’on en dise, dans une société où le sentiment identitaire monte, l’école est un bastion attaché au commun, à la tolérance et au progrès. Aux législatives le RN ne fait que 20% chez les profs. C’est énorme comparé aux 2% d’il y a quinze ans, mais c’est aussi beaucoup moins que partout ailleurs en France. Marine le Pen a ouvert la bataille de la salle des profs. Mais le RN ne crie pas victoire. Loin de là, il est encore loin de l’emporter sur ce terrain.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Mathieu Bosque – A la recherche des profs perdu. Enquête. Janvier 2025, édition l’aube.
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