Bruno et Nati, un lien affectif unique à l’épreuve du temps qui passe
Livreur de pizzas, Bruno trace son chemin à vive allure circulant cheveux au vent dans les quartiers et les rues de Barcelone. Un petit cercle de garçons et de filles unis par l’amour de la musique et les sorties égaille son quotidien et nous percevons, dans un sourire discret ou des éclats de voix à quel point ce garçon peu expansif, trop raisonnable parfois, est remué par des élans joyeux, traversé par un profond besoin de liberté.
A la maison, chez sa grand-mère, nous le voyons crouler sous les responsabilités. Les courses quotidiennes, les démarches administratives et… les trous de mémoire ou sautes d’humeur d’une vielle dame, tantôt malicieuse, tantôt acariâtre, souvent de mauvaise foi.
Avec des constantes que de larges plans séquences prennent le temps de capter dans leur immobilité : un rapprochement des corps, têtes penchées de l’un vers l’autre, tous deux assis sur le canapé, des mains, l’une à la peau fripée, l’autre toute lisse, se touchant avec délicatesse, des gestes fugitifs d’une affection et d’une tendresse tissées durant les nombreuses années de vie commune entre le petit-fils devenu jeune adulte et la grand-mère qui a contribué (visiblement avec une grande satisfaction) à la construction et à l’éducation de ce dernier.
Mais voici que les choses se compliquent. Nati ne sait plus très bien où elle (en) est mais voudrait bien que rien ne change. Ainsi voit-elle d’un mauvais œil (et elle le fait savoir vertement et à voix haute) l’arrivée d’une jeune fille comme locataire de la petite chambre disponible dans l’appartement. Une intrusion rendue nécessaire par les faibles revenus financiers dont dispose le (petit) foyer.
Bruno face à une décision paradoxale : tendre attachement et soif de liberté
Les démarches, secrètement menées dans une première phase, pour trouver une place libre dans un établissement public de retraite, ont bien du mal à aboutir. Lorsque les services sociaux informent le garçon d’une possibilité à saisir rapidement, Bruno vacille devant une décision douloureuse, comme s’il n’avait jamais songé qu’elle puisse advenir. Il lui faut cependant regarder la situation même si visiblement elle lui crève le cœur d’autant que, renvoyé par son employeur, il est à la recherche d’un nouveau travail sur un marché de l’emploi guère favorable aux jeunes peu qualifiés comme lui.
Nati, la vieille dame ‘indigne’ laisse émerger son désarroi et sa peine et sa hantise de la solitude : elle perçoit l’impossibilité du statu quo et, abandonnant toute défense, elle pose simplement cette question bouleversante à son petit-fils aimé et aimant : « Est-ce qu’il y a beaucoup de monde là-bas [dans la maison de retraite] ? ».
Un collectif de jeunes cinéastes, un regard juste sur l’amour entre générations
D’où vient que la vision de L’Age imminent, fiction sobre et réaliste, puisse émouvoir autant ?
Sans doute approche-t-elle, dans sa singularité sans esbroufe ni pathos, une question essentielle, rarement abordée ainsi au cinéma, avec le souci constant de refuser le moralisme ou le chantage au vécu. Cette démarche artistique, profondément humaniste, met en évidence la maturité de celles et ceux qui ont mené à bien l’entreprise.
Les six étudiantes et étudiants qui se sont rencontrés pendant leurs études en communication audiovisuelle à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone revendiquent un « cinéma collectif et horizontal, en restant fidèles à l’esprit du projet dans chaque décision ». Plus tard, ils précisent avoir abordé chaque personnage « avec intimité et sensibilité », à travers « l’exploration du langage cinématographique par la suggestion ».
Vaste ambition pour un collectif de cinéastes en herbe. Leur première réalisation tient avec finesse la promesse ainsi formulé : « A travers la relation entre Bruno et Nati, nous explorons comment l’amour et l’épuisement coexistent dans les relations familiales et comment, parfois, aimer signifie aussi apprendre à laisser partir ».
Samra Bonvoisin
L’Age imminent, film du Collectif Vigilia (Laura Coromina Espelt, Laura Serra Solé, Clara Serrano Llorens, Gérard Simo Gimeno, Ariadna Ulldemolins Abad, Paul Vall Capdet)-
Sortie le 12 mars 2025- Prix national Malaga Work in progress
Pour recevoir notre newsletter chaque jour, gratuitement, cliquez ici.
