Un collège sous tension et sous pression
Un an après les premières alertes, l’équipe du collège Lucie Aubrac est toujours mobilisée pour des faits de souffrance au travail. Mardi 11 mars 2025, près d’une vingtaine d’enseignants étaient en grève, soit un peu moins de la moitié de l’équipe pédagogique. Le député écologiste de la circonscription Arnaud Bonnet était présent pour soutenir la mobilisation et les personnels. Il souligne que « l’Education nationale comme tout employeur a la responsabilité de l’intégrité mentale et physique des personnels ». En signe d’opposition à la direction, des professeurs principaux ont démissionné de cette fonction. Mardi 18 mars 2025, jour de remise des bulletins, un rassemblement avec des parents d’élèves était organisé devant le collège. Si une quinzaine de personnels étaient présents, pas un n’a souhaité s’exprimer publiquement et s’étendre sur la situation. Les visages sont fatigués, graves, les traits tirés. « Ça devient dangereux » dit l’un si rien n’est fait. Pour eux, la menace de la DASEN était ouverte la veille « on a été sommés de nous taire » Des professeurs ont quitté le rassemblement, trop angoissés.
Des alertes au rectorat
Les services du rectorat « stop discri » et la médecine du travail ont été contactés. La veille du rassemblement, l’inspectrice d’académie de Seine-et-Marne s’est rendue dans l’établissement suite aux mobilisations et alertes de l’équipe. 22 professeurs ont signé la demande d’audience de janvier 2025. Ils attendaient de l’écoute et un changement. Elle ne les aura que dissuadés de parler évoquant à demi-mot des mutations dans l’intérêt du service afin de ramener la sérénité dans l’établissement. Au-delà de la menace perceptible, ce sont les personnes qui ont osé révéler leur souffrance qui sont traitées comme des coupables. Beaucoup se sentent menacés de sanctions, de représailles professionnelles. Aujourd’hui, déjà, des personnels souffrent de la situation, certains sont en arrêt, d’autres en temps partiels thérapeutiques, en dépression, avec une reconnaissance d’accidents de service. Preuve en est que la souffrance est reconnue, par la médecine, des services académiques, mais pas par la direction de l’établissement ou de l’académie.
Pour la principale, il s’agirait d’une poignée de professeurs qui s’opposent à la direction.
Un collectif de parents alerte : « On ne peut pas regarder ailleurs »
Les fédérations des représentants des parents sont aux abonnés absents depuis deux ans, un parent présent lors du rassemblement glisse qu’eux aussi sont muselés. Un collectif de parents mécontents vient de se monter, qui compte plus de 200 parents. « Le collège mort, c’est notre idée » dit une mère, une autre dit « on ne peut pas regarder ailleurs ». « Les parents aussi sont malmenés » déclare une mère d’élève, « c’est une tyrannie qui s’exerce » poursuit-elle, « les professeurs victimes sont traités comme des coupables ». « On est là pour soutenir les professeurs, ce sont de très bons professeurs » dit-elle. Elle dénonce l’absence de communication, « voilà où on en est avec pas de vague et le management toxique », qui mènent à ces heures d’absence pour leurs enfants. Elle a compté 53 heures manquantes non remplacées ce trimestre une autre 70. Pour eux, il y a rupture d’égalité avec ces pertes d’heures et une défaillance de l’Etat.
« On se bat pour nos enfants, il n’y a pas que les enseignants qui souffrent, les parents et les enfants aussi. Ils voient les professeurs pleurer ». L’une désigne un des personnels présents et dit ne pas le reconnaître deux ans après. Des élèves sont présents, avec leurs parents, ils évoquent des sanctions qui leur semblent disproportionnées. Les parents ont peur des représailles pour leurs enfants, dit une mère du collectif. Une mère parle d’humiliations vécues par son fils. Elle a décidé de le changer de collège à la rentrée.
Une plainte contre X de la direction qui conduit 14 professeurs à être entendus au commissariat sur la base d’une photographie
Depuis février 2024, la tension dans le collège est présente. Les personnels avaient débrayé après une tentative de suicide d’une enseignante. L’expression de la souffrance et l’appel à l’aide sont restées lettres mortes. Plus de la moitié des professeurs s’est retrouvée en arrêt après cet événement qui aurait pu être tragique. Suite à l’inadéquation entre les témoignages recueillis durant l’enquête diligentée par des inspecteurs vie scolaire en mars 2024, et les résultats présentés en juin 2024, l’équipe se mobilise lors d’une grève, la presse locale avait publié un article. Six mois plus tard, en décembre 2024, les quatorze professeurs en photo dans l’article se retrouvent convoqués au commissariat, suite à une plainte contre X déposée par la principale. Ils sont interrogés sur ce qu’ils ont dit à la presse. Si cette plainte a été classée sans suite, elle laisse de traces dans la relation déjà dégradée entre les professeurs et la direction. Le (non) traitement de leur souffrance leur semble d’une extrême violence ajoutant de la peur face au pouvoir de la direction. « Parler aux journalistes, ce n’est pas de la diffamation, non ? » me demande un des personnels, s’inquiétant ensuite de son anonymat et de mon sort. « Et vous, vous pouvez parler ? » s’inquiète-t-il.
Djéhanne Gani
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